La BCE agira en mars, mais risque de décevoir

Publié le 29 janvier 2016 à 11h47    Mis à jour le 29 janvier 2016 à 18h29

Michel Martinez

Mario Draghi a encore montré son meilleur visage lors du Conseil des gouverneurs de janvier, assurant qu’il n’y avait «pas de limites» à l’action de la BCE, et répétant à l’envi qu’il «n’abandonnerait pas», quand bien même l’inflation resterait en dessous de 2 %. Comme en octobre dernier, les marchés se mettent à anticiper des mesures agressives en mars prochain (baisse significative du taux de dépôt, accroissement du QE). Malgré la baisse des marchés actions, la reprise se poursuit, ce qui suggère que la BCE se contentera du minimum.

Après la déception de décembre dernier, la BCE a envoyé en janvier de nouveaux signaux qu’elle était prête à assouplir sa politique en mars. A en juger par les enquêtes et les données dures récentes, le scénario de raffermissement de la reprise économique continue de se mettre en place et ce, malgré les risques financiers dont témoignent la correction des marchés actions et la baisse des prix du pétrole. Ce qui ne devrait pas pousser la BCE à agir de façon agressive. Certes, il faut continuer d’être accommodant car l’inflation est faible (0,4 % sur un an en janvier, très inférieure à la cible des 2 %) et le restera encore pendant plusieurs années. Malgré la faiblesse de l’euro, l’inflation domestique reste scotchée à 0,9 % l’an. Selon nous, il faudra trois ou quatre ans avant que le chômage baisse suffisamment pour que l’inflation domestique ne revienne près de la cible des 2 %. A moins d’envisager un fort rebond des prix des matières premières, il devrait en en être de même pour l’inflation totale.

Un tel scénario justifie que la BCE continue ses achats d’actifs et ses opérations de refinancement à long terme, au-delà de mars 2017 et au moins jusqu’à la fin 2017. Elle devrait annoncer une nouvelle baisse de son taux de dépôt, déjà en territoire négatif (probablement de - 0,30 % à – 0,40 %). Des ajustements techniques sont aussi possibles de façon à élargir une nouvelle fois le portefeuille de titres éligibles. Il faudrait selon nous un scénario beaucoup plus négatif pour qu’elle envisage une hausse de la taille de ses achats d’obligations, de 60 milliards d’euros par mois à 80 par exemple.

La principale raison tient à ce que la BCE pourrait avoir des problèmes à trouver suffisamment d’obligations éligibles au cours du temps. Elle ne peut pas acheter plus de 25 % des titres de dette souveraine émis depuis 2013 et 33 % (taux qui peut être relevé quelque peu) de ceux émis avant cette date. Selon nos estimations, à raison de 60 milliards d’achat d’obligations par mois, elle arriverait au bout de ses possibilités en octobre-novembre 2017. Des ajustements techniques lui permettront sûrement de prolonger cette date butoir de quelques mois. Mais si elle décidait d’augmenter la taille de ses achats dès maintenant, elle pousserait immédiatement les opérateurs de marché à anticiper quels types d’actions la BCE pourrait conduire par la suite.

Pour continuer d’intervenir, la baisse des taux d’intérêt serait une arme évidente, même s’il y a probablement des planchers à des baisses du taux de dépôt (aucune banque centrale ne s’est jamais engagée en dessous de – 0,75 %). Elle devrait surtout envisager d’acheter d’autres actifs plus risqués que les obligations souveraines, comme les actions, les ETF. Les risques politiques à acheter de tels actifs risqués sont probablement trop élevés pour que de tels achats ne puissent jamais prendre une ampleur significative. La Banque du Japon l’a fait, mais dans de faibles proportions. Toutes ces raisons nous conduisent à penser que la BCE préférera se garder des marges de manœuvre au cas où la situation se dégraderait fortement (risque de déflation).

Si toutefois une ligne plus agressive devait l’emporter au sein du Conseil des gouverneurs (agir fort maintenant quand bien même l’efficacité de telles politiques serait douteuse), la BCE ferait face dès 2017 aux contraintes mentionnées ci-dessus. Etant donné que les obstacles à l’achat de titres risqués sont élevés, elle n’aurait alors d’autre choix que de changer les règles. Au lieu de viser l’objectif de revenir à 2 % d’inflation à moyen terme (2-3 ans selon l’interprétation habituelle), elle pourrait décider de viser le long terme (5-10 ans), comme proposé récemment par l’ancien chef économiste de la BCE Otmar Issing. Elle pourrait aussi viser une fenêtre d’inflation (1 % à 3 % par exemple), fenêtre plus facile à atteindre en pratique que l’objectif actuel de rester proche des 2 %. Malgré la récente défense passionnée de Mario Draghi de la cible actuelle, nous nous attendons à ce que le sujet de la révision de la cible d’inflation prenne de l’ampleur dans les prochains mois.

Michel Martinez Chef économiste Europe ,  Société Générale Corporate & Investment Banking

Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking

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