L’Europe, nouvelle passion chinoise ?

Publié le 9 septembre 2016 à 15h51

Michel Foucher

L’année 2016 se conclura sur un montant record d’investissements chinois en Europe et, en juin 2016, le total de 2015 (23 milliards d’euros, en hausse de 44 % par rapport à 2014) était déjà dépassé avec les 119 projets en cours. Après Pirelli en 2015, ChemChina s’intéresse au suisse Syngenta AG pour 43 milliards d’euros, à la firme allemande de robots Kuka, qui prépare l’industrie 4.0.

Le mot d’ordre «Go Global» (Zǒu chūqù) s’adresse aux banques et aux entreprises d’Etat (les SOE assurent 70 % des acquisitions effectuées en Europe). L’Europe est une cible stratégique dans la politique chinoise d’internationalisation et d’innovation ; l’acquisition d’entreprises occidentales de pointe est un vecteur de rattrapage, en plus de la priorité donnée à la R&D (2,1 % du PIB).

La stabilité juridique, l’avance technologique et la profondeur du marché de l’Europe l’expliquent. Les échanges entre les deux ensembles totalisent déjà près d’1,4 milliard d’euros par jour ; l’UE est le premier fournisseur de la Chine et son deuxième client, avec un fort déséquilibre (410 milliards contre 208) que les appels répétés des officiels européens ne corrigent. La Chambre de commerce européenne en Chine déplore l’absence de réciprocité entre l’ouverture de l’UE et les restrictions croissantes dans l’accès au marché chinois[1].

Cet intérêt chinois n’a pas été ralenti par l’hypothèse du Brexit, que Pékin a critiqué («un événement marquant la direction prise par le Royaume-Uni, celle d’un petit pays avec une faible population, qui renonce à croire en lui et agit imprudemment» selon le Global Times, version anglophone du groupe Quotidien du Peuple). Sauf dans l’immobilier et l’émission des bons du Trésor chinois libellés en yuans[2], les firmes chinoises vont renforcer leur choix en direction de l’Allemagne, de la Belgique, de l’Italie, après la Grèce (port du Pirée, élément d’une chaîne logistique qui inclut également Port-Saïd sur le canal de Suez) et les Etats d’Europe centrale et orientale. Pour ces derniers, un format de rencontres à 16+1 a été bâti. Si le Président XI Jinping a pris le temps de se rendre en Serbie, en Pologne et en Russie, c’est pour promouvoir son projet phare dit OBOR (One Belt One Road) et assister avec le président polonais à l’arrivée à Lodz d’un premier convoi ferroviaire parti de Chengdu, dans le Sichuan, chargé de produits électroniques : la «connectivité» continentale, ferroviaire et bientôt numérique, est un mot clé à Pékin.

La France, qui dispose d’un capital de sympathie (reconnaissance diplomatique de 1964, attraction d’un art de vivre et de savoir-faire[3], talents des architectes et urbanistes, plus de 20 milliards d’euros d’investissements en Chine dans 1 500 entreprises et 2 500 implantations[4]), est perçue comme un pays de technologies avancées, doté d’institutions financières solides (fonds d’investissement commun entre la Caisse des dépôts et la Banque chinoise de développement), bénéficiant d’une position géographique centrale dans l’espace européen (qui intéresse les sièges sociaux européens de firmes comme Haier, ZTE, Lenovo, Huawei) et riche en terres céréalières (Champagne du Berry), qui manquent dans un pays consommant en produits agricoles l’équivalent de 2,5 fois sa surface agricole utile. On recense déjà plus de 200 filiales d’entreprises chinoises en France.

Il reste qu’avant d’accorder le statut d’économie de marché[5] à la Chine, les Européens doivent conclure un accord global sur les investissements, exiger la réciprocité dans l’accès au marché, développer les mesures défensives quand c’est requis face aux surcapacités chinoises (pour l’acier, elles se montent à 2,5 la production européenne, avec le risque réel d’une concurrence déloyale). Il revient à la Commission de coordonner les réponses et de mettre en œuvre les décisions annoncées dans la «nouvelle stratégie de l’UE sur la Chine» diffusée en juin 2016[6]. Elle fixe notamment le principe d’une ouverture aux investissements chinois à condition qu’ils soient conformes à la législation de l’UE, que la propriété intellectuelle soit respectée. Autant dire que de longues négociations seront nécessaires et des débats au cas par cas pour protéger les secteurs stratégiques.

 

[1] European Business in China, Position Paper, 2016-2017, juin 2016.

[2] Le dossier nucléaire d’Hinkley Point est suspendu.

[3] Cf. Atlas de l’influence française au XXIe siècle, Robert Laffont, 2013.

[4] PSA vient d’inaugurer sa 4e usine, à Chendgu.

[5] Voir la Lettre n° 1 de CFJC consacrée à la Chine, novembre 2015 www.cfjc.fr/actualites/la-chine-comment-%C2%AB-naviguer-en-bravant-les-vagues-%C2%BB-lettre-jacques-c%C5%93ur-n%C2%B01.html.

[6] Elements for a new EU strategy on China, JOIN (2016) 30 final 22/6/2016.

Michel Foucher Conseiller du président ,  Compagnie financière Jacques Coeur

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