Croissance économique en Europe : qui croire?

Publié le 4 mai 2018 à 11h54    Mis à jour le 25 mai 2018 à 15h50

Philippe Brossard

Après une année 2017 brillante, marquée par une progression du PIB de + 2,5 % en moyenne annuelle, l’économie de la zone euro a connu un sérieux ralentissement au 1er trimestre (+ 1,6 % en rythme annualisé). Ce contraste est encore plus prononcé pour la France, où la croissance est passée de + 2,8 % sur un an au 4e trimestre 2017 à 1,0 % au 1er trimestre. L’Allemagne devrait également publier un chiffre médiocre pour les trois premiers mois de l’année, si l’on en croit la chute de sa production industrielle.

Cette décélération avait été annoncée par les enquêtes de conjoncture auprès des entreprises, qui ont culminé en décembre dernier, à un niveau très élevé, avant de chuter chaque mois jusqu’en avril. Ce mouvement global prend à revers l’évolution récente des prévisions économiques : le consensus sur la croissance du PIB en 2018 a été régulièrement revu en hausse depuis l’été 2017, et le FMI vient tout juste de relever ses prévisions, avec un PIB 2018 attendu en augmentation de 2,4 % en zone euro et de 2,1 % en France. Qui croire alors : les prévisions ou les chiffres du 1er trimestre ? Sans doute un peu les deux.

Factuellement, les données relatives à la période allant de janvier à mars ont un fort effet d’acquis sur la moyenne annuelle, qui sape les fondements des prévisions récentes (du FMI et autres institutions) : l’effet de base favorable de la fin 2017. Sauf révision des données trimestrielles récentes, la croissance 2018 ne pourra guère être supérieure à 2 % en zone euro et en France. En ce sens, le consensus des prévisionnistes en zone euro risque de baisser dans les semaines qui viennent.

Mais le sens général des prévisions récentes, qui peignent une zone euro en reprise, dépassant son potentiel de croissance en 2018 et sans doute 2019, reste sans doute correct. Le ralentissement du début d’année semble tenir à des facteurs transitoires plus qu’à un changement de fond. Parmi ces facteurs, retenons les deux principaux : l’appréciation de l’euro fin 2017, qui a dégradé la compétitivité extérieure d’une zone très dépendante de ses exportations, et le retard des salaires sur la (modeste) reprise de l’inflation, qui freine la reprise de la demande interne.

L’évolution de l’euro ces derniers mois a joué le rôle d’un auto-régulateur de croissance : l’accélération de l’activité au second semestre 2017 a renforcé la devise, via des anticipations d’un resserrement monétaire européen plus rapide, entraînant en retour un ralentissement des exportations et des investissements dans une zone moins compétitive. Mais la devise devrait se stabiliser vers 1,20 dollar, les marchés anticipant désormais que la BCE ne devrait pas remonter ses taux d’intérêt d’ici juin 2019, avant ensuite de procéder très lentement. Par contraste, la Fed risque de remonter ses taux un peu plus vite, un peu plus que les marchés ne l’anticipaient : le creusement de l’écart entre les taux monétaires européens (- 30 points de base, stables pour 12 mois) et américains (2,40 % actuellement et en hausse) devrait favoriser le dollar.

L’inflation, quasi nulle en 2016, rebondit graduellement en zone euro, en grande partie du fait de la hausse des prix pétroliers qui a connu une accélération inattendue ces derniers mois. Mais les salaires font preuve de plus d’inertie, si bien que le pouvoir d’achat des ménages progresse peu. Néanmoins, inflation et salaires devraient converger à nouveau dans les prochains mois. D’une part, certains pays se rapprochent du plein emploi (Allemagne, Pays-Bas) et les négociations salariales récentes s’y sont soldées par des revalorisations de l’ordre de 2,5 à 3 %. D’autre part, on peut espérer une stabilisation du pétrole sur les niveaux de prix actuels, voire une légère décrue en dessous de 70 dollars le baril de brent, qui permettrait à l’inflation totale de converger vers l’inflation hors énergie. Celle-ci se situe à peine à 1 % actuellement, et ne devrait progresser que lentement à l’horizon 2019.

Néanmoins, la zone euro est construite sur la recherche d’excédents courants nationaux obtenus par des politiques de l’offre et par une faiblesse chronique de la consommation des ménages, qui supportent les ajustements budgétaires. Cela la rend doublement vulnérable, à la conjoncture internationale, hors zone euro, et à l’organisation internationale du commerce. La première est restée bien orientée au 1er trimestre. Mais la seconde devient plus incertaine avec la montée du protectionnisme américain.

Philippe Brossard Chef économiste ,  AG2R

Philippe Brossard est le chef économiste d'AG2R La Mondiale.

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