La Bourse intéresse-t-elle encore les entreprises ?

Publié le 12 mai 2017 à 16h03

François Meunier

La mise en Bourse pour plus de 30 milliards de dollars de Snap – entreprise qui détient le réseau social Snapchat – est-elle l’arbre qui cache la forêt ? Les observateurs font désormais un constat assez alarmiste aux Etats-Unis : les entreprises nouvelles ne semblent plus tentées de lever des capitaux en Bourse. Deux indicateurs pour le montrer : le nombre d’introductions en Bourse (ou IPO, selon l’acronyme anglais) est à un étiage bas aux Etats-Unis depuis le début des années 2000, en dépit d’une brève période de remontée entre 2004 et 2007. Il n’y a guère plus aujourd’hui qu’une dizaine d’IPO par an pour les petites entreprises, surtout des entreprises du numérique ; et de l’ordre d’une cinquantaine pour les grandes. Pendant toute la décennie 1990, il y avait chaque année entre 200 et 300 grandes entreprises qui allaient en Bourse, et autant pour les petites.

Deuxième indicateur, le nombre des entreprises cotées aux Etats-Unis diminue d’année en année : le pic a été atteint en 1996, avec près de 7 500 entreprises cotées, alors que nous sommes aujourd’hui en dessous de 3 500. Où sont donc allées les IPO ? Et où partent les entreprises cotées ?

Ces questions suscitent des débats animés outre-Atlantique. Certains, qu’on devine proches du Parti républicain, mettent en cause l’alourdissement de la régulation, notamment celle dite de Sarbanes-Oxley, qui renforce les contraintes de divulgation pour les entreprises cotées. Rester privé (entendez non-coté) est bien commode à certains égards. D’autres pointent l’avantage fiscal très important donné aux structures ne retenant pas le statut commun des sociétés anonymes (du type des fonds communs de placement français) et expliquent par là leur popularité croissante pour porter des projets d’immobilier ou d’infrastructure. Ces entreprises ne sont pas éligibles au marché boursier. C’est cet avantage qu’en particulier l’administration Trump veut voir supprimé dans le projet de réforme de l’IS qu’elle soumet au Congrès.

Ce peut être aussi l’indice d’une profondeur et d’une liquidité plus grandes du marché du venture capital et du private equity, permettant que des entreprises même très grosses soient logées plus longtemps au sein de fonds d’investissement, au moment où la part du non-coté s’accroît chez les investisseurs institutionnels. Témoin la société Uber, qu’un dernier tour de table valorise à près de 70 milliards de dollars et qui ne souhaite toujours pas aller en Bourse (les méchantes langues disant que c’est par peur de ne pas y retrouver cette valeur stratosphérique).

Mais une dernière explication domine toutes les autres, selon les spécialistes : jamais depuis le début du siècle dernier le capitalisme américain n’a été aussi concentré. S’il y a moins d’entreprises cotées, celles qui restent sont de plus en plus grosses. Les cinq plus grosses capitalisations mondiales dépassent chacune les 400 milliards de dollars (et sans surprise sont les fameuses GAFA, ou plutôt GAFAM pour y rajouter Microsoft). Et les grosses entreprises rachètent les plus petites ou même des grosses, comme on le voit dans les secteurs du numérique ou de la pharmacie, souvent dans une logique de rattrapage technologique. Mais les secteurs traditionnels eux aussi se concentrent, comme le montre l’OPA que souhaite faire PPG sur AkzoNobel ; ou celle que voulait faire Kraft sur Unilever. Les sociétés cotées sont des cibles de choix, mais aussi celles qui sortent du giron du venture capital. De là vient l’assèchement des sorties en Bourse et la chute du nombre des entreprises cotées.

Les nouveaux entrepreneurs intériorisent cette contrainte : rares sont ceux qui cherchent à être des bâtisseurs, à la Mark Zuckerberg. Devant la difficulté de croître de façon autonome et devant les valorisations atteintes sur le marché du M&A, ils préfèrent passer la main, quitte à tenter l’aventure sur un autre projet avec les fonds résultant de la vente. Ce n’est pas forcément un signe rassurant. La concentration est souvent l’indice de rentes de situation, de capacité à peser sur les politiques publiques, et à échapper à la réglementation et à l’impôt.

François Meunier Co-président du comité éditorial ,  Vox-Fi (DFCG)

François Meunier est co-président du comité éditorial de Vox-Fi (DFCG)

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