D’une globalisation à une autre

Publié le 24 août 2018 à 17h07    Mis à jour le 29 août 2018 à 12h17

Isabelle Job Bazille

Les phases de globalisation s’accompagnent généralement de déséquilibres financiers qui répondent à la logique même de ce processus, puisque l’interdépendance croissante entre les nations vise justement à compenser la demande excédentaire d’investissement de certains pays par les excédents d’épargne dégagés ailleurs.

Traditionnellement, les pays développés dégagent des excédents d’épargne au niveau domestique qu’ils recyclent en finançant les besoins en investissement énormes des pays en phase de rattrapage économique. Cette «intermédiation» financière au niveau international est facilitée par la libéralisation des flux de capitaux qui sont à la fois un vecteur de la globalisation et de développement.

Au XIXe siècle, les pays du Nouveau Monde (Etats-Unis, Australie, Argentine, Russie…) bénéficiaient par exemple de larges terrains inexploités, mais avaient peu de main-d’œuvre et de capital, les pays industrialisés de l’Ancien Monde (la «vieille Europe») étant dans la situation inverse. Ainsi, «l’âge d’or de la finance» avant la Première Guerre mondiale a été une période propice à l’essor des flux de capitaux, en même temps que se développaient les échanges internationaux avec l’émergence des premières firmes multinationales.

Durant cette période, les pays de la périphérie ont cherché à attirer l’épargne des pays du centre en adoptant une série de réformes monétaires, institutionnelles et fiscales. Les pays prêteurs étaient essentiellement les trois grands créanciers, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France, certains petits pays européens (Belgique, Pays-Bas, Suisse) et les Etats-Unis, ce dernier pays restant toutefois déficitaire net.

Ce premier âge d’or de la globalisation a connu un coup d’arrêt au début du XXe siècle avec l’amorce d’un retour au protectionnisme. L’entre-deux-guerres va être en effet marqué par la multiplication des conflits et des représailles commerciales pour aboutir finalement au déclenchement de la grande guerre commerciale des années 1930 sur fond de crise financière et de dépression économique.

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis et l’Europe ont recherché le moyen de réorganiser le commerce mondial afin d’éviter le retour des politiques protectionnistes responsables de l’effondrement du commerce mondial et de l’aggravation de la crise des années 1930. A émergé alors une véritable coopération internationale destinée à instaurer un libre-échange général et durable, le GATT (1947) et son successeur l’OMC (1995) étant là pour établir les règles du jeu de cette nouvelle phase de globalisation, qui a connu un coup d’accélérateur après l’adhésion de la Chine à l’OMC (2001).

Grâce à la libéralisation des échanges, à l’intégration croissante des économies émergentes dans le commerce international et au développement de chaînes de valeur globales, l’économie mondiale a connu une longue période de prospérité. Mais cette croissance s’est également nourrie de lourds déséquilibres financiers avec un jeu de miroir entre les excès d’endettement des uns (les Etats-Unis surtout), les surplus d’épargne des autres (la Chine en tête). Cette configuration atypique où la première puissance mondiale accumulait des déficits extérieurs récurrents et croissants, financés, en majeure partie, par les excédents dégagés par les pays émergents d’Asie, a donné un caractère hors norme à cette nouvelle phase de globalisation. Ce système quelque peu perverti possédait néanmoins sa propre cohérence en alimentant un cercle vertueux entre une consommation américaine dynamique financée par émission de dollars d’un côté et un modèle de croissance asiatique fondé sur les exportations de l’autre, l’épargne asiatique et surtout chinoise assurant le bouclage en finançant de façon indolore la désépargne américaine.

Cette logique des déséquilibres a volé en éclats après le déclenchement de la crise financière de 2008. Depuis, les déséquilibres financiers mondiaux se sont normalisés et ne présentent pas de danger imminent pour la stabilité financière globale. La vigilance reste néanmoins de mise.

La relance budgétaire américaine a toutes les chances, n’en déplaise à Donald Trump, de creuser le déficit extérieur des Etats-Unis, avec une épargne étrangère à nouveau sollicitée pour financer à bon compte les cadeaux fiscaux faits aux entreprises et le train de vie des consommateurs américains. Par ailleurs, avec l’appréciation du dollar et la hausse des taux américains, cette réorientation des flux de capitaux vers des actifs dollars plus sûrs et plus rémunérateurs se fait au détriment des pays émergents où apparaissent les premiers signes de craquement financier. Mais, surtout, les tentations protectionnistes que l’on croyait reléguées au rang de vieilles reliques ont refait leur apparition et menacent l’ordre mondial d’après-guerre, de quoi redouter un aveugle recommencement comme la formule grinçante de Karl Marx : l'histoire se répète toujours deux fois, la première comme une tragédie, la seconde comme une farce…

Isabelle Job Bazille Directrice des Etudes Economiques ,  Crédit Agricole S.A.

Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.

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