Quelles caractéristiques des Initial Coin Offerings (ICO)?

Publié le 31 août 2018 à 10h52

Edith Ginglinger

Le marché des Initial Coin Offerings (ICO), qui permet aux entreprises innovantes en lien avec les blockchains de lever des fonds, connaît un développement rapide. Plus de 2 000 opérations ont eu lieu dans le monde, avec un taux de succès (montant minimum initialement fixé atteint) de l’ordre de 50 %, pour des levées de fonds totales de l’ordre de 24 milliards de dollars fin août 2018, pour l’essentiel depuis le printemps 2017[1] (un montant comparable par exemple au produit des introductions en Bourse en 2017 aux Etats-Unis[2]). Parmi les ICO réussies, un peu plus de la moitié choisissent ensuite d’avoir leurs tokens (jetons numériques) cotés, ce qui représente au 30 avril 2018 environ 650 tokens cotés. Les montants moyens levés pour les opérations cotées sont de 17 millions de dollars. Les pays où les ICOs sont les plus fréquents sont les Etats-Unis, la Russie et Singapour. En France, on compte une quinzaine d’ICO achevées. Dans 80 % des cas, les ICOs concernent des jetons permettant d’acheter un produit ou un service (utility token). Alors que les premières ICOs visaient à financer des plateformes dédiées aux monnaies digitales au cœur de la technologie des blockchains, les secteurs financés se sont diversifiés depuis 2017 (médias, réseaux sociaux, jeux, Internet des objets, finance…). 70 % des ICOs utilisent la plateforme Ethereum.

L’article de Howell et al., 2018, propose une analyse de l’ICO Filecoin, réalisée du 10 août au 7 septembre 2017, qui a permis de lever 257 millions de dollars. Filecoin est une plateforme de cloud décentralisé, mettant en relation des personnes souhaitant stocker des fichiers et d’autres qui disposent de capacité de stockage excédentaire. Le token émis sera le seul moyen de paiement admis sur la plateforme. Comme dans la plupart des ICOs, avant l’opération publique, une prévente de tokens est intervenue au profit des fondateurs, salariés et investisseurs initiaux, à un prix réduit, d’autant plus que la durée d’engagement de conservation des tokens, de 12 à 36 mois, est longue : le prix moyen de la prévente s’est élevé à 0,57 dollar par token. Cette première étape a permis de lever 52 millions de dollars. Le prix de l’émission publique a également varié en fonction des engagements de conservation (décote maximale de 20 %), et selon le moment de la souscription. Les souscripteurs de tokens Filecoin ont ainsi payé en moyenne 2,43 dollars durant la première heure de souscription (qui a donné lieu à l’essentiel de la levée de fonds), et 4,62 dollars ensuite. Les tokens Filecoin n’ont pas encore été remis aux acquéreurs, ils sont cotés sous forme de contrats à terme depuis le 13 décembre 2017. Le 23 août, ils cotent 4,64 dollars, après être passés par un maximum de 27,66 dollars.

Le financement par ICO revêt tout à la fois des caractéristiques de crowdfunding (donner accès à un produit ou service qui n’existe pas encore), de capital-risque (financer une activité très risquée à un stade initial), mais peut également être comparé à une introduction en Bourse lorsque les tokens sont cotés. Soulignons d’emblée que la grande différence entre les ICOs et ces autres modes de financement est l’absence actuelle de régulation, qui engendre un taux de fraude considérable qui concernerait 20 % des opérations. Tandis que la Chine et la Corée du Sud ont interdit les ICOs, la plupart des pays examinent les solutions permettant de protéger les investisseurs sans tuer l’innovation. Les Etats-Unis tendent à rapprocher les tokens des titres financiers, tandis que d’autres pays ont mis en place des règles de bonne pratique. En France, le projet de loi Pacte prévoit que l’AMF pourra délivrer un visa aux émetteurs de tokens qui le souhaiteraient, avant la phase de prévente, après vérification des conditions relatives à l’information diffusée et aux mécanismes de prévention des fraudes.

L’afflux d’opérations d’ICOs en 2018 a conduit à un taux de succès décroissant des opérations. Par ailleurs, l’existence de coûts de transaction réduits, l’un des intérêts des ICOs, peut être remise en cause, alors que les coûts de cotation des tokens peuvent atteindre de 1 à 3 millions, supérieurs au coût de cotation sur le Nasdaq[3]. De plus, les coûts de transaction sur les blockchains croissent rapidement, en raison de leur capacité de traitement limitée. Or, comme le montre l’exemple de Filecoin, les souscripteurs ont intérêt à ce que leur transaction soit inscrite sur la blockchain le plus rapidement possible. Ils sont donc tributaires du fait que les mineurs (opérateurs qui valident les transactions) se saisissent de leur transaction, ce qu’ils feront d’autant plus volontiers qu’elle comportera des frais de transaction «volontaires» élevés, qui constitueront une incitation pour eux. Mise en place de la régulation et évolution des coûts marqueront ainsi sans aucun doute le marché des ICOs durant les prochains mois.

[1] Voir Benedetti et Kostovetsky, 2018, et Howell, Niessner et Yermack, 2018, disponibles sur SSRN et www.coinschedule.com/stats.html.

[2] Source : Ritter, 2018, site.warrington.ufl.edu/ritter/ipo-data/.

[3] www.bloomberg.com/news/articles/2018-04-03/crypto-exchanges-charge-millions-to-list-tokens-autonomous-says.

Edith Ginglinger Professeur ,  Université Paris-Dauphine

Edith Ginglinger est professeur à l’Université Paris-Dauphine

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