France

Faut-il investir dans les actions françaises ?

Publié le 2 février 2018 à 9h56    Mis à jour le 4 juillet 2018 à 11h27

Propos recueillis par Catherine Rekik

Les dernières élections ont modifié la perception des investisseurs à l’égard de la France. L’embellie économique et les réformes devraient favoriser les entreprises françaises.• Le marché des actions françaises intègre-t-il déjà toutes les bonnes nouvelles ? Quelles sont ses spécificités ?• Quid des valorisations ?• Faut-il préférer les valeurs domestiques qui profitent des réformes ou les grandes valeurs exposées à la dynamique de croissance mondiale ?• Les grandes capitalisations ou les valeurs moyennes ?

D’abord perçue comme un risque important, l’élection présidentielle a finalement rassuré les marchés. A-t-elle eu un impact sur les performances des actions françaises ?

Comment s’est comportée la Bourse de Paris en 2017 ?

Xavier de Buhren, gérant, Mirabaud AM : L’année 2017 a débuté avec beaucoup de défiance de la part des investisseurs concernant les importantes échéances électorales prévues en zone euro, notamment aux Pays-Bas et en France. Le risque d’accession au pouvoir de partis extrémistes a exacerbé la décote politique sur les marchés financiers européens, et tout particulièrement en France. L’élection de Macron a finalement levé tout risque d’implosion de la zone euro. Il y a donc eu un «avant élection française» durant lequel l’attentisme a prévalu. Beaucoup d’investisseurs sont alors sortis des marchés européens et, en particulier, du marché français. Dès le premier tour de l’élection présidentielle, nous avons observé un retour de flux et une accélération sur le marché français.

Bertrand Puiffe, gérant, Fidelity : Les investisseurs, notamment les Anglo-Saxons, restent tout de même attentistes à l’égard du marché français. Les Français sont considérés comme les champions des annonces de réformes qui ne sont jamais mises en œuvre. Il y a eu des craintes concernant des blocages et manifestations dans les rues. Aux Etats-Unis, les médias ont accordé beaucoup d’importance à l’opposition qui menaçait de tout bloquer et de faire la révolution après les élections. Les investisseurs attendent donc que les réformes se concrétisent et délivrent des signaux tangibles d’amélioration de l’économie. Certains indicateurs macroéconomiques montrent en effet une amélioration, notamment la confiance des consommateurs et des entreprises, mais il faut que cette embellie perdure sur plusieurs trimestres en France. Cela permettrait de réallouer des capitaux qui sont aujourd’hui fortement investis en Allemagne ou dans les pays nordiques. Compte tenu de notre historique, il est peu probable que les investisseurs accordent le bénéfice du doute à la France sur sa capacité à se réformer. Le retour en grâce de la France n’est pas pour tout de suite, mais la performance du CAC 40, dividendes réinvestis, est équivalente à celle du DAX.

Xavier de Buhren : C’est différent dans l’univers des midcaps. Les valeurs moyennes allemandes sont valorisées 20 % plus chères que les françaises, et leur performance est supérieure de 20 %. Elles sont plus exposées au commerce mondial, ce qui explique une partie de ce différentiel.

Pour revenir à l’économie française, il faut tout de même souligner que, depuis trois ans, il y a une nette amélioration des fondamentaux. La consommation des ménages accélère, couplée à un redémarrage des investissements des entreprises. Ces dix dernières années, les sociétés françaises ont mené un travail très important pour baisser leur point mort, assainir leur bilan en se refinançant grâce aux bonnes conditions proposées par les banques centrales et réduire leurs coûts. Les niveaux de marge sont encore 10 à 15 % en dessous des niveaux de 2007. Une reprise des volumes a donc immédiatement un effet positif sur les marges comme nous l’avons constaté à partir du premier trimestre 2017.

Jérôme Fourtanier, président, Karakoram : Les marchés ont aussi démontré qu’ils pouvaient fonctionner concomitamment à l’imprévision du risque politique. Il n’est dès lors pas certain que l’on puisse relier directement la performance d’un indice actions à un événement politique. Aux Etats-Unis, par exemple, les stratégistes avaient anticipé un mini-krach en cas de victoire de Trump, et c’est l’inverse qui s’est produit ! En Catalogne, les effets sur les marchés actions n’ont duré que quelques jours en fin d’année. Le marché espagnol signe paradoxalement une des meilleures performances en ce début d’année.

En France, l’élection de Macron n’a pas non plus été un catalyseur, l’indice CAC 40 est revenu quasiment au même niveau qu’au lendemain de l’élection. Aujourd’hui, le principal moteur est plus lié à la dynamique de croissance qui se maintient aux Etats-Unis plutôt qu’aux futures réformes d’Emmanuel Macron.

Eric Biassette, responsable de la gestion actions thématiques, Generali Investments : L’an dernier, la performance du CAC 40 a finalement été comparable à celle de l’Euro Stoxx, de même, la hausse de l’indice français des valeurs moyennes a été peu différente de celle de l’indice européen, l’Euro Stoxx Small.

Certes, désormais, la France n’est plus une exception. Le marché du travail va être plus flexible, le taux d’imposition des entreprises va revenir dans la moyenne européenne mais, selon moi, l’élection de Macron est un facteur d’investissement de deuxième ou troisième ordre. En effet, la vigueur du cycle économique mondial, l’évolution des matières premières ou des taux d’intérêt nous paraissent être des facteurs bien plus déterminants. D’ailleurs, depuis cette élection, les valeurs franco-françaises, comme les chaînes de télévision, n’ont pas affiché les meilleures performances boursières.

Xavier de Buhren : L’évolution de l’euro ou des prix des matières premières préoccupent plus les dirigeants des sociétés que les baisses d’impôts qui vont s’étaler dans la durée même si elles sont les bienvenues.

Jérôme Fourtanier : Les premières réformes concernent plus la consommation des ménages que l’investissement et l’entreprise. Le gouvernement veut créer un choc de confiance. Les résultats ne seront visibles que dans trois ans. La reprise économique, par son inertie, est aujourd’hui plus importante que la visibilité que nous avons aujourd’hui sur les réformes.

La croissance, française et mondiale, est donc le principal catalyseur pour la classe d’actifs… Comment est-ce que cela se matérialise pour les entreprises ?

Ont-elles revu à la hausse leurs prévisions de profits ?

Xavier de Buhren : En général, en début d’année, le consensus table sur une hausse de 10 % des bénéfices. Ces dernières années, les prévisions étaient revues à la baisse au fil des publications de résultats. Pour la première fois en 2017, il y a eu une révision positive des bénéfices par action. L’année a débuté sur une prévision de hausse de 10 % et s’est achevée sur une progression de 15 %. Le consensus n’avait pas totalement intégré la force de la reprise en France.

L’année 2018 a, elle aussi, débuté sur un consensus de hausse de 10 % des bénéfices nets par action.

Jérôme Fourtanier : Parmi les signaux positifs pour le marché, il y a également celui des fusions-acquisitions. Aujourd’hui, environ un tiers des sociétés, de petite ou moyenne taille déclarent être prêtes à faire des acquisitions. C’est un véritable changement qui montre que la reprise est là ainsi que la confiance, ce qui devrait soutenir les marchés actions.

Bertrand Puiffe : Le contexte actuel, caractérisé par des taux d’intérêt qui restent bas, est en effet favorable à des acquisitions. Il est clair que nous devrions voir aux Etats-Unis des tensions inflationnistes liées aux matières premières et à la réforme fiscale. Ces tensions vont se répercuter sur les taux. Donc, pour une entreprise qui peut encore avoir accès au crédit pas cher, c’est le moment de faire des opérations de croissance externe.

Eric Biassette : Les prix de ces acquisitions commencent à être élevés !

Jérôme Fourtanier : Les entreprises sont comme les investisseurs : elles achètent leurs titres ou des sociétés concurrentes quand le marché est haut.

Xavier de Buhren : Les multiples observés dans plusieurs secteurs sont très élevés, tirés par le private equity qui déborde de cash. Cela peut constituer un frein à certaines velléités d’acquisitions. La situation se complique pour les sociétés qui observent une certaine discipline financière et ne veulent pas surpayer les acquisitions.

Jérôme Fourtanier : Le risque pour une entreprise est d’augmenter les capacités en haut de cycle et de mal gérer ensuite les retournements de cycle. Or, nous sommes plutôt plus près de la fin d’un cycle expansionniste que de son début.

Xavier de Buhren : En France, les entreprises n’ont pas investi depuis presque dix ans. Elles font face aujourd’hui à des carnets de commandes de plus en plus chargés alors que les capacités de production commencent à saturer. Elles arrivent à une limite qui les contraint soit à investir pour accroître ces capacités, mais cela prend du temps, soit à faire des acquisitions.

Ces derniers mois, les performances ont-elles été contrastées entre les différents secteurs ?

Jérôme Fourtanier : Dans le segment des mid et small caps, le secteur des SSII et la thématique de digitalisation ont largement performé le marché. Dans le même temps, il y a eu, entre 2015 et 2017, une expansion des multiples de valorisation qui rend dorénavant ce segment relativement cher.

Xavier de Buhren : Ce thème d’investissement s’appuie sur une des deux révolutions en cours. Tous les secteurs et les entreprises sont obligés d’avoir une stratégie digitale. Certains secteurs sont en retard, comme la distribution : Carrefour, par exemple, fonctionne encore sur le modèle IT datant de sa fusion avec Promodès à la fin des années 1990. Pour être réactif par rapport aux sociétés du e-commerce, il faut investir des milliards. A l’inverse, les banques et le secteur de la finance sont plutôt à la pointe de la révolution digitale. Le marché lié à ces innovations croît de 10 à 15 % par an.

La deuxième révolution concerne l’industrie automobile, avec la voiture électrique ou hybride ainsi que la voiture autonome. Le secteur des SSII est très lié à ces sujets.

Bertrand Puiffe : Que ce soit pour les grandes ou les petites et moyennes valeurs, le segment de la croissance a plutôt bien performé en 2017 comparé à la value ou aux cycliques, ces dernières ayant eu des performances disparates selon les secteurs.

Les rotations sectorielles ont été moins violentes en 2017…

Jérôme Fourtanier : Les rotations sectorielles n’ont duré que quelques semaines. Cela montre que nous sommes plus, aujourd’hui, dans un marché de flux que d’allocataires sectoriels. Prenons l’exemple du secteur pétrolier, mal aimé en 2016 en raison de la baisse du prix du pétrole et des révisions baissières de bénéfices, mais dont la décote a suscité ensuite l’intérêt des investisseurs avec un rattrapage rapide en 2017.

Bertrand Puiffe : Des grandes valeurs comme LVMH, Danone, Kering ou L’Oréal ont vu leurs multiples de capitalisation se renchérir. LVMH se paie plus de 22 fois les profits estimés contre une moyenne historique de 18. Les investisseurs n’hésitent pas à payer cher la croissance visible. Il faut être attentif car, dans un environnement plus inflationniste et avec des taux qui remontent, il pourrait y avoir une rotation importante, avec un retour de la value et des cycliques. Dans l’univers des mid et small caps, c’est un peu différent. Si un gérant déniche une pépite avec un chiffre d’affaires susceptible de doubler, l’environnement de taux importe peu.

Dans le contexte actuel, faut-il arbitrer entre les valeurs domestiques ou internationales ?

Eric Biassette : L’an passé, cet arbitrage n’a pas été clé. Certaines valeurs domestiques ont délivré de bonnes performances, portées par la reprise économique, et certaines valeurs plus internationales ont également bien performé – comme certains groupes de luxe. La croissance des résultats a été le principal moteur de la performance boursière.

Ainsi, en 2017, un écart de performance important a été observé entre les sociétés de croissance, actives dans le digital ou le luxe par exemple, et les sociétés en panne de croissance, notamment celles subissant les ruptures technologiques (automobile, publicité, etc.). En conséquence, on constate aujourd’hui des écarts de valorisation considérables entre ces valeurs. Ces écarts peuvent créer des opportunités d’investissement.

Xavier de Buhren : Les valeurs de biens de consommation de base ont des niveaux de valorisation élevés. Or, nous constatons que, depuis 2017, les investisseurs reviennent sur les fondamentaux. Ils sont plus attentifs aux capacités des sociétés à améliorer les marges, faire croître les bénéfices et augmenter le dividende. C’est beaucoup plus sain.

En ce qui concerne la distinction «croissance domestique et croissance mondiale», certaines valeurs ont gagné 90 % l’an dernier, comme Trigano alors qu’elle est exposée principalement au marché français. Il y a donc des performances de valeurs domestiques très corrélées au cycle. Certains investisseurs ont également privilégié ces valeurs pour se couvrir contre les risques de change.

Jérôme Fourtanier : Les investisseurs, notamment les fonds spéculatifs, ont privilégié ces grandes valeurs depuis 2013. Leur free cash-flow ou leurs dividendes génèrent quatre ou cinq fois le coût d’un emprunt avec des taux anémiques. Ces hedge funds empruntaient pour acheter ces titres, les «jouant» comme des obligations : un jeu risqué qui a porté les valorisations à des niveaux très élevés et déconnectés de la dynamique de croissance de ces groupes.

Eric Biassette : Je ne suis pas certain que ces valorisations soient totalement déconnectées de la dynamique de croissance. Certaines valeurs ont délivré des croissances très élevées, à l’image de Gucci (Kering), qui a publié des chiffres impressionnants. A l’inverse, la performance boursière de sociétés comme Essilor ou Grandvision dont la croissance est en panne a été très faible.

Xavier de Buhren : Les flux sur les ETF expliquent également les performances de ces grandes valeurs qui ont un poids important dans les indices.

Comment sont valorisées les actions françaises ? Existe-t-il des différences avec les actions des autres marchés européens, l’Allemagne en particulier ?

Xavier de Buhren : Les grandes actions françaises sont plus chères que les valeurs espagnoles encore pénalisées par la situation en Catalogne. Elles sont également un peu plus chères que les valeurs allemandes. C’est sans doute lié à la position dans le cycle. En Allemagne, le ralentissement économique a été bien moins marqué qu’en France et l’Espagne est déjà nettement sortie de la crise. La France est en retard et revient de plus loin. C’est pour cela que la croissance des bénéfices par action est plus élevée en France qu’en Allemagne ou en Espagne.

Eric Biassette : D’après le consensus, les estimations de hausse des profits sont assez proches entre ces différents pays. La question est de savoir si les actions sont chères ou pas. Les PER actuels sont au-dessus des moyennes historiques, avec un multiple de l’ordre de 15 fois pour la zone euro, comme pour la France, contre une moyenne de 12,5 fois sur les dix dernières années.

Xavier de Buhren : On ne peut pas dire pour autant que le marché est cher puisque les croissances de bénéfices nets par action sont bien supérieures à ce que nous avons eu cette dernière décennie.

Eric Biassette : En effet, le marché était moins cher en 2007, autour de 13 fois les résultats estimés, mais les taux d’intérêt à long terme étaient à 4 % ! En conséquence, la prime de risque du marché actions reste attractive aujourd’hui et supérieure à sa moyenne historique. D’ailleurs, le rendement des actions se situe autour de 3 % en France et en Europe, nettement supérieur au niveau des taux longs. Il n’y a pas de bulle sur la valorisation du marché en absolu, même en intégrant une remontée modérée des taux. Dans ce contexte, nous continuons de trouver des opportunités d’investissement sélectionnées au cas par cas.

Jérôme Fourtanier : En Europe, contrairement aux Etats-Unis, la prime de risque ne s’est pas beaucoup dégonflée. Pour les investisseurs se pose la question des arbitrages : sortir des actions mais pour investir dans quoi ? La prochaine crise, si crise il y a, ne devrait pas venir des valorisations mais d’un comportement soudain et «moutonnier» d’aversion au risque, qu’il soit actions ou obligataire, forçant les investisseurs à déboucler leurs positions en quelques jours et déclenchant ainsi un environnement de panique.

Xavier de Buhren : En absolu, la valorisation des valeurs de croissance peut paraître élevée, mais il faut prendre en compte le ratio PEG (price/earnings to growth), qui tient compte de la croissance des bénéfices attendus. Nous constatons que beaucoup de sociétés de croissance affichent des PE élevés mais retraités de la croissance des bénéfices nets par action, les valorisations reviennent autour de 1,2 et 1,5 fois le PEG, ce qui est raisonnable.

Bertrand Puiffe : De mon point de vue, certaines valorisations sont élevées pour les valeurs de croissance même si certaines bénéficient d’un momentum favorable. Aux Etats-Unis, le secteur de l’Internet, dont les primes sont stratosphériques, pourrait déstabiliser l’économie mondiale. Je ne fais pas référence à Apple ou à Microsoft dont les multiples ne sont pas délirants, mais des titres comme Netflix traitent à plus de 200 fois les profits ! Sans parler de valeurs comme Snapchat qui, sans business model, pèse 20 milliards en Bourse.

Si, à un moment donné, les investisseurs montrent plus d’attrait pour les valeurs industrielles exportatrices américaines que pour ces valeurs-là, compte tenu du poids de ces dernières dans les indices, la correction sera importante.

Eric Biassette : Les marchés actions américains sont valorisés plus de 18 fois les estimations de profits pour 2018 alors que les marges des entreprises sont à leur plus haut historique.

Xavier de Buhren : Aux Etats-Unis, il sera important d’observer les divergences entre les bénéfices avant et après impôts. Cela permettra de savoir si la croissance américaine tire encore les profits. Cela nous dira si les entreprises américaines arrivent à augmenter les prix pour compenser les hausses de salaires et l’inflation importée et ainsi préserver leurs marges.

Finalement, une correction des marchés américains constitue le principal risque pour les Bourses européennes…

Jérôme Fourtanier : La hausse des marchés américains a constitué le principal moteur des marchés européens pendant cinq ans. En 2012, les marchés actions européens ont été embarqués par la reprise américaine alors que la zone euro n’était même pas encore sortie de récession. Alors oui, en cas de correction aux Etats-Unis, il y aura forcément des conséquences en Europe.

Eric Biassette : Tout dépend de ce qui peut provoquer une correction aux Etats-Unis. Si c’est un problème de valorisation mais que l’économie américaine reste plus dynamique que l’économie européenne, cela n’affectera pas beaucoup les entreprises françaises. En revanche, à ce stade du cycle économique, et après l’appréciation des marchés observée ces dernières années, nous sommes très vigilants sur la valorisation des entreprises.

Xavier de Buhren : Après un fort rattrapage en 2016 et 2017, nous devrions entrer dans une phase de normalisation. Les effets de base vont être moins favorables. La gestion de l’inflation ou la remontée des taux vont être des enjeux importants.

Jérôme Fourtanier : Sans parler de l’endettement public, un problème qui a été mis de côté. Le niveau de dettes publiques et le déficit aux Etats-Unis sont sensiblement les mêmes que ceux d’avant crise alors que nous avons eu depuis plusieurs années des mesures accommodantes sans précédent. Dans le même temps, les marges de manœuvre pour éteindre les incendies (financiers ou économiques) ont pratiquement été toutes épuisées par les banques centrales. Un ralentissement économique pourrait donc faire ressurgir ce problème à moyen terme.

Xavier de Buhren : Autre enjeu : la réduction des politiques monétaires des banques centrales, notamment de la Fed et de la BCE. Deux camps s’opposent aujourd’hui : ceux qui pensent qu’il est possible de vivre dans un environnement de faible inflation et ceux qui estiment que nous sommes à un point d’accélération de cette inflation. Aux Etats-Unis, les marchés n’ont intégré que trois hausses des taux mais des voix s’élèvent pour dire qu’il y en aura peut-être quatre et, s’il y a une accélération de l’inflation se posera la question de la rapidité et de l’ampleur du resserrement monétaire. La question se posera en Europe aussi.

Jérôme Fourtanier : Dans la zone euro, le changement de président de la banque centrale va également susciter des interrogations. La succession de Mario Draghi sera un thème fort pour les marchés dès 2018, avec notamment la recomposition du directoire de la BCE.

Face à la hausse des taux, quels sont les secteurs à privilégier ? A éviter ?

Jérôme Fourtanier : Tout est une question d’anticipation. Après des années de sous-performance, les banques sont recherchées depuis la fin de l’année tandis que les télécoms et les utilities, secteurs généralement endettés, ont été vendues. Et pourtant, il n’y a pas encore eu de hausse des taux, seulement des annonces de volonté de sortie progressive du QE européen sur le second semestre 2018.

Xavier de Buhren : Il faut trois ans pour que la remontée des taux produise des effets positifs sur les résultats des banques. Cependant, la dégringolade boursière des banques était presque parfaitement corrélée ces dernières années à la baisse des taux. Une anticipation de hausse des taux leur est donc favorable. A contrario, la performance du secteur immobilier souffre de la remontée des taux malgré des rendements souvent élevés.

Bertrand Puiffe : Certains secteurs, trop chers, vont être pénalisés puisqu’une partie importante de la valorisation provient d’une actualisation des cash-flows futurs. Pendant dix ans, il y a eu une inflation des multiples des sociétés de croissance parallèlement à la baisse des taux. Si les taux remontent, il pourrait y avoir une contraction de ces mêmes multiples. Il faut être désormais vigilant sur les situations spécifiques et privilégier des sociétés capables de délivrer une croissance supérieure aux anticipations.

Eric Biassette : Dans cette perspective, nous privilégions les sociétés peu endettées, disposant d’une réserve de cash leur permettant de faire des acquisitions stratégiques, et des sociétés value ou, en tout cas, dont les valorisations ne sont pas trop élevées.

Xavier de Buhren : Grâce aux restructurations, le taux d’endettement des entreprises françaises est au plus bas depuis dix ans. Les sociétés capables de générer du cash sont à privilégier car elles peuvent ainsi autofinancer leur croissance, faire des acquisitions, augmenter le dividende ou faire des rachats d’actions.

Quelles sont les spécificités de la cote française ?

Eric Biassette : On parle beaucoup de la richesse du marché allemand des valeurs moyennes, mais le marché français est également très attractif. Nous avons à la fois une grande richesse de cote (plus de 300 entreprises cotées offrant une certaine liquidité) et une grande diversité sectorielle, alors qu’en Allemagne il y a beaucoup de valeurs industrielles (liée notamment à l’automobile, à la chimie, etc.), souvent de grande qualité et exposées à la croissance en Europe de l’Est et en Asie. En France, on trouve des sociétés industrielles comme Nexans (câbles de haute tension), Manitou (chariots de manutention télescopiques), Imerys (production et transformation de minéraux), etc., des sociétés de services : gestion de maisons de retraite, gestion de centres d’appels téléphoniques (Teleperformance), sociétés de services informatiques, de certification, de conseil en R&D…

Xavier de Buhren : C’est également un marché de qualité dans lequel on trouve de nombreux leaders mondiaux sur des marchés de niche. Certaines sociétés comme Trigano, Lisi ou Somfy sont incontournables. Cette dernière, leader mondial de la robotisation des fermetures de la maison, a installé 170 millions de moteurs dans le monde entier, avec 60 % de parts de marché. A côté des LVMH, Hermès ou L’Oréal, il y a de nombreuses valeurs, moins connues, qui ont des positions de marché très fortes, ce qui démontre bien la valeur ajoutée de l’industrie française. Ces entreprises ont souvent un actionnariat familial et sont gérées par des membres de la famille : les intérêts des minoritaires sont alignés avec les leurs.

Bertrand Puiffe : L’univers d’investissement est en effet bien plus riche et plus liquide que ce qui existe dans les pays nordiques, par exemple.

Jérôme Fourtanier : Dans l’univers des microcaps (capitalisations boursières inférieures à 150 millions d’euros), le gisement compte une centaine de sociétés, souvent peu suivies par les analystes, avec une bonne diversification et souvent des innovations produits très percutantes. Ce sont des valeurs détenues majoritairement par leurs dirigeants que nous rencontrons régulièrement ; c’est un point essentiel car cela permet un alignement des intérêts entre dirigeants et actionnaires. Pour investir dans ces valeurs, nous avons d’abord des critères très qualitatifs, puis quantitatifs pour approcher une valorisation interne de ces sociétés. Nous avons finalement une approche similaire à celle du private equity sur certains points.

Comment sélectionnez-vous les valeurs ? Où se trouvent les opportunités ?

Eric Biassette : Nous nous efforçons d’identifier et d’accompagner dans le temps des sociétés susceptibles de devenir des leaders ou de renforcer leur leadership. Une fois que nous avons identifié les entreprises ayant un bon «business model» (retour sur investissement élevé), nous sélectionnons les sociétés ayant un potentiel de croissance important, générant du free cash-flow et ayant un management avec un track record établi. Notre décision d’investissement est ensuite motivée par le potentiel d’appréciation du titre, selon notre modèle de valorisation par actualisation des cash-flows.

Aujourd’hui, Generali Investments est particulièrement vigilante sur les valorisations. Nous avons en portefeuille des valeurs cycliques domestiques, dont les valorisations sont raisonnables et pour lesquelles il y a une accélération des profits (Imerys), des valeurs «value» qui génèrent du free cash-flow (Spie), et des holdings présentant une décote par rapport à la valeur de leurs actifs (Bolloré).

Bertrand Puiffe : Dans mon portefeuille investi dans les actions françaises, il y a un biais structurel sur les mid et small caps. Il est, en effet, difficile de faire la différence sur des grandes capitalisations boursières suivies par tous les analystes. Il y a plus de valeur ajoutée quand on fait sa propre recherche en interne sur des valeurs plus petites. C’est également un segment qui reste très investi par les Français et qui pourrait bénéficier d’un regain d’intérêt des investisseurs étrangers.

Je n’investis que dans des sociétés mal aimées par le marché ou sur lesquelles le consensus est neutre ! Grâce à une bonne diversification, le niveau de volatilité est proche de celui de l’indice. Altice est notre première position aujourd’hui car nous estimons que les actifs américains sont mal intégrés dans la valorisation boursière et qu’il devrait y avoir un rattrapage. Même chose avec Technicolor qui a mis en vente sa division de brevets dont la valorisation n’est pas prise en compte. Cette cession va lui permettre de se désendetter et de faire des acquisitions pour se repositionner sur des métiers en croissance. Enfin, je privilégie également les valeurs pétrolières car j’ai la conviction que le prix du baril va grimper jusqu’à 80/85 dollars dans les deux prochaines années, ainsi que les valeurs minières.

Jérôme Fourtanier : Nous menons un important travail d’analyse et de valorisation, notamment par la méthode d’actualisation des cash-flows sur toutes les entreprises dans lesquelles nous investissons. Notre cahier des charges est simple : un potentiel de hausse d’au moins 50 %, un dirigeant ou une famille actionnaire, une proximité avec le management et la possibilité de visiter les usines. Nous avons un suivi régulier de l’investissement que nous envisageons sur une durée de douze à dix-huit mois. Cependant, nous ne nous interdisons pas de vendre si le titre a bien monté. Enfin, nous avons la capacité d’investir en actions mais aussi dans les obligations. Dans notre portefeuille, nous avons beaucoup de valeurs liées aux thèmes de l’innovation et des ruptures technologiques. Toutes les sociétés ne sont pas rentables mais nous visons à construire un portefeuille bien diversifié. Dans cette optique, nos principales positions actuelles sont Groupe Parot, Witbe, Adeunis ou encore Theraclion. Enfin, nous avons aussi des positions sur des situations spéciales, des sociétés décotées qui peuvent être des cibles potentielles d’OPA. Lafuma en est un exemple parfait.

Xavier de Buhren : Pour notre fonds, nous avons une double approche à la fois top-down et bottom-up. Nous élaborons d’abord un scénario macroéconomique qui définit nos thématiques d’investissement. Actuellement, nous mettons l’accent sur la reprise économique en France, la digitalisation, le vieillissement de la population et l’expansion démographique. Ensuite, grâce à une veille sectorielle approfondie sur la qualité des fondamentaux, des niveaux de valorisation, couplée à de l’analyse technique, nous choisissons les secteurs les plus attractifs par rapport à notre scénario. Enfin, la sélection de chaque conviction repose sur une étude fine de son business model, de son environnement concurrentiel, puis sur une analyse financière approfondie et une valorisation de la société pour déterminer son potentiel de hausse. Nous apprécions la qualité des dirigeants grâce à plus de 300 meetings par an.

En matière de biais sectoriel, notre fonds surpondère le secteur IT depuis 2015 à travers les SSII, les sociétés de la R&D externalisée ainsi que les valeurs industrielles pour jouer la reprise du cycle en France. Nous privilégions les sociétés leaders sur leurs marchés, protégées par des barrières à l’entrée et avec du pricing power comme Elis et Rubis. Parmi les grandes valeurs, nous aimons Schneider ainsi que les sociétés exposées à la reprise de la construction en France comme Eiffage et Vinci.

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