Un monde moins incertain ?

Publié le 13 octobre 2017 à 18h09

Jean-Paul Betbèze

Ce n’est pas du tout notre sentiment, c’est pourtant ce que disent l’indicateur de Stanford sur la mesure de l’incertitude et les indicateurs financiers ! Est-ce donc que la «forward guidance», le guidage des anticipations de marché par les banquiers centraux, marcherait au-delà de toute espérance ? Et qu’est-ce que cela implique pour les actions ?

D’abord, l’indice de mesure de l’incertitude de l’université de Stanford (EPU : «index of economic policy uncertainty») se calme, après être passé par des plus hauts l’an dernier, avec les élections américaines, brésiliennes, françaises et le Brexit ! Le voici, pour le monde, à moins de 150, contre 100 en moyenne de 1997 à 2015 et alors qu’il était à 300 il y a six mois ! A 150, il rejoint son étiage depuis 2008, date de la grande récession, contre 80 entre 1998 et 2008, pendant la grande modération. Et voilà que ce calme vient surtout des indices européens, britannique et chinois, par rapport à un indice américain agité, même s’il redescend lui aussi !

Etabli à partir d’articles de journaux, cet indice traque les mots «incertain» ou «incertitude», en relation avec «Congrès», «déficit», «Federal Reserve», «White House» aux Etats-Unis, avant de s’étendre aux dix-sept autres économies majeures du monde. Aux Etats-Unis, il a connu des sommets avec l’attaque contre les tours de New York (11 septembre 2001), mais plus encore avec les questions sur le plafond de la dette publique (2011), la faillite de Lehman Brothers (15 septembre 2008) et la crise budgétaire («fiscal cliff», janvier 2013). L’inquiétude est politique dans certains cas extrêmes, et plus souvent liée à la situation budgétaire ou financière. En France, cet indice a monté depuis la crise mondiale de 2008, notamment avec les tensions européennes. Mais il a atteint son point le plus haut, et de très loin, avec l’élection présidentielle cette année. Depuis, l’incertitude a rejoint son niveau moyen depuis 2010.

Ce reflux de l’inquiétude est encore plus net sur les marchés financiers. Il se traduit par l’évolution de l’indice Vix, qui mesure les volatilités moyennes des options d’achat et de vente sur l’indice américain S&P 500. Cet «indice de la peur», pour reprendre son nom célèbre, n’a jamais été aussi bas. Tellement bas que les experts s’en inquiètent. Le risque aurait-il disparu ? Non ! Est-il caché sous l’excès de confiance fait aux banques centrales ? Peut-être que oui.

C’est là que l’on comprend l’intérêt, et le risque, de la «forward guidance». Aux banques centrales de parler de la situation et de répéter leurs objectifs : 2 % d’inflation et plein-emploi aux Etats-Unis, 2 % d’inflation en zone euro. A elles de préparer les esprits aux augmentations de taux et surtout aux changements de cap : ventes de bons du trésor aux Etats-Unis et moindres achats en zone euro actuellement. L’idée est d’arrondir les angles, d’éviter les sursauts, plus encore les surprises.

Les banques centrales ne sont plus là, comme avant, pour empêcher et punir les emballements des marchés financiers : elles sont leurs interlocutrices. Les marchés sont en confiance. Ils se disent que les banques centrales voient d’autant plus loin qu’eux qu’elles savent à l’avance ce qu’elles vont faire ! Ils redoublent d’allure… en profitant des taux d’intérêt bas, non pas tellement pour s’endetter pour investir, mais pour acheter le concurrent (au début), leurs propres actions (ensuite) et maintenant pour rester plus liquides, dans l’attente.

Alors les cours boursiers montent, aux Etats-Unis, en Allemagne, maintenant en France, avec une croissance modeste mais surtout peu inflationniste, donc sûre de durer avec ces politiques monétaires accommodantes. Et les banques centrales préviendraient, si elles devaient serrer !

Tout se passe comme si l’incertitude avait disparu des marchés financiers, au moment où elle est de plus en plus forte dans la politique et la géopolitique. Cela accroît, aux yeux des marchés, le rôle sinon protecteur, du moins «avertisseur» des banques centrales ! Mais si l’inflation n’est plus dans les salaires et les prix, elle est dans les cours. L’inquiétude qui baisse fait monter la tranquillité, puis l’insouciance, au détriment de la vigilance. Jusqu’au moment où l’avertissement aura lieu, d’autant plus strident que les marchés se seront habitués à la douce musique de leurs banquiers centraux. Le monde n’est pas moins incertain : gagneront ceux qui ne se laissent pas bercer.

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite de l’université Panthéon Assas ,  Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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