Table ronde

Comment répondre aux besoins de la clientèle patrimoniale ?

Publié le 22 septembre 2017 à 17h13

Propos recueillis par Catherine Rekik

Avec la baisse généralisée des rendements financiers et la problématique particulière des fonds en euro, la clientèle privée est en quête de nouvelles solutions d’investissement. Les CGP et les banquiers privés recherchent de nouveaux produits pour répondre aux besoins de leurs clients dans un environnement où l’allocation d’actifs est de plus en plus complexe. 

Comment analysez-vous le comportement des marchés depuis le début de l’année ?

Certains événements vous ont-ils contraints à remanier les portefeuilles ?

Cédric Baron, responsable multi-asset stratégies, Generali Investments : Deux grands thèmes ont dominé le début d’année : les risques politiques liés aux élections, notamment en France, et la perspective de reflation consécutive à l’élection de Trump aux Etats-Unis. Les investisseurs avaient anticipé une hausse de l’inflation et une remontée graduelle des taux suite à cette élection, en prévoyant notamment de nombreuses mesures fiscales avantageuses.

Les risques politiques ne se sont finalement pas matérialisés en Europe. L’issue des élections françaises, tant attendues, s’est avérée favorable pour les marchés financiers, qui ont enregistré un rebond en Europe après le premier tour. Mais, depuis mai, malgré des données macroéconomiques qui montrent que l’activité se porte plutôt bien en Europe, les marchés européens sont en baisse. Il y a eu des prises de profits à la fin du premier semestre, mais c’est en premier lieu l’appréciation de l’euro face au dollar qui a entraîné une révision des profits attendus des entreprises européennes et a pesé sur les performances.

Quant à la thématique de reflation, elle n’a pas duré longtemps. Jusqu’à aujourd’hui, les attentes concernant les réformes fiscales promises par Trump et susceptibles de porter l’économie américaine ne se sont pas matérialisées. La capacité de Trump à mener à bien cette réforme est remise en cause. Du coup, les taux américains sont aujourd’hui plus bas qu’en début d’année, et les marchés obligataires gouvernementaux sont positifs.

En conclusion, malgré quelques soubresauts, les marchés ont été plutôt cléments cette année. Il fallait cependant être suffisamment investi en Europe avant le premier tour des élections pour afficher une performance nettement positive dans cette zone.

Kris Deblander, directeur adjoint des gestions dettes d’entreprises et actions, Edmond de Rothschild Asset Management : Il y a eu peu de surprises cette année. Les marchés financiers ont retrouvé leurs plus hauts niveaux précédant le Brexit ou l’élection de M. Trump, ces deux événements ayant eu peu d’impact. Dans ce contexte, nous avons choisi de favoriser le risque de crédit et les spreads plutôt que la duration, le high yield plutôt que les obligations gouvernementales, et arbitré en faveur des actions européennes en raison du différentiel de cycle avec les Etats-Unis et pour des raisons de valorisation.

En Europe, après les élections françaises, le risque politique a nettement diminué. Nous ne voyons pas d’incidents majeurs susceptibles d’affecter aujourd’hui la paix relative des marchés, à l’exception du risque de conflit avec la Corée du Nord.

Andrea Mossetto, senior investment specialist, Theam : En début d’année, le consensus était plutôt réservé sur les actions après le rallye observé fin 2016, en particulier aux Etats-Unis. La volatilité n’a pas cessé de baisser, elle est autour de 7 à 8 % aux Etats-Unis, contre 15 à 20 % dans les périodes «normales». Face à des risques potentiels connus, les gérants ont utilisé différentes couvertures.

Chez Theam, la gestion flexible place le risque au cœur de sa décision d’allocation. Contrairement au consensus de marché, nous avions dès le début de l’année une exposition significative sur les actions ; ce qui a bien contribué à la performance de nos fonds en 2017. L’analyse des risques a permis de définir le poids cible des actions, des obligations et des actifs de diversification en portefeuille, contribuant à satisfaire les attentes de la clientèle patrimoniale.

Aujourd’hui, ce sont les fonds flexibles globaux qui affichent les meilleures performances grâce aux actions émergentes, à condition d’avoir couvert les risques de change, ce que faisons dans tous les fonds flexibles destinés à la clientèle patrimoniale.

Gère-t-on différemment un fonds destiné à la clientèle patrimoniale ? La cible de clientèle implique-t-elle des contraintes de gestion ?

Andrea Mossetto : Depuis la crise de 2008, l’équipe de gestion s’est interrogée sur la façon la plus lisible de gérer pour tout type de clientèle. Nous avons décidé d’utiliser le risque, une notion qui parle au client final : si le risque augmente sur un actif, son poids en portefeuille est réduit ; à l’inverse, si le risque baisse, le poids augmente pour participer à la hausse. C’est simple et rationnel.

Les investisseurs institutionnels ou les conseillers en gestion de patrimoine sont pleinement conscients qu’un investissement peut fluctuer sur toute sa durée de placement. Ils cherchent donc à diversifier les fonds au sein des portefeuilles en investissant d’abord dans des fonds d’allocation d’actifs, puis dans des fonds à performance absolue. Ils s’intéressent aussi désormais à des produits plus disciplinés et rationnels. C’est ce que traduisent les flux sur notre gamme de fonds flexibles.

Cédric Baron : L’idée n’est pas de gérer des solutions dédiées à la clientèle patrimoniale d’une façon particulière, mais plutôt de concevoir des fonds dont les objectifs répondent aux besoins de cette clientèle : des rendements positifs réguliers et une faible volatilité. Nous construisons donc des processus de gestion contrôlés en risques, générant une performance régulière et positive sur le long terme, en investissant sur des classes d’actifs qui offrent des primes de risque positives. Limiter la volatilité d’un fonds signifie limiter le «risque de bon timing» de chacun de ses investisseurs. Plus que la performance annuelle d’un fonds, c’est la performance réalisée entre son point d’entrée et son point de sortie qui intéresse avant tout l’investisseur. S’il opte pour une solution d’investissement générant 4 ou 5 % de rendement mais très volatile, il prend un risque de timing et donc de déception. Certains gérants multi-asset offrent des solutions performantes mais capables d’osciller entre - 20 % et + 20 %, ce qui rend la probabilité de performance sur courte période aléatoire.

Kris Deblander : Trouver du rendement sans risque est quasiment impossible aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle, en nous fondant sur l’ADN de notre gestion, nous avons choisi de proposer à la clientèle patrimoniale une stratégie d’investissement reposant sur la sélection d’actions ou d’obligations capables de générer 4 à 5 % de rendement. L’équipe de gestion identifie les sociétés ayant des cash-flows pérennes, puis sélectionne l’instrument le plus adapté pour restituer le rendement aux investisseurs. Le poids des actifs en portefeuille doit être en phase avec la stratégie générale d’allocation d’actifs. Le poids des actions en portefeuille est limité à 50 %. Quand l’objectif de performance sur l’année est atteint, des couvertures sont mises en place de façon tactique pour couvrir les risques de marché ou de hausse des taux. La clientèle patrimoniale cherche avant tout un rendement régulier.

Les investisseurs obéissent à deux règles : ne pas perdre d’argent et ne pas oublier la première règle !

Cette clientèle est investie depuis des années dans des fonds en euro. Comment l’amener à accepter l’idée de prendre du risque et d’investir dans des produits dont le capital n’est pas garanti ? D’autant que l’offre n’est pas toujours très claire entre fonds flexibles, fonds patrimoniaux, fonds de performance absolue…

Andrea Mossetto : Nous effectuons un travail régulier de pédagogie auprès de l’ensemble de la clientèle. Nous revenons notamment sur la différence entre fonds flexibles et fonds de performance absolue. Un fonds flexible est un fonds qui capte les primes de risque de marché sur le moyen terme avec une approche structurelle «long marché». Nous ne vendons pas une promesse de rendement annuel comme c’est possiblement le cas pour les fonds de performance absolue. Notre idée est de délivrer de la performance régulière, donc d’améliorer le ratio sharpe pour nos clients, et surtout de réduire la perte maximum et le temps de recouvrement dans des phases chahutées. Nous y parvenons en utilisant le risque comme indicateur fondamental dans nos décisions d’allocation. La gestion n’est pas influencée par le court-termisme des marchés. Il est important d’expliquer aux clients que nos fonds flexibles participent plus ou moins aux marchés actions en fonction du risque affiché. Par ailleurs, bien que les CGPI s’y intéressent aujourd’hui, les fonds de performance absolue me semblent aujourd’hui plutôt destinés à la clientèle institutionnelle et aux «advisory desks». Un fonds de performance absolue peut prendre des positions à l’encontre de la tendance des marchés. Il faut pouvoir expliquer comment est construite la performance, ce qui peut plus facile dans le cas d’un fonds flexible «long only».

L’intérêt pour les fonds de performance absolue n’est-il pas lié à la déception qu’ont pu engendrer certains fonds flexibles ?

Après tout, la gestion flexible recouvre un univers très large, et le marketing autour de certains produits entretient parfois une confusion avec la gestion à performance absolue… Cet intérêt peut être aussi motivé par des besoins de diversification ?

Cédric Baron : Les conseillers en gestion de patrimoine doivent amener leurs clients à sortir des fonds en euro pour se porter vers des unités de compte afin de rechercher de meilleurs rendements. En effet, l’espérance de rendement des fonds en euro va continuer à se réduire. Cela s’accompagnera d’une prise de risque supplémentaire afin d’atteindre des performances plus élevées. Or, les clients ont été habitués, avec les fonds en euro, à investir dans un support garanti avec un rendement clairement affiché. Par conséquent, les CGPI pourraient s’intéresser aux fonds de performance absolue comme substituts, notamment en raison des objectifs affichés de rendement autour de 3, 4 ou 5 %. Mais les fonds absolute return ne conviennent pas forcément à la clientèle patrimoniale, qui a besoin de s’exposer au beta de différentes classes d’actifs afin de se sensibiliser à la croissance de l’économie via des actions ou des obligations et de bénéficier ainsi d’une performance sur le long terme correspondant au profil de risque défini.

La gestion de performance absolue cherche, quant à elle, à capter de la performance en étant décorrélée des marchés. Elle induit donc des positions de vente sur les primes de risque traditionnelles qui ne correspondent pas, à mon sens, à ce que recherche la clientèle patrimoniale. Cette dernière se base souvent sur la performance des marchés actions (en particulier le CAC 40) afin d’anticiper la performance de ses placements. Un fonds qui affiche des pertes alors que les marchés actions sont en hausse pourrait poser un problème de lisibilité et de transparence pour l’investisseur. Par contre, la gestion flexible peut, elle, sur le long terme, délivrer des rendements stables et lisibles. L’équation s’est tout de même complexifiée ces derniers temps étant donné le niveau très faible des rendements disponibles. Il est désormais nécessaire d’élargir l’univers d’investissements ainsi que la palette des instruments utilisés, et de gagner ainsi en dynamisme dans le but d’atteindre des rendements qui restent attractifs. Il faut également s’assurer que les attentes des clients patrimoniaux restent en adéquation avec cet univers de rendements faibles que l’on observe sur les marchés.

Kris Deblander : Il existe un consensus sur les attentes de la clientèle patrimoniale, autour des 4 ou 5 % de rendement. Edmond de Rothschild Fund Income Europe vise notamment à générer un revenu régulier. Nous essayons également de maîtriser la volatilité. Faire 10 % de performance deux ou trois ans de suite révélerait un problème par rapport à la promesse faite au client.

Le calibrage du risque passe aussi par une diversification obligatoire du portefeuille : une quarantaine de lignes dans la partie actions et environ 150 positions dans la poche obligataire. Nous ne cherchons pas des titres dont les cours vont doubler ou tripler, mais des sociétés délivrant les cash-flows attendus. Nous avons pour objectif, en particulier dans la poche obligataire, d’éviter l’accident qui peut coûter très cher. Edmond de Rothschild Fund Income Europe, que nous définissons comme patrimonial, est également couvert ponctuellement contre les risques de marché.

Quelles sont les différences d'approches entre les fonds patrimoniaux et les fonds flexibles ?

Cédric Baron : Entre patrimonial et flexible, les nuances sont subtiles. C’est avant tout une question de terminologie. L’existence de stratégies de performance absolue dans un cadre Ucits rend aussi les frontières de plus en plus fines entre les différents produits.

Chez Generali Investments, nous proposons des solutions flexibles et dynamiques à notre clientèle patrimoniale.

Kris Deblander : De notre côté, nous avons opté pour la sélection de titres comme moteur de performance. Ce sont les différents moteurs de performance utilisés qui distinguent les produits les uns des autres.

Andrea Mossetto : Le point commun entre les fonds flexibles, income et patrimoniaux est qu’ils sont «long only». Dans ce cadre-là, je distingue deux styles de gestion : les fonds d’allocation d’actifs basés sur la sélection de titres, et ceux qui souhaitent participer à des tendances de marché.

Par ailleurs, pour revenir sur les fonds de performance absolue, nous pensons que, dans l’allocation d’actifs d’un fonds flexible, il est préférable d’avoir des actifs de diversification. Dans cette poche, l’exposition aux stratégies alternatives, variant de 5 à 10 % dans notre fonds phare, nous aide à profiter de certaines opportunités de marché ou à faire face à certaines menaces. Elle sera essentielle lors de la prochaine crise.

Cédric Baron : La diversification est un point clé de toutes ces stratégies. Mais l’allocation tactique est primordiale pour atteindre des objectifs de rendements ambitieux. Il est primordial d’élargir l’univers d’investissement et les instruments utilisés. Acheter de la volatilité peut, par exemple, permettre de se protéger en période de forte correction des marchés actions sans vendre la classe d’actifs. L’achat d’options est également un moyen de rendre plus dynamiques les allocations et de s’adapter d’autant plus rapidement aux changements de régime.

La plupart du temps, les problèmes sont identifiés suffisamment en amont pour que les marchés s’ajustent vite une fois l’échéance atteinte et que les risques se matérialisent ou pas. Cette année, les marchés européens ont plutôt bien performé, mais la quasi-totalité des gains s’est finalement faite après le premier tour des élections françaises. Pour un investisseur qui n’aurait pas été suffisamment présent à ce moment, la performance sur ce marché depuis le début de l’année est très décevante. Il faut donc être agile, mais, les réactions ne pouvant être instantanées, ajouter de la convexité grâce aux options permet de gagner en dynamisme. L’offre de fonds flexibles a évolué et a de plus en plus recours à des produits dérivés.

Les CGP sélectionnent plusieurs fonds patrimoniaux et flexibles dans leurs allocations. Comment s’assurer de la bonne combinaison des fonds choisis et éviter d’éventuelles surexpositions à certains risques ?

Andrea Mossetto : Avant de sélectionner un produit, il faut bien comprendre la stratégie et l’exposition du fonds, puis regarder sa corrélation avec les différents fonds déjà présents dans le portefeuille clients. Je préconise également de vérifier la corrélation du fonds avec le marché. Il y a autant de styles de gestion que de gérants. Il est important d’avoir en portefeuille une diversification de styles.

Cédric Baron : Il est important de regarder les approches et les styles de chaque gérant, mais également les univers d’investissement pour éviter de cumuler des expositions trop semblables. Il y a donc un besoin important de transparisation pour faciliter le travail du CGP ou d’un sélectionneur de fonds.

Andrea Mossetto : Je conseillerais également d’étudier la classe d’actifs sur laquelle le gérant est le plus performant et de combiner ensuite les fonds en fonction de leur exposition aux actions ou aux obligations.

Kris Deblander : Il convient aussi de vérifier les biais de styles dans les portefeuilles, pour s’assurer qu’il n’y a pas trop de value ou de growth ou qu’un gérant ne change pas de style.

Quelles sont vos convictions en matière d’allocation d’actifs pour les prochains mois?

Cédric Baron : En matière de classes d’actifs, nous continuons de favoriser les actions dans la perspective d’une fin d’année meilleure en Europe et d’un environnement macroéconomique globalement favorable. Nous sommes toujours investis dans le high yield, dont le portage reste intéressant. Concernant les zones géographiques, nous préférons l’Europe et les marchés émergents, aussi bien sur les actions que sur la dette. Ces deux zones sont plus attractives, tant en matière de perspective de croissance que de valorisation. Tactiquement, nous avons opté pour quelques couvertures afin de protéger le portefeuille d’éventuels risques extrêmes, comme une guerre en Corée.

Kris Deblander : Dans la partie obligataire, nous choisissons clairement le spread et pas la duration. Nous avons opté pour le high yield et les dettes subordonnées financières. Nous arbitrons en faveur de l’Europe pour la partie actions en raison de valorisations plus attractives.

Nous n’avons pas d’inquiétudes à court terme, mais la prudence reste de mise. Nous avons aujourd’hui quelques couvertures sur le marché obligataire.

Andrea Mossetto : Notre gestion flexible est très diversifiée et exposée globalement. Nous n’avons donc pas de biais européen ou américain sur notre exposition actions ou obligataire. La volatilité reste faible et nous sommes bien positionnés pour capter la hausse des marchés. A moyen terme, nous anticipons toutefois des turbulences, donc nous couvrons ponctuellement certains marchés. Par ailleurs, le portefeuille est couvert contre les risques de change. 

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