Avoir 20 ans aujourd’hui

Publié le 2 mars 2018 à 10h26    Mis à jour le 2 mars 2018 à 12h13

Isabelle Job Bazille

Avoir 20 ans aujourd’hui en Europe, c’est avoir l’impression d’avoir vécu près de la moitié de sa vie en crise. C’est se dire que son parcours de vie s’annonce plus sinueux que celui de ses parents avec une montée de l’insécurité psychologique et matérielle qui est vécue comme une forme d’injustice sociale et générationnelle. Les jeunes générations ont en effet été doublement frappées par la crise, avec d’un côté une explosion du taux de chômage chez cette population particulièrement vulnérable, et de l’autre des choix collectifs et des modèles sociaux qui concentrent les efforts budgétaires sur les âges élevés.

En Europe, le taux de chômage des jeunes est ainsi alarmant puisqu’il frappe près de 20 % des moins de 25 ans tandis que 11,5 % des jeunes de 15 à 24 ans ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation et se retrouvent donc en marge de la société. Tous les jeunes ne sont pas égaux face à l’emploi avec de fortes inégalités au sein d’une même classe d’âge. C’est, pour les plus chanceux d’entre eux, avoir la possibilité de poursuivre des études, de plus en plus coûteuses, avec l’espoir que le diplôme offre un sésame vers l’emploi, tout en ayant conscience qu’il faudra cumuler plusieurs périodes de stages, souvent non rémunérés, avant d’accéder au statut protecteur du CDI. C’est reconnaître que toute entrée tardive sur le marché de l’emploi risque d’avoir des conséquences durables sur les carrières professionnelles, avec des compétences longtemps inemployées qui se perdent ou deviennent obsolètes dans un monde en pleine mutation, percuté par la révolution digitale.

Pour d’autres, notamment pour les 25 % de jeunes européens travaillant à temps partiel, c’est vivre le plus souvent de petits boulots aux horaires flexibles et mal payés, des situations de précarité et d’insécurité qui peuvent altérer la confiance en soi et impacter les trajectoires de vie. Sans parler de ceux, nombreux, au chômage qui n’arrivent pas à s’insérer dans le monde professionnel par manque de qualifications ou de diplômes avec un risque de pauvreté et d’exclusion durable. Ces disparités reproduisent le plus souvent les inégalités d’origines sociales ou ethniques. Et, sans cette égalité d’opportunité, c’est réaliser pour certains jeunes européens que leur avenir est déjà compromis en fonction de leur héritage social, avec en outre le sentiment d’être doublement pénalisés pour ne pas disposer de ressources propres ni du soutien familial pour réussir leur insertion. L’accès à un logement autonome est une autre source de difficultés et d’inégalités avec souvent pas d’autre choix que de vivre plus longtemps chez ses parents, sans compter qu’être propriétaire devient un rêve inaccessible sauf à bénéficier de la générosité des ascendants, de quoi reproduire dans le temps les inégalités patrimoniales.

Pour ces jeunes, c’est aussi assister au délitement de l’Etat-providence qui, par manque de moyens, ne protège plus et sabre dans les dépenses d’avenir. C’est avoir l’impression que la société privilégie les plus âgés à leurs dépens, un sentiment corroboré par les chiffres. La situation des jeunes adultes s’est en effet détériorée depuis la crise et ce notamment par rapport à celle de leurs aînés. D’après les chiffres d’Eurostat, la proportion de jeunes européens (18-24 ans) en risque de pauvreté (seuil de 60 % du revenu médian) ou d’exclusion sociale a grimpé de plus de 4 points à près de 30 % alors que dans le même temps celle des plus de 60 ans reculait de deux points à 18 %. Près de 10 % des jeunes européens ont aujourd’hui des difficultés à satisfaire des besoins de base alors que les plus âgés en situation de privation matérielle grave ne sont que 6 %. Cette tendance est certes liée aux dysfonctionnements du marché du travail qui privilégie les «insiders» et accroît le risque de chômage et de précarité de l’emploi chez les nouveaux entrants, mais elle est également le fruit de choix collectifs avec des dépenses publiques concentrées sur les plus âgés alors que l’accompagnement des jeunes est davantage du ressort de la solidarité familiale. Cette concentration accrue tient évidemment au vieillissement de la population avec une hausse de la proportion des plus de 60 ans de la population, laquelle va de pair avec une progression accélérée des dépenses de santé et de retraite. Mais, la question de l’équité générationnelle gagne en acuité avec une situation des jeunes devenue difficile, qui se dégrade, que ce soit en termes de niveau de vie, de chômage, de précarité ou d’accès au logement, de quoi réfléchir à un rééquilibrage des dépenses de protection sociale.

Face à cette fracture générationnelle, vécue comme une injustice, et ces frustrations sociales sur fond de montée de la précarité et de l’insécurité, il y a urgence à agir. L’insertion des jeunes dans la société est l’essence même du compromis socio-économique qui lie les générations entre elles. Ne pas ériger la jeunesse en priorité, c’est mettre en danger notre destin collectif et notre savoir-vivre ensemble.

Isabelle Job Bazille Directrice des Etudes Economiques ,  Crédit Agricole S.A.

Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.

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