L’art de gérer le risque

Publié le 2 juin 2017 à 10h43    Mis à jour le 8 juin 2017 à 10h43

Didier Saint-George

Les médias aiment rappeler que «les investisseurs n’aiment pas l’incertitude». Sont-ils dans l’erreur ? Oui et non.

Même s’il n’est pas certain que tous les journalistes soient conscients du distinguo quand ils expriment ce cliché, l’économiste américain Frank Knight expliquait dès les années 1920 que l’incertitude n’est pas tout à fait la même chose que le risque. Le risque est, selon Knight, de l’incertitude qu’on parvient à quantifier. L’incertitude relèverait du hasard, tandis que le risque relèverait du monde des probabilités, qui sont mesurables. Et dès lors qu’on parvient à mesurer l’incertitude, alors on peut l’appréhender, la dompter en lui donnant un prix, ce qui permet de l’acheter, de la vendre, voire de l’assurer. L’investisseur n’aime donc l’incertitude que s’il peut la transformer en risque, qu’il peut alors gérer, et non en demeurant dans la posture du héros romantique qui affronte le danger avec son courage comme seule arme.

La difficulté est que l’incertitude boursière ne se laisse pas facilement domestiquer en risque quantifiable et inoffensif. L’investisseur évolue dans un monde de probabilités souvent très peu fiables. Toute estimation de résultat, de donnée économique est assortie d’une marge d’erreur, qui elle-même peut s’avérer mal calibrée. En matière économique, le passé lui-même est incertain : la mesure du PIB trimestriel américain est l’objet d’estimations qui peuvent être révisées trois fois avant qu’on connaisse vraiment ce que fut la réalité. Gérer le risque, c’est ainsi naviguer dans cette contingence omniprésente, dont le chiffrage est toujours élusif.

Le risque de marché prend parfois un tour plus dramatique.  La flèche du temps boursier est ascendante à long terme. Sur les trente dernières années, l’indice actions mondial MSCI a gagné 380 %. Il est donc rationnel de parier sur l’avenir parce que, sauf exceptions, l’histoire économique du monde est faite de croissance (les Etats-Unis n’ont connu que onze récessions depuis 1945), et que, à long terme, les marchés d’actions suivent la réalité économique.

Le problème est que les exceptions peuvent coûter très cher. Il est possible, voire facile, de perdre beaucoup en investissant dans les marchés financiers. Quand le jugement collectif se révèle soudainement très erroné, alors la correction de la perception de ce qu’est le niveau de marché correct peut être d’une grande violence. L’examen de la performance de l’indice actions américain S&P 500 sur les vingt dernières années montre que les cinq pires performances mensuelles (donc seulement cinq mois sur 240) ont retranché à l’indice la moitié de sa performance.

Bien gérer l’impact de ces risques majeurs est donc décisif pour l’ambition de performance à long terme. Ces événements, heureusement, sont rares. Mais, de ce fait, ils échappent à toute analyse statistique fiable et ont ainsi la mauvaise habitude de prendre les investisseurs par surprise. Les douze derniers mois ont ainsi constitué un millésime particulièrement riche dans ce domaine : à trois reprises, les événements politiques successifs du vote britannique sur le Brexit, l’élection présidentielle américaine et les élections présidentielles françaises ont exigé des investisseurs actifs de gérer des risques binaires. Par trois fois, il s’est avéré qu’aucune catastrophe n’est survenue.

Mais la gestion des risques consistait à protéger les portefeuilles contre un accident majeur, fût-il improbable, tout en demeurant exposé au scénario principal d’un cycle économique favorable et porteur pour les marchés. Etre capable de construire une telle asymétrie est décisif pour la performance de long terme, et constitue l’essence de la gestion des risques. Ce savoir-faire s’exprime le plus souvent dans la construction de portefeuilles et l’utilisation de techniques de couvertures. Mais il repose d’abord sur une conscience aiguë de sa mission.

Didier Saint-George

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