La BCE parle beaucoup, mais fait peu

Publié le 11 avril 2014 à 18h23    Mis à jour le 30 avril 2014 à 17h43

Michel Martinez

Depuis novembre dernier et la baisse de son taux de refinancement à 0,25 %, la Banque centrale européenne a beaucoup communiqué sur sa capacité à assouplir sa politique monétaire, jusqu’à évoquer la planche à billets («QE») dans sa boîte à outils. Mais elle n’a pas agi malgré la faiblesse de l’inflation. La conséquence est que l’euro ne baisse pas. La crainte est que la BCE ne repose que trop largement sur la communication ou qu’elle n’utilise que des outils techniques de portée limitée. A ne pas agir fortement, la BCE prend aussi le risque qu’un nouveau choc dans l’économie mondiale ne plonge la zone euro en déflation.

La BCE indique qu’elle se tient prête à assouplir sa politique monétaire si l’inflation vient à surprendre à la baisse. Mais l’inflation est déjà très basse : 0,5 % en mars, 0,8 % pour l’inflation sous-jacente (hors prix alimentaires et énergétiques). La BCE met en avant que sa politique reste crédible puisque les marchés anticipent qu’à très long terme, entre 2019 et 2024, l’inflation resterait proche de 2,0 % l’an. Toutefois, le moyen terme est moins rassurant. Même la BCE reconnaît que l’inflation restera loin de la cible de son mandat (2,0 %) pour les trois prochaines années, puisqu’elle prévoit une inflation qui reviendrait seulement à 1,7 % sur un an fin 2016. La plupart des économistes et des autres institutions comme le FMI ont des prévisions plus faibles et considèrent que l’inflation restera en dessous de 1,5 % pour les cinq prochaines années.

De telles prévisions sont préoccupantes, car elles suggèrent qu’il n’existe pas de matelas au cas où un choc économique viendrait dérégler le scénario de lente reprise que la BCE a en tête. Pourtant, ces craintes existent à l’échelle mondiale, comme par exemple une crise géopolitique (Russie-Ukraine), des nouvelles turbulences dans les pays émergents et surtout un atterrissage brutal de la Chine. Pour notre part, nous estimons que la probabilité qu’une déflation, c’est-à-dire une période prolongée de baisse des prix conduisant à des comportements attentistes en matière de dépenses des agents économiques, intervienne n’est pas négligeable, de l’ordre de 15 %.

La BCE dispose certes encore de marges de manœuvre. Elle injectera probablement à nouveau de la liquidité dans les prochaines semaines, sachant que certaines banques restent encore vulnérables à l’approche de la publication des tests de résistance des banques prévue en octobre. Cela pourrait passer par une nouvelle opération de refinancement à long terme des banques (LTRO), la baisse du taux de réserve obligatoire ou un arrêt de la stérilisation du programme SMP. Elle est désormais assez explicite pour indiquer que, en cas de surprise sur l’inflation, elle baisserait marginalement le taux de refinancement des banques (actuellement à 0,25 %), qu’elle ferait passer le taux de rémunération des dépôts (actuellement à 0 %) en territoire négatif. Elle pourrait aussi renforcer son guidage des anticipations de taux d’intérêt en rendant public, à l’instar de la Fed, ses prévisions sur ses propres taux d’intérêt.

Toutefois, la solution utilisée dans les autres principaux pays avancés, c’est-à-dire faire tourner la planche à billets pour acheter massivement des obligations d’Etat, semblerait nécessaire en cas de risque d’une déflation généralisée. Nos estimations suggèrent qu’il faudrait que cette politique dite d’assouplissement quantitatif (dite «QE») atteigne une taille de près de 1 500 milliards d’euros d’actifs pour faire revenir l’inflation sur la ligne des 2 %. Toutefois, une telle solution se heurte à de nombreux obstacles politiques et potentiellement aussi à des obstacles légaux, notamment depuis le jugement négatif porté par la Cour constitutionnelle allemande sur le programme OMT inventé en 2012 par la BCE (programme d’achat conditionnel de dette souveraine). La BCE indique donc au marché sa préférence pour des achats de titres privés. Il s’agirait notamment de favoriser l’émission de produits de titrisation ABS (Asset Backed Securities) par les banques. Celles-ci pourraient «packager» un ensemble de prêts bancaires aux PME et revendre les meilleures tranches de crédit aux investisseurs, qui seraient rassurés par la présence réconfortante de la BCE à leur côté. Une telle solution présente pourtant des limites importantes. La première tient à la taille du marché de la titrisation. Le stock d’actifs éligibles est de l’ordre de 750 milliards d’euros et les émissions annuelles ne dépassent pas 200 milliards d’euros.

Même à imaginer que la BCE achète la totalité des émissions brutes pendant deux années, l’impact sur l’économie serait limité. L’autre contrainte tient à la réglementation. Elle invite les banques à détenir les tranches de crédit les plus risquées de ce type de produits de titrisation, tout en les pénalisant pour ce risque en termes d’exigence de capital. Un changement de la réglementation semble donc nécessaire, ce qui demandera de nombreux mois. On le voit, une telle solution n’apparaît pas crédible en cas de réelle menace déflationniste. Le risque pour la BCE est donc de ne pouvoir agir avec les vrais outils efficaces que sont les achats de dette souveraine que trop tardivement.

Michel Martinez Chef économiste Europe ,  Société Générale Corporate & Investment Banking

Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking

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