L'Iran, une théocratie économique émergente ?

Publié le 3 juillet 2015 à 16h30

Michel Foucher

Sans attendre la conclusion définitive d'un accord entre les cinq Etats membres du Conseil de sécurité et l'Allemagne d'une part, et l'Iran d'autre part, lequel pourrait être acquis cet été après d'ultimes pourparlers, les firmes occidentales ont repris leur bâton de pèlerin.

L’accord intérimaire signé à Lausanne le 2 avril avait donné le signal : ralentissement sur dix ans du programme nucléaire iranien contre inspections et levée progressive des sanctions.

Les délégations d’affaires sont bienvenues car les sanctions renforcées depuis 2012 ont fait chuter le PIB (– 8,5 %), les recettes pétrolières, la production industrielle et la valeur du rial. Motivé par la fierté nationale plus que par des besoins en énergie (l’essentiel de l’électricité est fourni par les turbines à cycle combiné vapeur-gaz de Siemens et la centrale nucléaire russe de Buscher ne produit que 1/70 du total), le programme nucléaire aura coûté directement entre 70 et 100 milliards de dollars. Et selon le Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime, les trois catégories de sanctions (ONU, UE et Etats-Unis) ont privé le pays d’un an de PIB ou de cinq années d’exportations pétrolières, soit environ 460 milliards de dollars. Le président Rohani, conservateur modéré entouré d’un gouvernement d’experts rompus aux questions internationales, a besoin d’en sortir pour redresser l’économie en misant sur un secteur privé encore restreint (moins de 25 % du PIB).

Après Shell, l’ENI et Total, le Medef reprendra le chemin de Téhéran fin juillet, après Laurent Fabius. La France, partant de positions historiquement fortes (automobile avec PSA, Renault et Renault Trucks, hydrocarbures, énergie, transports et pharmacie), a plus perdu que d’autres : ventes divisées par cinq en dix ans, échanges totaux par sept (555 millions d’euros en 2013 contre 3,7 milliards d’euros en 2004). Le poste matériels de transport a chuté de 1,3 milliard d’euros en 2004 à 32 millions en 2013. La place de la France (0,82 % de part de marché) a été prise par l’Allemagne (3,09 %, car les canaux de financement passent par des banques de Länder ne recourant pas au dollar US), l’Italie (1,71 %, Alitalia dessert Téhéran, comme la Lufthansa mais pas Air France !), la Chine (17,3 %), la Corée du Sud (7 %), l’Inde (6,5 %), la Turquie (5,6 %)[1]. Le transit par des pays tiers (Turquie et EAU) n’efface pas le fait que la France s’est exclue du doublement en dix ans des importations iraniennes.

Ces missions trouveront un pays paradoxal : la société civile la plus sécularisée du Moyen-Orient, comme en témoignent la faiblesse du taux de fécondité et l’intérêt de la jeunesse urbaine pour l’Europe et les Etats-Unis ; un régime post-sanctions à la chinoise avec un libéralisme économique assumé et un contrôle politique autoritaire (sous la férule du Guide) ; une économie étatisée à 75 % du PIB, en y incluant la part considérable de la centaine de fondations religieuses et parapubliques à fonction sociale (les bonyad qui pèsent entre 30 % et 40 % du PIB). Le FMI recommande[2] de mettre fin à l’exemption fiscale dont elles bénéficient. Le régime théocratique installé depuis 1979 a su créer ses assises économiques et les holdings de ces fondations sont devenues des partenaires obligés dans plusieurs secteurs : produits agricoles, textile, chimie, mines, construction automobile, boissons sucrées, BTP et même banques.

Bref, l’accord sur le nucléaire vaudra reconnaissance internationale du statut de l’Iran comme puissance régionale (ce que récuse l’Arabie saoudite) et comme pays réémergent, avec un marché de 80 millions d’habitants attendant beaucoup d’une ouverture économique. La levée des sanctions prendra du temps : six à huit mois de délais institutionnels (ratification par le Congrès américain et inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique) et un à deux ans de délais économiques (retour des avoirs extérieurs, soit environ 150 milliards de dollars).

Mais les acteurs économiques seraient bien avisés de faire un pari sur le long terme et les responsables politiques français gagneraient à rééquilibrer une approche trop marquée sur le seul versant arabe et sunnite du Moyen-Orient. Voilà, à la suite de Charles de Gaulle[3], «une idée simple pour un Orient compliqué» : diversifier nos relations d’affaires.

[1]. Ambassade de France en Iran, service économique de Téhéran, janvier 2015, DG Trésor.

[2]. IMF Executive Board Concludes Article IV Consultation with the Islamic Republic of Iran (3 avril 2014 ; 9 février 2015). Les deux rapports pointent l’amélioration marquée des conditions macroéconomiques.

[3]. « Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples » (Mémoires de guerre, L’appel, l’Orient).

Michel Foucher Conseiller du président ,  Compagnie financière Jacques Coeur

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