Fusions-acquisitions et gouvernance

Publié le 10 septembre 2014 à 10h06    Mis à jour le 12 septembre 2014 à 16h46

Edith Ginglinger

L’année 2014 est caractérisée par un retour des fusions-acquisitions aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe. Les banques d’affaires se félicitent de cette recrudescence d’activité. Les actionnaires doivent-ils s’en réjouir également ? A posteriori, on s’aperçoit que dans un certain nombre de cas, la réponse est négative. En effet, lors des acquisitions, l’essentiel du gain est capté par les actionnaires de la cible : en moyenne, + 20 %, dont 6 % juste avant l’annonce (fuites et anticipation des investisseurs). Les actionnaires de l’initiateur ont des gains en moyenne nuls, mais sont plus importants lorsque les cibles ne sont pas cotées, pour les offres publiques comparées aux fusions et lorsque le paiement est réalisé en cash plutôt qu’en actions.

Des enquêtes auprès d’administrateurs montrent que les fusions-acquisitions représentent l’un des sujets stratégiques majeurs pour les conseils d’administration. Le conseil de la cible donne son avis sur l’opportunité de l’offre et sur le prix. Un conseil n’est pas tenu d’accepter une offre s’il considère que l’indépendance de l’entreprise est dans l’intérêt des actionnaires à long terme. Mais l’opposition du conseil peut être une position de négociation, afin d’accroître le prix de l’offre. Le conseil sera vigilant sur le positionnement du dirigeant : est-il tenté d’accepter un prix moindre pour les actionnaires en contrepartie d’une prime de départ plus élevée ou encore d’un poste significatif dans la nouvelle entité ? C’est ce que semblent montrer certaines études.

Le conseil de l’acquéreur se prononce sur la qualité de la cible et de ses alternatives éventuelles ainsi que sur le mode de paiement proposé (cash, actions ou mix des deux) et sur son adéquation à la situation de l’entreprise. Le prix proposé est l’élément clé de l’opération : n’est-il pas trop élevé ? On parle souvent de la malédiction du vainqueur : l’acquéreur qui l’emporte paie trop cher, au détriment de ses actionnaires.

Les prises de contrôle peuvent représenter un mécanisme disciplinaire pour les dirigeants de la cible, et en tant que tel, permettre le remplacement de ceux qui sont peu performants… parfois parce que le conseil d’administration n’a pas pu ou su procéder à temps à ce remplacement. Mais il est intéressant de constater que les dirigeants de l’acquéreur quittent également l’entreprise pour la moitié d’entre eux dans les cinq années qui suivent l’acquisition, dont un tiers par une prise de contrôle dont ils sont la cible. Leur remplacement intervient dans les situations où l’acquisition est suivie d’une baisse de performance. En effet, certains dirigeants surestiment leur propre compétence et pensent qu’ils géreront la cible bien mieux que l’actuel dirigeant. A l’arrivée, les effets de synergie et les gains attendus de l’acquisition ne sont pas toujours au rendez-vous.

Le conseil de l’acquéreur a également un rôle à jouer pour définir le bonus versé aux dirigeants à l’occasion des acquisitions. Si ces opérations entraînent un surcroît de travail, les études montrent que le bonus est indépendant des performances de l’opération, et est d’autant plus élevé que le directeur général est également président et qu’il y a moins d’administrateurs indépendants… résultat qui n’est pas lié au volume de travail supplémentaire, mais plutôt à la plus grande influence du dirigeant sur le conseil !

La composition du conseil a-t-elle un impact sur la qualité des acquisitions ? Selon la taille de la firme, les acquisitions peuvent être assez rares et les dirigeants en ont peu d’expérience. Les études empiriques montrent que la présence d’administrateurs dotés d’une expérience antérieure en matière d’acquisitions mène à des opérations plus performantes. Un administrateur indépendant étranger permet des acquisitions plus performantes dans son pays ; il a une meilleure connaissance des enjeux locaux. Les firmes dont le conseil d’administration est très féminisé sont moins enclines à procéder à des acquisitions, et les prix offerts sont inférieurs. Ce résultat peut s’expliquer par un moindre excès de confiance des femmes, facteur déterminant des acquisitions payées trop cher.

L’appartenance commune à des réseaux identifiés entre acquéreur et cible (typiquement des administrateurs communs entre les deux conseils) conduit rarement à de bonnes opérations pour les actionnaires : leurs performances sont négatives, probablement liées à de moindres efforts d’identification de la cible optimale. Mais le dirigeant de la cible et une partie de son conseil font plus souvent partie du conseil de la nouvelle entité, ce qui peut être une forte motivation. En effet, dans le cas général, les administrateurs de la cible sont très rarement sollicités pour faire partie du conseil de l’acquéreur après l’opération.

En conclusion, si le dirigeant est l’initiateur des acquisitions, le conseil a un rôle déterminant pour vérifier que l’opération est rentable pour les actionnaires.

Edith Ginglinger Professeur ,  Université Paris-Dauphine

Edith Ginglinger est professeur à l’Université Paris-Dauphine

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