Commerce mondial : entre conjoncture et structure

Publié le 5 mai 2017 à 11h05    Mis à jour le 5 mai 2017 à 17h29

Isabelle Job Bazille

Le commerce mondial n’a jamais retrouvé, après son effondrement de 2008, les rythmes de croissance d’avant-crise. La faiblesse chronique de la demande mondiale est en partie responsable de l’essoufflement des échanges internationaux, mais la rupture s’annonce aussi plus profonde et durable, guidée par le bouleversement des chaînes de valeurs, la tertiarisation des économies et la révolution numérique. Cette tendance lourde au ralentissement pourrait, en outre, s’accélérer si les menaces protectionnistes se transforment en actes.

Longtemps moteurs de la croissance mondiale, les échanges internationaux ne font plus qu’épouser le cycle mondial d’activité, qui s’est non seulement affaibli après la crise, mais est devenu également au fil du temps moins intense en échanges.

Au début des années 2000, la réorganisation de la production au niveau mondial avec une fragmentation des processus productifs a permis de multiplier le nombre d’intervenants le long de la chaîne de fabrication des produits, notamment dans le secteur des technologies de l’information et des communications. Les effets multiplicateurs nés des échanges de composants et pièces détachées, transitant par plusieurs destinations avant d’être assemblés et réexportés vers le consommateur final, ont contribué à l’envolée du commerce mondial. Cette segmentation de plus en plus poussée des chaînes de valeur globales, synonyme de délocalisations en cascade, s’est également accompagnée d’une intensification des échanges de biens d’équipement afin d’accroître les capacités de production des pays en phase d’industrialisation rapide. On pense notamment à la Chine dont l’immense réservoir de main-d’œuvre bon marché a eu un fort pouvoir d’attraction pour toutes les activités d’assemblage intensives en travail lui permettant d’accéder en moins d’une décennie au statut de pays atelier de la planète. Ainsi, l’essor des exportations et l’accumulation de capital ont été de puissants moteurs d’accélération des échanges et de la croissance mondiale jusqu’à atteindre un pic avant-crise.

Le choc de 2008 et le ralentissement synchrone des débouchés à l’échelle mondiale ont brutalement inversé la tendance. Au-delà de ce retournement de cycle, des facteurs de nature plus structurelle ont conduit à une réorganisation des chaînes de valeur.

La progression des coûts salariaux a progressivement fait perdre à certains pays émergents et à la Chine en particulier leur avantage compétitif sur les activités gourmandes en main-d’œuvre, sans compter les problèmes rencontrés de qualité et de non-conformité des produits. Par ailleurs, le tremblement de terre au Japon et les inondations en Thaïlande en 2011 ont fait prendre conscience du risque de perturbation majeure en cas de dysfonctionnement d’un maillon de la chaîne. En réponse se dessine une tendance à la relocalisation des activités sur une base plus régionale, voire domestique, et à la réduction du nombre d’intervenants le long de la chaîne. Cette quête d’une plus grande proximité est aussi un moyen de répondre à l’attente de consommateurs toujours plus exigeants en faisant preuve d’agilité et de réactivité avec une gestion des stocks et des réassorts en flux tendus et un raccourcissement des délais de livraison, le tout sans lésiner sur la qualité.

Dans le même temps, en Chine, la stratégie d’industrialisation par les exportations a été progressivement relayée par une politique de remontée de filières. Au lieu de participer à la division du commerce mondial, la Chine aspire désormais à en devenir un acteur à part entière en produisant des biens à plus forte valeur ajoutée à base d’intrants locaux et non plus importés, de quoi réduire son rôle de plateforme mondiale d’échanges. Ce processus d’intégration lui permet de capter toute la chaîne de valeur sur certains segments de marché avec l’ambition de servir un marché domestique potentiel énorme, de plus d’un milliard de consommateurs, au pouvoir d’achat croissant. Par ailleurs, le rééquilibrage souhaité et désirable des sources de la croissance chinoise au profit de la consommation devrait profiter aux secteurs des services, structurellement moins intensifs en importations. Plus largement, la tertiarisation des économies, y compris dans la sphère émergente, est une tendance de fond qui va affaiblir le degré d’intensité de la croissance en échanges de biens même si corrélativement on peut espérer assister à une internationalisation des services, sauf ceux de proximité qui, par nature, ne sont pas exportables.

Enfin, dans des sociétés postindustrielles emportées par la lame de fond du numérique, la nouvelle économie de service qui émerge n’est pas synonyme de révolution capitalistique. La création de valeur tient surtout au développement et à la circulation de concepts originaux et de nouvelles idées pour renouveler et enrichir l’expérience clients, un capital immatériel qui reste absent des statistiques du commerce mondial.

Isabelle Job Bazille Directrice des Etudes Economiques ,  Crédit Agricole S.A.

Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.

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