Gestion flexible

La gestion flexible tient-elle ses promesses ?

Publié le 23 septembre 2016 à 10h40    Mis à jour le 23 septembre 2016 à 12h25

Propos recueillis par Catherine Rekik

L’année 2016 a débuté avec beaucoup de stress sur les marchés financiers. Et les performances de certains fonds flexibles ont été mises à mal, ce qui a de nouveau montré la grande disparité de la classe d’actifs. Cependant, concevoir une allocation d’actifs est devenu très complexe et la tendance est à la délégation de gestion. Funds dresse un état des lieux de l’offre en matière de gestion flexible et s’interroge sur le comportement de ces fonds flexibles en période de forte volatilité.

Comment avez-vous géré l’alternance de périodes contrastées, après un premier trimestre qui a pesé sur les performances de nombreux fonds flexibles ?

Michel Saugné, responsable adjoint de la gestion, Tocqueville Finance : Plusieurs éléments ont caractérisé ce début d’année. Il y a eu beaucoup de surprises et de contre-pieds, avec une correction des marchés en janvier qui n’avait pas été anticipée. Plus récemment, l’effet Brexit s’est avéré moins important que ce que nous avions imaginé. Cependant, la trame de fond est la même depuis deux ans : une alternance entre des phases de crainte et des phases d’espoir, entre craintes déflationnistes et espoir d’une reprise solide. Cette situation dicte l’allocation d’actifs et la gestion des fonds flexibles depuis deux ans, et impose d’être agile et précis sur la gestion des risques. Ce focus sur la gestion des risques est la ligne conductrice depuis le début de l’année.

Guillaume Rigeade, gérant allocation d’actifs et dette souveraine, Edmond de Rothschild Asset Management : Sur les marchés obligataires, l’environnement a été particulièrement animé cette année. La correction sur pratiquement tous les marchés d’actifs risqués en début d’année s’est traduite par un écartement très marqué des spreads sur les marchés obligataires. S’en est suivie une normalisation très forte de ces spreads grâce à la politique monétaire européenne. Dans cet environnement, nous sommes guidés par la politique monétaire et des fondamentaux sur lesquels nous pouvons parfois avoir des doutes. Ce qui permet à une gestion obligataire flexible de s’exprimer, puisque nous sommes contraints de changer l’allocation en cours d’année. Notre allocation était plus agressive en début d’année pour profiter de fondamentaux qui, bien que menacés, nous paraissaient solides, et d’une politique monétaire accommodante. Au cours de l’année, les marchés sont devenus très chers, ce qui nous a conduits à alléger le risque des allocations. Nos marges de manœuvre nous permettent d’avoir une proportion de cash importante. C’est ainsi que se caractérise la gestion flexible : peu de contraintes dans l’allocation, des marges de manœuvre importantes et une allocation de cash potentiellement significative.

Cédric Baron, Head of Multi-Asset Strategies, Generali Investments : L’année 2016 se caractérise par de nombreuses incertitudes à la fois économiques, avec des interrogations sur la croissance, et politiques (référendum au Royaume-Uni, absence de gouvernement en Espagne, référendum italien et élections américaines en novembre). Les incertitudes concernent également l’évolution des politiques des banques centrales. Chacune de leur réunion devient un élément clé très attendu par les marchés. Tout cela génère beaucoup de volatilité. Dans cet environnement, les gestions flexibles présentent l’avantage d’être réactives. Cependant, les fondamentaux macroéconomiques ne paraissent pas suffisamment forts pour justifier des niveaux de valorisations élevées dans la plupart des classes d’actifs, ce qui n’incite pas à investir, d’autant que les rendements sont faibles, voire négatifs. Cela explique pourquoi les niveaux de cash dans les portefeuilles sont historiquement élevés alors même qu’il est coûteux de garder ce cash. Ce contexte, où finalement peu de supports sont attractifs, incite les investisseurs à aller chercher du risque en investissant soit dans des obligations moins bien notées soit dans les marchés actions.

Tarek Issaoui, responsable de la gestion flexible, THEAM : Je ne dirai pas que 2016 a été une année risquée. Les risques se sont matérialisés mais, sur les marchés, la réalisation du risque a été plutôt faible. La volatilité du S&P 500 sur ces trois derniers mois a été la plus faible depuis 1993.

Cyrille Geneslayy, gérant allocataire, CPR AM : C’est vrai pour la période estivale, car c’est plutôt l’inverse qui s’est produit en début d’année. Il y avait peu de risques, mais nous avons vécu le pire démarrage jamais réalisé.

Tarek Issaoui : Certes, mais, même en janvier, nous n’avons pas eu de choc de volatilité. Contrairement à ce qui s’était produit en août 2015 avec un choc sur l’indice Vix aux Etats-Unis, la baisse a été ordonnée, étalée sur plusieurs séances. Pourquoi les risques perçus sont-ils aussi forts à un moment où les risques réalisés sur les marchés sont aussi faibles ? On peut voir là l’action des banques centrales ou un souci de non-participation. En effet, si les risques ne se matérialisent pas sur les marchés, c’est peut-être parce que les investisseurs ne participent pas. Il n’y a pas de «main faible», donc pas de vente forcée. Nous l’avons constaté lors du Brexit, où l’on pouvait craindre une baisse beaucoup plus marquée.

Cyrille Geneslay : A l’annonce des résultats du référendum britannique, les marchés ont accusé une baisse de 12 %, un choc équivalent à celui du 24 août 2015.

Tarek Issaoui : Cette baisse a été circonscrite aux marchés européens et très ponctuelle, grâce notamment à la perspective d’une réaction rapide des banques centrales. De façon générale, la participation n’est pas très forte et, de surcroît, les gérants adoptent des stratégies de couverture.

Cyrille Geneslay : Ce choix des gérants est logique. L’achat de protections est peu coûteux aujourd’hui. Plutôt que vendre et participer à la baisse, mieux vaut se protéger.

Tarek Issaoui : La grande question est de savoir si les risques continueront de ne pas se matérialiser. Dans ce cas, il faut acheter tous les actifs qui procurent du rendement (actions, high yield ou dette émergente). Dans le cas contraire, si l’on pense que les risques vont finir par se matérialiser, il faut adopter une attitude très défensive. Comme les investisseurs ne savent pas quelle alternative privilégier, ils font les deux : ils achètent des actifs de rendement et, parallèlement, des actifs refuge. Cela se reflète dans le choix des actifs les plus investis depuis le début de l’année : l’or et la dette émergente.

Cyrille Geneslay : A fin juillet, les obligations japonaises à dix ans affichaient une performance de 24 %. C’est la meilleure classe d’actifs depuis le début de l’année. Il y a eu une appétence pour les taux, assez surprenante, que nous n’avions pas anticipée.

N’est-ce pas finalement un manque d’agilité qui a été reproché aux gestions flexibles en début d’année ?

Pourquoi certains gérants flexibles n’ont-ils pas réussi à mieux limiter les baisses de marché ?

Michel Saugné : Il ne faut pas généraliser la contre-performance de certains fonds flexibles. Certains fonds emblématiques de cette catégorie ont peut-être dégagé de moins bonnes performances, mais il ne faut pas se focaliser là-dessus. L’univers des fonds flexibles étant très hétéroclite, il y a de grandes disparités dans les performances. Ce qui illustre bien des approches différentes en matière de gestion des risques.

Néanmoins, il y a eu une certaine convergence des performances en début d’année…

Michel Saugné : En effet, car le coussin obligataire a temporairement disparu. Il était difficile en début d’année d’imaginer que le Bund serait un tel soutien ou que les rendements des obligations corporate entreraient en territoire négatif. Lorsque je réfléchissais à la façon d’aborder 2016, mes principales préoccupations concernaient ce coussin obligataire et les relais de performance à mettre en place pour compenser cette disparition du portage obligataire.

Cyrille Geneslay : En 2015, dix mois sur douze, les taux et les actions ont évolué dans le même sens. L’obligataire n’a quasiment pas eu d’effet décorrelant en 2015. Du coup, début 2016, il était difficile d’investir massivement sur les taux qui n’offraient ni rendement ni protection.

Guillaume Rigeade : En début d’année, la valeur refuge était presque perçue comme un danger. Tous les actifs étaient considérés comme risqués. Tout le monde s’est trompé, puisque les rendements obligataires ont encore baissé, voire sont en territoire négatif. Il faut désormais aller jusqu’à une maturité de quinze ans pour avoir un rendement positif sur la courbe allemande. L’histoire se répète. Nous avons encore un danger supposé qui ne se matérialise pas.

Cyrille Geneslay : Les quinze premiers jours de janvier ont été les plus mauvais jamais réalisés, pires que dans les grandes périodes de récession, alors que les données macroéconomiques étaient plutôt bonnes, avec une stabilisation de la croissance mondiale autour de 3 %. Nous avons une déconnexion entre les marchés actions qui ont souffert de façon très marquée et une macroéconomie en phase de stabilisation, avec un redémarrage des pays émergents. En début d’année, il était difficile de concevoir une stratégie longue sur les obligations et une exposition mesurée aux actions. C’était en réalité ce qu’il fallait faire alors que toutes les données plaidaient pour l’inverse.

Tarek Issaoui  : La convergence des performances s’explique sans doute par le biais européen de beaucoup de fonds flexibles. Cette convergence est moins vraie dans la catégorie des fonds flexibles monde. Certains de ces fonds ont une performance supérieure à 4 %.

Cédric Baron : Les performances des marchés européens étaient, en effet, encore nettement négatives début septembre, alors que la performance des marchés émergents est en progression de plus de 15 % et les marchés américains de plus de 5 % depuis le début de l’année.

Tarek Issaoui : En janvier, les fonds de risk parity étaient plutôt en hausse. Ils affichent une bonne performance depuis le début de l’année. Ces fonds sont agnostiques : ils allouent autant de risques sur chaque classe d’actifs. Ils ne se posent pas la question d’investir ou pas dans les obligations, puisqu’ils sont toujours investis dans la classe d’actifs pour le même risque.

Guillaume Rigeade : Ces fonds de risk parity ont bien fonctionné, car ils avaient une allocation très marquée sur l’obligataire en raison de la performance passée de cette classe d’actifs. Les valorisations actuelles laissent supposer que le niveau de risque n’est probablement pas le même ou qu’il évolue. Les fonds de risk parity vont devoir changer leur approche.

Tarek Issaoui : Nous revenons à la question initiale : la perception du risque versus la mesure du risque. Sur les obligations, la mesure du risque est objectivement très faible. En revanche, la perception de la classe d’actifs a changé puisque, de refuge, elle est devenue risquée. Si l’on alloue en fonction du risque perçu, il faut chercher des actifs refuge comme l’or. Mais, si l’on est agnostique et que l’on mesure le risque, alors il faut être sur ces classes d’actifs.

Michel Saugné : La gestion flexible recherche une asymétrie. Or, la classe d’actifs la plus asymétrique est devenue dangereuse. Beaucoup de gestions flexibles ou de gestions de risk parity ont surfé sur la vague obligataire. La composante obligataire est prépondérante dans la performance de ces fonds. Les performances observées ont été construites sur une période de plus de trente ans de baisse presque ininterrompue des taux. Aujourd’hui, les gérants entreprennent un voyage en terra incognita et se demandent comment générer de la performance au-delà de l’obligataire. Si le bBund s’enfonce encore en territoire négatif, ce sera le signal d’un sérieux problème économique.

L’asymétrie de la performance est-elle la promesse commune à tous les fonds flexibles ?

Guillaume Rigeade : Je ne partage pas complètement cette idée, car l’asymétrie suppose des profils convexes : mieux profiter des hausses et moins subir les baisses. Evidemment, c’est ce que nous recherchons, mais la principale caractéristique d’un fonds flexible est de s’adapter aux différents contextes. Parfois, un gérant peut aussi profiter des baisses pour faire de meilleures performances et non pas uniquement se protéger contre les baisses. Il y a des marges de manœuvre importantes dans les fonds flexibles, avec des positions vendeuses et des arbitrages possibles qui permettent de bénéficier des surperformances ou des sous-performances de certaines classes d’actifs ou régions.

Tarek Issaoui : La protection de nos portefeuilles durant les phases de baisse – d’une classe d’actifs ou de l’ensemble –, est tout de même ce qui caractérise le mieux nos gestions.

Comme nous n’avons pas d’indice de référence, la façon de nous juger n’est pas évidente. Nous avons chacun notre propre terrain de jeu et notre niveau de risque. Pour nous juger, une seule question : parvenons-nous à atteindre une forme d’asymétrie ?

Comment y parvient-on ?

Tarek Issaoui : On y parvient en faisant la recherche des bons actifs, soit par une gestion qui tente de réduire les risques soit en s’exposant au bon moment.

Cédric Baron : Beaucoup de fonds flexibles recherchent cette asymétrie, notamment en limitant l’impact des baisses. Mais les mouvements en V que nous avons connus en début d’année expliquent pourquoi certains fonds flexibles ont déçu. Ces mouvements ont des impacts négatifs, car les gérants subissent fortement la majeure partie de la baisse, puis réduisent leurs positions risquées et ne profitent donc que partiellement des phases de rebond. En général, les gestions flexibles permettent d’éviter les fortes baisses grâce à leur bonne gestion des risques. L’important est donc ensuite de revenir sur les marchés en s’exposant suffisamment tôt. Dans le cas contraire, les performances peuvent être décevantes, comme cela a été le cas pour certains fonds en début d’année.

Tarek Issaoui : La recherche d’asymétrie ne signifie pas «performance absolue». Dans l’esprit des investisseurs, la confusion existe parfois.

Cyrille Geneslay : Ces dernières années ont été plutôt favorables à certaines gestions flexibles, ce qui a créé cet amalgame. L’investisseur estime qu’un fonds flexible doit bien se comporter dans les hausses et bien protéger dans les phases de baisse.

Guillaume Rigeade : Les fonds de performance absolue supposent une décorrélation par rapport aux marchés, alors que les fonds flexibles peuvent assumer une certaine corrélation, mais avec une gestion active sur les sous-jacents.

La commercialisation de ces fonds aurait donc besoin de plus de clarté…

Guillaume Rigeade : L’investisseur doit regarder les classes d’actifs dans lesquelles le fonds peut investir, les stratégies mises en œuvre et le comportement attendu du produit selon les phases de marché.

Michel Saugné : Il faut surtout que les investisseurs regardent avec beaucoup d’attention les processus de gestion. Ils doivent comprendre quels sont les moteurs de performance, comment s’est construit le track record pour ne pas se tromper sur l’avenir. Est-il judicieux d’investir actuellement dans un fonds dont 90 % de la performance réalisée ces dernières années proviennent de l’obligataire ?

Tarek Issaoui : Si la performance d’un fonds ne repose que sur deux ou trois vues, il peut y avoir un risque de concentration. C’est la raison pour laquelle, chez THEAM, nous essayons de capter un maximum de primes de risque, de les diversifier au mieux et, ensuite, nous essayons d’accroître notre asymétrie par une bonne construction de portefeuille.

Michel Saugné : Dans cet univers, il y a deux approches : soit une approche prudente comme la nôtre chez Tocqueville Finance, qui se focalise sur les risques avec pour but de construire un portefeuille diversifié et agile, soit une approche global macro. Cette dernière relève plus d’une concentration des paris et d’une plus grande prise de volatilité, avec comme principal objectif la performance. L’objectif d’atténuer le drawdown ne vient qu’en second lieu. L’offre de fonds flexibles compte des fonds global macro beaucoup plus directionnels que ne l’imagine l’investisseur lorsqu’il achète ce produit. Cela peut créer de la déception.

Cyrille Geneslay : L’investisseur peut être déçu s’il n’achète que ce fonds-là. Il y a tellement de produits différents réunis sous ce même vocable qu’il est judicieux de mixer plusieurs fonds, avec des fonctionnements différents selon les phases de marché, pour créer de la richesse. Il ne faut pas se focaliser uniquement sur un fonds flexible et penser que le gérant peut avoir d’excellentes performances quelles que soient les conditions de marché. Les retournements sont si violents qu’il est impossible pour les gérants d’y échapper tout le temps.

L’idéal est donc de combiner plusieurs fonds flexibles ?

Tarek Issaoui : Oui, c’est l’idéal, mais, pour cela, il est nécessaire de bien connaître les fonds. Le rôle de l’intermédiaire est ici très important. Le choix d’investir dans un fonds flexible est similaire à celui d’un investissement en actions : on n’achète pas une seule action mais un panier d’actions.

Guillaume Rigeade : Du point de vue de l’investisseur, il y a dans la gestion flexible la notion de délégation de gestion. Notre travail de gérant flexible est d’accepter cette délégation et de l’enrichir. Dans nos fonds flexibles obligataires, outre l’allocation d’actifs, nous essayons de gérer le risque de taux via la duration, par exemple. Nous offrons une combinaison de classes d’actifs auxquelles l’investisseur n’a pas forcément accès dans son allocation de base.

Michel Saugné : La capacité à profiter de la multiplication des produits d’investissement est un des aspects intéressants de la gestion flexible. L’industrie est très créative et réglementée. Nous avons ainsi accès à de nombreux produits, que nous pouvons utiliser dans nos gestions flexibles. Cela fait partie des compétences du gérant flexible de connaître ces nouveautés et de les utiliser de façon à rendre son produit le plus performant possible. C’est d’autant plus intéressant dans le contexte actuel, où il est nécessaire d’aller chercher de nouveaux relais de performance.

La gestion flexible est-elle plus pertinente sur une seule classe d’actifs ou dans une approche diversifiée ?

Attend-on d’une gestion flexible obligataire la même chose que d’une gestion diversifiée ? Doit-on au contraire préférer ce type de gestion pour investir dans une classe d’actifs risquée comme les actions ?

Guillaume Rigeade : De façon générale, les investisseurs sont plus spécialisés ou en tout cas connaisseurs des marchés actions que des marchés obligataires. Ils gardent donc souvent la main sur la gestion de cette classe d’actifs et délèguent la gestion obligataire. Cette délégation de gestion peut cependant être plus générale, sur toutes les classes d’actifs. Tout dépend de l’investisseur et de son souhait de rester maître sur telle ou telle décision.

Michel Saugné : C’est avant tout le choix d’une équipe et d’un processus de gestion. Que la stratégie soit focalisée sur une classe d’actifs ou multi-classes d’actifs, l’investisseur doit bien connaître la stratégie qu’il achète et avoir confiance en l’équipe de gestion. Les risques sont nombreux aujourd’hui aussi : un investisseur intéressé par la gestion flexible doit avant tout chercher à comprendre les caractéristiques du processus de gestion pour ne pas se tromper (quelle prise de risque ? Quelle perte nominale endurée ?). Ce n’est qu’ensuite qu’il doit vérifier si le fonds complète ou pas son allocation. Un seul actif ou multi-actifs : la question est pour moi secondaire.

Tarek Issaoui : L’horizon de temps est le point commun de toutes ces stratégies. Cela n’a pas de sens d’acheter des parts de fonds flexibles pour quelques semaines ou mois seulement. Il faut du temps pour créer cette asymétrie et l’accompagner sur un cycle d’investissement.

Cédric Baron : Le processus de gestion est un point clé, en particulier lorsque la gestion flexible ne s’applique qu’à une seule classe d’actifs, a fortiori les actions. Si l’arbitrage se fait entre actions et cash, investir dans un processus de gestion uniquement fondé sur du timing à court terme me semble assez risqué et plus compliqué dans les marchés actuels. Il est particulièrement difficile de faire du market timing sur une seule classe d’actifs. Sur le long terme, il est préférable d’investir dans un fonds flexible multi-assets. L’investisseur peut se tromper sur le timing, mais il bénéficiera de l’effet diversification. Les impacts négatifs dus au mauvais timing sur les marchés actions en début d’année ont pu être limités dans les fonds qui avaient également une exposition aux obligations souveraines ou aux matières premières.

Cyrille Geneslay : «Diversification» est le maître mot. Plus le nombre de classes d’actifs est important, plus une gestion flexible aura l’opportunité de s’exprimer pleinement. Il faut être flexible non seulement au niveau des classes d’actifs, mais aussi de l’allocation géographique au sein des différentes classes. La corrélation entre ces classes n’étant pas stable dans le temps, la gestion flexible prend donc tout son sens dans une approche diversifiée.

Michel Saugné : La patience est une vertu difficile à trouver chez les investisseurs, qui cherchent tous de la performance à court terme. La performance des fonds flexibles s’apprécie plutôt sur du moyen/long terme. C’est ce qui distingue la gestion active de la gestion passive.

Etes-vous tous utilisateurs de gestion passive dans vos portefeuilles ?

Cyrille Geneslay : Pour faire notre allocation d’actifs, nous sélectionnons les produits les plus purs, c’est-à-dire des fonds indiciels et des trackers. Ces produits cotent en continu, ce qui nous permet d’intervenir en journée. Il ne faut pas opposer gestion active et gestion passive, les produits passifs étant notre matière première.

Michel Saugné : Ce serait dommage de ne pas utiliser tous les véhicules investissables dès lors qu’ils sont liquides et peu coûteux.

Guillaume Rigeade : Chez Edmond de Rothschild AM, nous allons plutôt utiliser les analyses de nos experts internes. Chacune des décisions d’allocation s’appuie sur ces experts qui sélectionnent les titres les plus efficaces, ceux qui apportent le plus de valeur ajoutée, dans chaque classe d’actifs ou, dans mon cas, dans chaque segment obligataire. Pour les classes d’actifs que nous ne couvrons pas en interne, nous utilisons un tracker ou un future. Une part significative de la performance de notre fonds provient toutefois de la sélection de titres.

Cyrille Geneslay : Il est plus compliqué de sélectionner des fonds externes que des produits passifs, car chaque gérant a un biais. Ces biais ne sont pas toujours constants, et le profil du fonds peut évoluer dans le temps. On prend ainsi le risque d’avoir des paris induits que nous ne maîtrisons pas. Il est donc plus difficile ensuite d’expliquer la performance aux clients.

Michel Saugné : Nous en revenons à la gestion des risques. D’où la nécessité d’avoir des briques d’allocations pures afin d’avoir une gestion des risques à deux niveaux : au niveau de chaque brique (liquidité, sensibilité, volatilité…) et au niveau de la gestion de l’assemblage. En gestion flexible, un des principaux dangers est d’assembler des briques dont nous ne maîtrisons pas les risques clés. Notre credo, chez Tocqueville, est de nous focaliser sur l’identification de tous les risques clés et de faire en sorte que l’assemblage des briques crée un ensemble homogène et solide. En 2008, par exemple, beaucoup de gérants ont été piégés par des risques sous-jacents induits qui tendaient tous vers le même sens.

Tarek Issaoui : La prochaine génération de fonds flexibles reposera, outre sur les trackers classiques, sur des véhicules smart beta ou factoriels qui permettent d’identifier les facteurs de risques. THEAM a lancé un fonds dédié à de l’allocation multi-actifs factoriels pour prendre pied sur ce terrain. La question peut susciter un débat théorique, mais cette approche fait partie de l’avenir. L’assemblage de plusieurs trackers peut faire croire que l’on diversifie un portefeuille alors que, en réalité, on se concentre sur un ou deux facteurs. Envisager les portefeuilles sous forme de facteurs (croissance, taille, etc.) peut permettre d’aller plus loin.

Cédric Baron : En effet, l’approche factorielle se développe. Les investisseurs sont face à un problème, car toutes les classes d’actifs semblent chères. Ils attendent donc de nouvelles propositions d’investissement pour limiter les risques détenus en portefeuille et recherchent des expositions qui diversifient les primes de risque traditionnelles.

Michel Saugné : C’est une réponse à une demande réglementaire des investisseurs : la transparisation des risques. Tous les investisseurs institutionnels veulent connaître de façon plus précise les variables de leur performance. La mise en avant des facteurs de risques ayant un impact fort sur la performance devient primordiale.

Comment mettez-vous en œuvre la gestion des risques dans les portefeuilles ?

Guillaume Rigeade : Notre approche combine plusieurs analyses. Dans un fonds flexible obligataire, nous mesurons le risque que nous pouvons attendre d’un portefeuille à travers le risque de perte maximale. Cet indicateur permet d’appréhender la volatilité mais, comme il n’est pas parfait, nous allons le combiner avec des scénarios de stress historiques ou hypothétiques. Nous imaginons des scénarios macroéconomiques défavorables et les mouvements de marchés qui en découleraient. En plus de ces mesures quantitatives, nous utilisons également une estimation de la liquidité car, sur les marchés obligataires, c’est une source d’inquiétude que nous devons appréhender au mieux dans nos fonds.

Tarek Issaoui : Nos fonds flexibles reposent sur un processus de budgétisation du risque. Nous ne fixons pas une allocation de référence mais un risque de référence pour chaque actif. Notre exposition évolue de façon à rester proche de ce risque cible. Cette technique est proche de celle des fonds de risk parity.

Nous réfléchissons actuellement à l’idée de construire les portefeuilles sur la notion de risque, mais aussi sur la mesure des corrélations de façon innovante. Dans le futur, il devrait y avoir moins de décorrélation dans les marchés, ce dont nous devons tenir compte. Selon le niveau de décorrélation entre les actifs, le risque peut passer du simple au double. Les prochaines surprises ne proviendront peut-être pas de chocs sur une classe d’actifs en particulier, mais plutôt sur des chocs de décorrélation entre actifs comme nous l’avons vécu en mai et juin 2013.

Cédric Baron : Je distinguerais la partie de la gestion du risque gérée par les équipes dédiées (value at risk, stress tests) de celle qui relève du processus de gestion. Dans certains de nos fonds, l’allocation est gérée en budgets de risque. Le point clé est alors de savoir mesurer le risque de chaque actif.

Nous avons également des fonds calibrés en volatilité, et donc avec un niveau de volatilité maximum, pour offrir à l’investisseur un certain confort sur le profil de risque du portefeuille dans lequel il investit. La mesure du risque, et en particulier l’estimation des corrélations, est alors primordiale. Dans un fonds multi-actifs, plus la décorrélation entre les classes d’actifs est élevée, plus le risque peut être diversifié et donc réduit. Le gérant peut alors se permettre de prendre plus de risque. A contrario, quand les actifs se corrèlent, il est nécessaire de réduire les risques en investissant partiellement en cash. La difficulté reste alors de parvenir à anticiper les changements d’environnement.

Cyrille Geneslay : Nous regardons le risque sur deux niveaux. Le premier niveau concerne la volatilité. Chaque fonds a un indicateur de référence qui ne représente pas pour nous l’allocation optimale, mais une enveloppe de volatilité que nous allons utiliser pour investir dans 43 classes d’actifs. Pour choisir ces classes d’actifs, nous allons construire plusieurs scénarios, chacun ayant sa propre matrice de corrélation. Notre modèle d’allocation d’actifs combine ensuite ces scénarios, ce qui donne un certain profil de rendement/risque. On obtient ainsi des portefeuilles qui se comportent mieux dans les phases marquées de marché si, bien entendu, nous avons anticipé le scénario.

Michel Saugné : Avec l’approche fondamentale et de stock picking qui caractérise notre société de gestion, nous avons deux façons d’appréhender le risque : une façon ex ante très analytique et une façon ex post basée sur l’observation de ce qu’il s’est passé. Nous vérifions que le comportement du fonds est conforme à ce que nous attendions. Si son comportement est erratique ou inattendu par rapport à la compréhension que nous avons de la construction du fonds, cela signifie qu’il y a un problème et qu’il est nécessaire d’ajuster le risque en portefeuille. Les stress tests sont importants, mais le test de la réalité est le seul qui compte.

Comment abordez-vous la fin de l’année ? Dans un environnement aussi complexe, peut-on avoir des convictions ?

Lesquelles ? Comment s’expriment-elles dans les fonds ?

Cyrille Geneslay : S’il est difficile d’exprimer aujourd’hui une conviction, c’est parce que beaucoup d’éléments dépendent des décisions des banques centrales et plus particulièrement de la Réserve fédérale. Chaque fois que Janet Yellen dit quelque chose, elle regarde la réaction des marchés. Or, les marchés réagissent en fonction de ce qu’elle dit. C’est un cercle vicieux dont il ne ressort rien de clair. Depuis le début de l’année, la croissance s’est stabilisée autour de 2,5 à 3 %. Tout plaide en faveur d’un relèvement des taux, mais la Fed n’arrive pas à franchir le pas par crainte des effets négatifs sur la croissance.

Guillaume Rigeade : Tout est orchestré par les banquiers centraux américains pour que la prochaine remontée des taux produise des effets limités, comme en décembre 2015, car les marchés avaient intégré cette probabilité. Aujourd’hui, si on regarde ce qui est anticipé par la courbe des taux, la probabilité d’une remontée des taux d’ici à la fin de l’année est proche de 60 %. Je suis convaincu qu’elle sera de 100 % en décembre, ce qui justifie d’avoir des positions vendeuses sur la courbe des taux américaine.

Cédric Baron : Nous sommes dans un marché où les risques sous-jacents sont présents et bien identifiés, ce qui nous incite à être prudents. Mais, parallèlement, la recherche de rendement force un certain nombre d’investisseurs à prendre du risque. Les quantités importantes de cash disponibles représentent un flux d’investissement potentiel sur les marchés actions. C’est la raison pour laquelle, en dépit de ces risques, les marchés actions et le high yield devraient continuer à avoir les faveurs des investisseurs. Du moins tant que les craintes sur la croissance ne se matérialisent pas ou que nous ne rencontrons pas un risque politique majeur.

Tarek Issaoui : Nous avons repris de l’exposition depuis la fin du mois du juin et nous n’avons pas stratégies de couverture. Nous sommes convaincus que c’est le moment de participer pleinement aux marchés actions et obligataires. Nous avons des paris de diversification opportunistes tels que l’or, pour lequel nous avons une conviction de très long terme. Notre scénario de fond est celui d’une dévaluation de toutes les monnaies contre les actifs réels. Nous sommes donc acheteurs d’immobilier coté et d’or.

Guillaume Rigeade : Dans notre allocation obligataire, nous assumons de ne pas investir par défaut. Le cash représente 35 % du portefeuille. Les marchés sont chers, mais il reste de la valeur dans le crédit. Les entreprises sont en bonne santé, les bilans sont solides et le risque de défaut ne devrait pas augmenter de façon significative. Les valorisations sont chères, mais cela vaut le coup d’être investi dans le high yield et les subordonnées financières. Le risque de solvabilité est encore protégé par le portage offert par ces classes d’actifs. Notre gestion du risque de taux est plutôt prudente et essaie de profiter d’une remontée des taux aux Etats-Unis, notamment sur les maturités courtes.

Michel Saugné : Nous avons trois scénarios assez opposés : une déception sur la croissance, une croissance plus forte que prévue aux Etats-Unis qui créerait un emballement à la hausse des taux américains, et celui d’une croissance solide mais pas excessive, avec un statu quo des banques centrales sur les taux. Ce dernier scénario serait très positif pour tous les marchés.

Nous achetons des actions de la zone euro de façon sélective et nous avons une exposition neutre aux obligations. Nous allons chercher des relais de performance sur des stratégies alternatives. Nous sommes également convaincus qu’une exposition à l’or est essentielle. Nous avons investi dans l’or fin 2015, afin de répondre à deux scénarios possibles : une poussée inflationniste et/ou un retour fort de l’aversion au risque, l’or constituant une valeur refuge dans ces deux cas.

Cyrille Geneslay : L’or a été un pari gagnant depuis le début de l’année, mais nous sommes dans une phase de réduction de notre exposition aujourd’hui. Mouvement que nous réalisons également sur les actions américaines. La classe d’actifs a été très résiliente, mais les valorisations sont chères alors que les niveaux de marges se compriment. A cela s’ajoute le risque de voir Janet Yellen finir par lasser les investisseurs, ce qui susciterait de la défiance à son égard, ainsi que celui lié aux élections américaines. Nous avons commencé, en parallèle, à acheter des positions de protection sur la partie américaine. Nous restons très exposés sur la zone euro, neutres sur le Japon et nous avons une diversification sur les actions émergentes (entre 5 et 10 % de l’exposition actions en fonction des portefeuilles). Sur la partie obligataire, qui a été réduite, nous sommes sur des sensibilités faibles et investis dans du high yield américain et des dettes émergentes.

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