La Chine : naviguer en bravant les vagues

Publié le 11 septembre 2015 à 15h57    Mis à jour le 11 septembre 2015 à 17h45

Michel Foucher

Lors de la parade militaire du 3 septembre à Pékin commémorant la fin de la Seconde Guerre mondiale en Asie orientale, le président Xi Jinping portait une veste à col fermé évoquant pour le public chinois celle de Sun Yat-sen, fondateur de la République et grand modernisateur.

Ayant le sens des formules sonores, il avait démarré son mandat sur le thème du «rêve chinois» : «Je crois que le rêve des Chinois, c’est la renaissance de leur nation dans les Temps modernes.» L’ambition est bien de restaurer la puissance régionale chinoise, y compris militaire, et d’assurer la stabilité et la «moyenne aisance» aux Chinois. Ce concept de «rêve chinois» paraît importé d’une réussite américaine qui fascine ; il est en fait le titre d’un ouvrage publié par le colonel Liu Mingfu, patriote dans la tradition progressiste et antijaponaise des années Sun Yat-sen et persuadé qu’il faut moderniser à nouveau la Chine pour mieux dépasser les Etats-Unis. Après plus de trois décennies de rattrapage (1978-2014) durant lesquelles le PNB a été multiplié par 22 et le revenu par habitant par 15 tandis que le pays est passé de 3 % du PIB américain (en parité de pouvoir d’achat) à 25 %, la Chine entre dans une nouvelle période de modernisation. Elle est parvenue au niveau de vie de la Corée du Sud vers 1980. La moyenne aisance signifie augmenter un niveau de vie qui reste à 21 % de celui des Etats-Unis, soit celui du Japon en 1951.

En mai 2014, Xi Jinping fit endosser par la conférence du Comité central sur le travail économique un autre concept, celui de «nouvelle normalité économique». En clair, une croissance durablement moindre (entre 4 % et 6 % plutôt qu’entre 7 % et 10 %), le choix de passer du «made in China » (l’atelier du monde où 60 % du commerce extérieur est le fait de firmes étrangères) au «made by China» à l’horizon 2025, via la formation et la recherche, l’innovation et la montée en gamme, les services et une économie plus verte. L’enjeu est d’engager une transition entre deux régimes de croissance, où le marché intérieur, les grands équipements, le développement des régions intérieures seront de nouveaux vecteurs de hausse des niveaux de vie et de la stabilité sociale, valeur cardinale.

Les défis sont immenses : inégalités sociales dont la violence justifie la lutte contre la corruption, déséquilibres régionaux non compensés par les grandes infrastructures, degré inégalé des pollutions de l’air, des eaux et des sols que le non-respect des normes aggrave, réticence des oligopoles d’Etat à s’acquitter de l’impôt, excès d’épargne nourri par la hausse des salaires qui favorise les bulles immobilières dans un pays où l’urbanisation (780 millions de citadins, dont 224 millions sans permis de résidence) est un des moteurs de la croissance, absence de vision d’ensemble de la gestion des marchés financiers en essor, surendettement des collectivités et des entreprises, surinvestissement dans les capacités industrielles dans une quinzaine de secteurs (acier, ciment, aluminium, construction navale, panneaux solaires, éolien), dont la résorption détruirait des emplois en menaçant la stabilité sociale.

Le FMI estime que la Chine a surinvesti l’équivalent de 10 % de son PIB, et ces surcapacités contribueront à ralentir le passage à un nouveau modèle de croissance. L’Etat encourage les firmes à les transférer à l’extérieur ; c’est le ressort des projets de nouvelles «routes de la soie». Enfin, les autorités estiment que le problème principal est de gérer correctement les relations entre le gouvernement et le marché. A l’été 2015, c’est le bureau permanent du Comité central du parti qui a décidé une double dévaluation pour atténuer le ralentissement des exportations et qui a autorisé des interventions massives sur les marchés financiers. Une économie de marché plus complète – un des vecteurs de la nouvelle normalité – est-elle compatible avec une concentration accrue du pouvoir politique ?

La Chine n’est pas au service de l’économie mondiale ; son rattrapage réussi, dans la foulée des économies développées, montre que c’est l’inverse. Mais sa transition vers un régime de croissance plus endogène affecte les producteurs de matières premières et invite les entreprises européennes à accompagner cette mutation. Car si les Etats-Unis fascinent les Chinois, l’Union européenne reste une référence et une nécessité. Le Premier ministre chinois s’est engagé lors de sa dernière visite à Bruxelles à soutenir l’euro, monnaie de réserve d’un monde multipolaire, selon Pékin.

Il nous faut, Chinois et Européens, apprendre à «naviguer en bravant les vagues».

Michel Foucher Conseiller du président ,  Compagnie financière Jacques Coeur

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