Etats-Unis : le pays le moins risqué du monde l’est davantage

Publié le 25 novembre 2016 à 17h54

Jean-Paul Betbèze

Trump Président : ces élections vont laisser des traces ! Elles vont faire monter partout le niveau de risque et peser sur la croissance mondiale. Surtout, elles vont faire douter de la stabilité et de la prévisibilité de la première puissance économique et militaire mondiale. Son système de checks and balances est en question. Les marchés financiers n’y comprennent plus rien, déjà inquiétés par le Brexit. Mais ce qui se passe est plus grave : les montées du populisme côté Républicains et de la gauche côté Démocrates ont changé les lignes politiques américaines. Plus qu’improbable il y a quelques mois, Donald Trump a fait avancer chez les Républicains des idées opposées à leurs anciennes doctrines : moins d’ouverture internationale et plus de dépenses publiques. Hillary Clinton, de son côté, a dû accepter plus de dépenses publiques, plus d’impôts sur les plus hauts revenus et une forte hausse du salaire minimum, dans la ligne Bernie Sanders. Cela restera.

Surtout, ce n’est pas seulement la bipolarisation qui a marqué et rendra plus difficiles à trouver des accords bipartisans. C’est aussi la violence des positions de Donald Trump, l’instabilité des sondages et l’interférence des puissances étrangères, Russie sans doute, Chine peut-être. Nous entrons dans un monde plus complexe où l’avantage américain, qu’il soit économique, technologique, financier ou militaire, n’est plus évident. Et son leadership idéologique est en question. Regardons le pétrole : où iront les tensions entre Arabie saoudite et Etats-Unis, où ira la renégociation de l’accord avec l’Iran ? Regardons la mer de Chine : que va-t-il s’y passer ? La Chine veut y développer sa voie maritime et sa puissance militaire. Elle veut la surveiller, face au Japon, aux Philippines, à la Malaisie et au Vietnam. Les Etats-Unis en ont (avaient ?) fait leur nouveau pivot, au détriment de l’Europe et du Moyen-Orient. Mais, la Chine prend conscience de sa faiblesse. Elle avance vite ses pions : aux Philippines de façon surprenante, maintenant en Malaisie. Le Vietnam sera pris en corner. Le Japon devra s’armer plus, donc s’endetter plus. Et en zone euro, face à la Russie (et à la Turquie), les Etats-Unis seront moins présents. Donald Trump a annoncé une sorte de «renationalisation» de la puissance militaire américaine, demandant au Japon et à l’Europe, notamment, d’intervenir plus dans l’Otan.

Les marchés financiers vont revoir leur échelle de risque. Pour l’agence Standard & Poor’s, les Etats-Unis ne sont plus officiellement AAA, mais il ne s’agit là «que» de croissance et de finance. Implicitement, tout le monde sait que les Etats-Unis sont le seul lieu sûr, pas «seulement» AA+, comme ils le notent. En cas de risque majeur, le franc suisse est trop «petit» face aux mouvements mondiaux de capitaux et sa hausse y étranglerait l’économie. L’or monterait, mais les stocks sont faibles. Le seul lieu financier liquide reste les Etats-Unis. Mais il est moins sûr qu’avant, cette fois pour des raisons géopolitiques.

Comment les agences de rating vont-elles traiter ce problème ? Le risque zéro n’existant bien sûr nulle part, le risque moindre, les Etats-Unis, devient plus élevé. Les grandes régions vont chercher à se protéger plus en matière d’échanges internationaux, à renforcer leurs frontières et leurs armements. On peut attendre de cela un creusement des déficits budgétaires et une montée des taux longs, mais relativement moindre pour les Etats-Unis. En effet, même s’ils sont plus risqués qu’avant, ils le sont relativement moins que les autres.

Attendons les nouvelles analyses qui vont porter sur le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et la zone euro. Dès sa construction, les dépenses d’armement dans la zone n’avaient pas été isolées dans les calculs de déficit budgétaire par rapport au PIB. Cela ne peut plus durer. Avec une dépense d’armement de 2,1 % de son PIB, la France est un parapluie relatif pour l’Allemagne, l’Espagne ou les Pays-Bas (tous pays à 1,2 %), sans oublier l’Autriche (0,7 %, neutre) ou le Luxembourg (0,5 %)… Cela est oublié quand on compare les déficits budgétaires, alors que c’est déterminant quand on ne peut plus se cacher derrière les Etats-Unis. Notre monde est méconnaissable. Le phénomène Trump a accéléré et révélé ces changements, auparavant souterrains. Le risque monte, il faudra le calculer et le payer, pour vraiment le réduire.

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite de l’université Panthéon Assas ,  Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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