Laisser la magie de l’OMT opérer

Publié le 28 mars 2014 à 16h34    Mis à jour le 30 avril 2014 à 18h04

Isabelle Job Bazille

Début février, la Cour constitutionnelle allemande (la Cour de Karlsruhe) a mis en doute la validité du programme de rachat illimité (mais pas sans conditions) d’obligations souveraines de la zone euro (dit OMT pour outright monetary transaction), décidé par la Banque centrale européenne (BCE) en pleine tempête financière. Elle a toutefois décidé de saisir pour avis la Cour de justice européenne tout en se réservant le droit de trancher au cas où ses questions resteraient sans réponse. Pour une majorité des juges de Karlsruhe, la BCE aurait outrepassé son mandat en lançant ce programme, à ce jour jamais utilisé, avec comme principal argument celui d’une violation des dispositions européennes qui séparent nettement les domaines de la politique monétaire et de la politique économique.

Du point de vue allemand, ces achats «sélectifs» de titres souverains ont pour vocation de faire baisser les taux d’intérêt sur les emprunts publics. Or, les différences de taux entre Etats membres sont le reflet des fondamentaux sous-jacents, le signal prix permettant de juger de la probabilité d’un défaut public, ce qui a normalement pour vertu de forcer à la discipline budgétaire. En interférant avec les mécanismes libres de marché et en questionnant leur discernement, l’action de la BCE s’assimile davantage à de la politique économique, ce qui est une transgression de son mandat. L’argument ne vaut que si l’hypothèse d’efficience des marchés est vérifiée avec la formation de prix justes à tout instant, intégrant toutes les informations disponibles, et censés refléter correctement les fondamentaux.

On sait combien ce postulat a été écorné, en théorie d’abord avec les recherches en finance comportementale basées sur la psychologie des agents dont les travers émotionnels (pessimisme, optimisme, peur), les habitudes et les mimétismes faussent la formation des prix, et ensuite en pratique par la récurrence des crises financières avec le gonflement puis l’éclatement de bulles de prix d’actifs. Pendant la crise, si les marchés ont bien joué leur rôle de vigie, leur excès de suspicion a mis certains Etats membres à la merci d’une crise de liquidité autoréalisatrice avec un retrait brutal des investisseurs (phénomène de run) qui risquaient de les acculer à la faillite au point de menacer l’intégrité même de la zone euro.

L’annonce de l’OMT a permis de court-circuiter ces mouvements de panique, et leur part d’irrationnel, et de briser le cercle vicieux entre l’envolée des primes de risque souveraines et le resserrement indésirable des conditions de crédit dans des économies en récession, et ce en parfaite adéquation avec le mandat de la BCE de maintien de conditions monétaires appropriées pour assurer la stabilité des prix à moyen terme. Il est par ailleurs étonnant que les juges allemands n’invoquent l’efficience des marchés que dans le cas de l’OMT sans avancer un tel argument pour les LTRO (les opérations de refinancement à trois ans menées en 2011-2012 pour approvisionner les banques en liquidité, de manière illimitée et à taux fixe).

En suivant leur raisonnement, des marchés efficients sont normalement toujours capables de discriminer entre les risques (liquidité versus solvabilité) et donc prêts à financer des banques en manque de cash mais solvables. Aucune nécessité alors pour la BCE d’intervenir sauf à invoquer des dysfonctionnements de marchés dans un environnement très anxiogène. Nul ne doute aujourd’hui qu’en jouant son rôle de prêteur en dernier ressort pour les banques, la BCE a permis d’éviter l’enclenchement d’une spirale délétère où contraction du crédit, récession économique et déflation s’entretiennent mutuellement.

Les mots de Draghi à l’été 2012, le célèbre «whatever it takes[1]», et sa traduction opérationnelle, l’OMT, ont finalement été de formidables opérations de communication. Cet engagement formel de la BCE à assurer coûte que coûte la liquidité des souverains fragiles a permis de se protéger contre le risque extrême d’un éclatement de la zone euro et de stabiliser rapidement les marchés sans qu’aucune intervention, autre que verbale, n’ait été nécessaire. Ironie du sort, en prenant le risque d’écorner cette crédibilité, les juges allemands pourraient finalement contraindre la BCE à agir dans l’urgence au cas où la disparition ou l’affaiblissement de ce bouclier ferait à nouveau souffler un vent de panique sur les marchés.

[1]. Dans un discours à Londres le 26 juillet 2012, le président de la BCE, Mario Draghi, s'engageait à tout faire pour sauver l'euro.

Isabelle Job Bazille Directrice des Etudes Economiques ,  Crédit Agricole S.A.

Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.

Chargement en cours...