Banques centrales : par ici la sortie

Publié le 23 juin 2017 à 16h55

Isabelle Job Bazille

Les banques centrales ont été en première ligne dans la gestion de crise, quitte à composer avec une certaine orthodoxie monétaire. Une fois l’urgence passée et le danger déflationniste écarté, vient le moment de la sortie. Il s’agit de ne pas sortir trop tôt ni trop vite, pour ne pas saper les bases fragiles de la reprise, mais pas non plus trop tard, pour éviter de libérer le génie de l’inflation, qu’elle soit réelle ou financière.

Envisager la sortie revient en effet à résoudre une équation difficile. D’un côté, des conditions financières ultra-souples soutiennent la reprise et l’édifice de dette. De l’autre, en donnant l’illusion de trajectoires viables d’endettement, ces politiques accommodantes peuvent entraver la nécessaire purge des bilans, privés et publics. Par ailleurs, la politique monétaire, en fixant le prix de la liquidité, influence la perception et le niveau de tolérance qu’ont les marchés à l’égard du risque. Dans un univers de taux bas et de liquidité abondante, les investisseurs sont tôt ou tard incités à aller chercher de la rentabilité, une quête de rendement qui peut déboucher sur une instabilité financière chronique. Il s’agit donc de trouver le bon équilibre entre les coûts associés et les effets bénéfiques tirés de ces politiques très accommodantes.

La Réserve fédérale américaine (Fed) a été la première à entamer ce processus inédit de sortie, non sans quelques heurts. On se souvient du faux départ de mi-2013 lorsque Ben Bernanke, alors patron de la Fed, a provoqué une onde de choc sur les marchés en évoquant l’éventualité d’une sortie. Il aura fallu six mois supplémentaires pour faire œuvre de pédagogie et rassurer les marchés, laissant ainsi à la présidente suivante, Janet Yellen, le soin d’orchestrer le retrait cadencé de la perfusion monétaire, avec une réduction des rachats mensuels d’actifs qui s’est opérée graduellement tout au long de l’année 2014. Il s’est ensuite écoulé plus d’une année entre la fin de l’assouplissement et le début du resserrement avec un premier serrage de vis, via une hausse du taux directeur, intervenu en décembre 2015. S’en est suivi un processus très lent de normalisation avec une Fed souvent obligée de temporiser pour laisser passer les orages financiers (Chine puis Brexit puis élection de Donald Trump). A ce stade et sans nouvel aléa, la Fed envisage de remonter ses taux à une cadence trimestrielle et devrait en cours d’année franchir une nouvelle étape de la normalisation en arrêtant progressivement de réinvestir les tombées d’échéances de façon à dégonfler la taille de son bilan. Mais avec cette gestion passive et prudente, la perspective d’un retour à la normale paraît très lointaine, voire inaccessible, tant est grande la probabilité d’une nouvelle inflexion cyclique qui viendrait interrompre ce processus.

C’est désormais au tour de la Banque centrale européenne (BCE) de penser au sevrage en adoptant une séquence chronologique similaire, en parfaite conformité avec son guidage monétaire. Il est d’abord question de mettre fin progressivement à sa politique d’assouplissement quantitatif (QE) avec un coup d’envoi début 2018, rendu d’autant plus nécessaire que la bonne mise en œuvre de son programme de rachats d’actifs se heurte à la raréfaction des titres éligibles. L’éventualité d’une première hausse de taux ne devrait pas se présenter avant 2019, le temps d’évaluer les impacts de l’arrêt du QE et de laisser la reprise cyclique imprimer son empreinte inflationniste. Cependant, contrairement à son homologue américaine, la BCE a utilisé l’arme des taux négatifs, une singularité qu’elle pourrait chercher à corriger avant d’entamer son cycle de hausse des taux directeurs. Il faudra également que la BCE gère le bon approvisionnement des banques en liquidité, en facilitant le remplacement progressif par des ressources de marché avec l’arrivée à maturité, entre juin 2020 et mars 2021, des opérations de financement à long terme (TLTRO 2). Le remboursement des TLTRO et la décision de ne pas réinvestir les titres arrivant à échéance devraient ensuite contribuer progressivement à réduire la taille de son bilan. Tout au long de ce cheminement, la prudence va rester de mise avec une Banque centrale à la manœuvre pour piloter au plus près la remontée induite des taux d’intérêt de manière à ne pas heurter le cycle.

A l’issue de ce processus très lent de sortie, on peut s’interroger sur le degré «effectif» de normalisation des politiques monétaires dans un monde post-crise toujours très endetté. La question de leur réversibilité se pose dès lors que le maintien des taux d’intérêt à de bas niveaux reste la meilleure garantie de la viabilité des dettes, de quoi installer dans la durée cette nouvelle normalité, avec une boîte à outils non conventionnels réutilisables à merci.

Isabelle Job Bazille Directrice des Etudes Economiques ,  Crédit Agricole S.A.

Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.

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