Après Draghi : un Delphien ou un Odysséen ?

Publié le 12 janvier 2018 à 15h05    Mis à jour le 12 janvier 2018 à 18h10

Jean-Paul Betbèze

L’après-Draghi ? Pas d’actualité, mais tout le monde y pense ! Vítor Constâncio, le numéro deux, s’en va fin mai 2018. Il devrait être remplacé par un membre d’un pays «moyen», du Sud plutôt. On parle de Luis de Guindos, économiste, ministre espagnol de l’Economie. Mais le Parlement européen fait remarquer que la BCE est très masculine, sachant que Rajoy est en difficulté (et en général on ne prend pas de politiques). Quelqu’un de l’Est alors ? Bonne idée, ça créera des liens ! La valse des postes est ouverte : le 31 mai 2019, départ de l’économiste Peter Praet, en attendant, le 31 octobre 2019, celui de Mario Draghi.

Un Delphien ? Mais qu’est donc cette espèce de banquier central ? Quelqu’un qui annonce une date pour donner une limite à son action, et s’y tient. L’appellation est grecque, mais la théorie économique est récente ! La «date», c’est fin septembre 2018, celle où le banquier central delphien arrêtera ses achats mensuels de 30 milliards en bons du Trésor. Comme l’économie et les marchés connaissent son comportement (delphien !), ils savent qu’il ne va pas changer d’avis. Ils suivront son annonce, pensant que l’inflation ira vers 2 % fin 2019, sans soutien nouveau de sa part.

Avec cette idée en tête, les taux des obligations monteront doucement vers la «date» : ils n’attendent pas de rallonge. Cela stimulera le crédit pour investir et embaucher, les entrepreneurs se disant que, après la «date», les hausses de taux pourraient être plus rapides. On ira vers une inflation à 2 %, avec une Bourse qui aura beaucoup monté, mais sans à-coups, ni trop de risque. Ainsi, en s’arrêtant à la «date» indiquée, il n’y aura pas de recours excessif à un crédit trop peu cher qui pourrait inciter les banquiers fragiles à trop prêter, et les entreprises et les ménages fragiles à trop emprunter. Les marchés sont donc prévenus : pas de rallonge, pas d’excès, moins de risques ! Paradoxe delphien : la «date» ne coupe pas, mais permet de lisser ! On aura peut-être reconnu, en delphien, le président de la Banque centrale allemande, Jens Weidmann.

Un Odysséen ? Encore une référence grecque ! Oui, car rien n’est jamais sûr à Delphes ! Le mieux est alors de compléter la prévision à deux ans de la BCE sur les 2 % d’inflation par l’engagement de continuer, si l’objectif n’est pas atteint. Ulysse, dans «L’Odyssée», s’attache à un mât pour résister aux Sirènes et poursuivre sa route… vers 2 %. Il ne donne pas de durée limite pour sa traversée (ses achats de bons du Trésor). Il est «open ended» ! Ce qu’il veut, c’est l’Ithaque à 2 % ! La BCE dit, avec l’Odysséen Draghi, qu’elle gardera ses taux bas pour une longue période de temps («a long period of time») et les montera bien après («well past») la fin de ses achats de titres. Surtout, «si les conditions financières ne permettent plus de nouvelles avancées vers un ajustement durable de l’évolution de l’inflation, nous sommes prêts à accroître le volume et/ou à allonger la durée… du programme d’achats d’actifs». Les marchés financiers sont tranquilles : ils pourront voir venir.

Après Draghi l’Odysséen, Weidmann le Delphien pour neuf ans n’est donc pas la réparation du «problème Axel Weber», le président de la Bundesbank qui devait succéder au Français (Jean-Claude Trichet) et au Néerlandais (Wim Duisenberg). La question du temps donné par la Banque centrale pour avoir plus d’inflation, plus de croissance, c’est en fait celle du temps, plus ou moins long, pour faire les réformes. «Faire les réformes», c’est assouplir le marché de l’emploi, augmenter la compétitivité et la productivité, réduire le déficit public. Le tout pour avoir plus de croissance et, pour les banquiers centraux, plus de moyens d’amortir la future crise !

Un président delphien de la BCE veut accélérer la guérison en annonçant l’arrêt du traitement. Un président odysséen veut poursuivre les doses jusqu’à voir 2 % d’inflation dans «le blanc de l’œil». La venue du Delphien Weidmann n’ira donc pas de soi. Le Français François Villeroy de Galhau pourrait tenter une voie moyenne : le temps est proche de la remontée des taux, mais sans qu’on puisse dire que la zone euro est guérie en Italie (créances douteuses), en Allemagne (banques coopératives peu rentables), en France (chômage), en Espagne (Catalogne)… plus Brexit et pays européens de l’Est. N’oublions pas Hippocrate : «J’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences.» Un Grec !

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite de l’université Panthéon Assas ,  Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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