Le temps de l’action

Publié le 20 novembre 2015 à 17h54

Michel Foucher

Après l’effroi devant le carnage du 13 novembre, la soumission et le repli ne sont pas des options. Mais vaincre la peur, que chacun reconnaît désormais porter en soi, passe par l’engagement face au terrorisme que Raymond Aron désignait comme une action dont l’impact psychologique dépasse de beaucoup les effets physiques. Il vise les esprits et les volontés et la mise en scène de l’horreur déstabilise les esprits.

La France est un Etat fort mais des remises en cause profondes de l’action collective sont requises sur trois registres. D’abord à l’échelle nationale. Au nom du libéralisme démocratique et d’une tolérance multiculturelle trop naïve, des activistes dûment identifiés et suspectés restent libres de leurs mouvements et des prêcheurs salafistes radicaux tolérés alors qu’ils répandent une idéologie haineuse et totalitaire. Au nom du libre marché de l’information, des chaînes de télévision et les fameux réseaux sociaux amplifient, par le flot d’images déversées, l’effroi suscité par les carnages, déstabilisent la société ; elles font le jeu de Daech dont l’habileté médiatique (son site diffuse en treize langues ; il est animé par des experts en technologies de l’information qui jouent aux jeux vidéo entre deux massacres) lui donne une influence bien supérieure à ses capacités militaires et entretient son pouvoir d’attraction (avec plus de 25 000 recrues étrangères, sur un rythme de 700 arrivées par mois via une frontière turque bien poreuse et qu’Ankara ne contrôle guère). 

Ensuite à l’échelle de l’Orient. Daech tirait sa force (embrigadement et entraînement, ressources et propagande) du fait de disposer de portions de territoires dans les régions périphériques de la Syrie et de l’Irak abandonnées par des pouvoirs centraux en repli. Cette assise territoriale est sa faiblesse ; il sera vaincu en Syrie dès lors que l’on s’y attaquera (Kurdes, coalition franco-américaine élargie à la Russie) ; ce sera plus long en Irak tant que les provinces sunnites seront marginalisées par le gouvernement chiite de Bagdad. La direction de Daech a anticipé cet avenir en disposant de provinces opérationnelles dans le monde arabe, avec un pôle établi dans le Sinaï égyptien et un second en développement en Libye et en portant l’agression en terres francophones (Paris, Musée juif de Bruxelles) avant de viser la Rome de la Papauté, Londres et d’autres cibles en Europe. On ne peut plus laisser la guerre civile syrienne se poursuivre depuis tant d’années ; un règlement diplomatique visant à une série de cessez-le-feu locaux puis à une transition politique est la priorité des acteurs extérieurs. Après tout, les accords de Dayton de 1995 mirent fin à la guerre en Bosnie et l’un des signataires, Milosevic, mourut dans la prison du Tribunal international de La Haye neuf ans plus tard. Ensuite, il faut examiner de manière critique notre politique sunnite. Certes, les marchés du Golfe sont nécessaires à l’équilibre du budget de la défense mais nous payons, en France comme en Afrique occidentale, le prix de la réislamisation financé par les fondations wahabites depuis quarante ans. Enfin, il faut se préparer à enrayer militairement l’implantation de Daech en Libye avant qu’elle ne percole en Afrique noire.

A l’échelle européenne enfin, une révision du projet commun est indispensable : l’objectif géopolitique ultime ne doit plus seulement être un grand marché et la construction interne mais un engagement dans les affaires d’un monde qui commence à nos portes[1]. On a beaucoup reproché à la France, à juste titre, de ne plus être capable, faute de réformes, de porter des initiatives en Europe. La mise en œuvre pour la première fois de la clause d’assistance mutuelle et de la clause de solidarité du Traité sur le fonctionnement de l’UE permet de mobiliser des instruments, policiers, militaires… des autres Etats membres et de sortir d’une situation où la France est seule à assumer des responsabilités stratégiques dans les voisinages critiques de l’UE. La crise migratoire avait reçu une réponse allemande conforme à l’humanisme européen ; les agressions en cours et prochaines obligent les Européens à penser et surtout agir collectivement de manière stratégique. 

Ce que nous devons craindre finalement, c’est notre indifférence et notre angélisme face aux défis et menaces d’un monde qui, pour paraphraser Georges Clemenceau face au président Wilson, a «l’inconvénient d’être».

[1] Michel Foucher, L’Union européenne dans le monde, qui commence à ses portes, Rapport Schuman sur l’état de l’Union, 2015, Fondation Robert Schuman et Lignes de repère, mars 2015

Michel Foucher Conseiller du président ,  Compagnie financière Jacques Coeur

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