Le moment Schröder

Publié le 13 janvier 2017 à 12h34    Mis à jour le 13 janvier 2017 à 17h30

Isabelle Job Bazille

La France rêve d’un «moment Schröder» pour retrouver son lustre économique d’antan à l’instar de son voisin allemand, passé en l’espace d’une décennie d’un statut de lanterne rouge de la zone euro à celui de locomotive.

Ce miracle allemand est fréquemment attribué à la vague de réformes, connue sous le nom d’«Agenda 2010», mise en œuvre par le gouvernement Schröder au début des années 2000, et qui visait à restaurer la compétitivité de l’économie allemande grâce notamment à la libéralisation du marché du travail. Les lois Hartz[1], votées entre 2003 et 2005, ont profondément modifié le fonctionnement du marché de l’emploi et remis à plat le système d’indemnisation des chômeurs, des mesures complétées par une réforme des retraites et une baisse des charges patronales, le tout sur fond de modération salariale. Quoi de plus logique alors que de proposer le même traitement de choc pour redresser une économie française en panne d’inclusion qui souffre d’un handicap structurel de compétitivité. Le danger est néanmoins de vouloir appliquer des recettes aux résultats encore controversés et issues d’un autre contexte.

L’Allemagne a toujours considéré que sa prospérité économique rimait avec la compétitivité de son industrie. Même si le pays a connu un mouvement de tertiarisation de son économie, le poids de son industrie manufacturière dans la valeur ajoutée globale est resté relativement stable autour de 20 % depuis une vingtaine d’années, là où le recul est patent en France avec une industrie qui ne contribue désormais plus qu’à un dixième à la création de richesse. Cette différence se retrouve au niveau du commerce extérieur avec des exportations qui pèsent aujourd’hui pas moins de 40 % du PIB allemand, quand leur poids est moitié moindre en France. Le regain de compétitivité a de fait été un facteur clé de succès du redressement de l’économie allemande avec un boom des exportations qui explique quasiment les deux tiers de la croissance décennale, mais pour des raisons souvent indépendantes des réformes Schröder.

D’abord, la force de l’industrie allemande se conjugue à une spécialisation sectorielle dans l’automobile de haut de gamme et les biens d’équipements intermédiaires (les machines-outils notamment) qui a parfaitement répondu à l’explosion de la demande des pays émergents, Chine en tête, avec des besoins en investissement énormes et l’émergence d’une classe moyenne aisée, friande de grosses berlines «made in Germany». Ensuite, l’Allemagne a profité de la chute du «rideau de fer» puis de l’élargissement de l’Union européenne pour réorienter sa sous-traitance à bas coût vers les pays de l’Est, ce qui lui a permis de délocaliser les activités à faible valeur ajoutée, gourmandes en main-d’œuvre, pour se concentrer sur les activités plus productives, intensives en savoir et en R&D. Enfin, une part des gains en compétitivité-prix est imputable non pas à des progrès de productivité plus rapides qu’ailleurs, mais bien à l’austérité salariale. Cependant, cette stratégie de désinflation compétitive a pu fonctionner, à l’époque, dans un espace communautaire intégré commercialement car seule l’Allemagne a suivi cette politique non coopérative, le boom de consommation financée à crédit dans les pays du sud de l’Europe ayant largement compensé la faiblesse de la demande interne outre-Rhin. Ces pressions salariales ont été d’autant plus supportables que le déclin démographique en Allemagne a mis le pays à l’abri d’une bulle immobilière avec des prix et des loyers qui sont restés sages là où ils progressaient fortement ailleurs. Il convient enfin de mentionner la qualité du dialogue social avec un système de cogestion au service de l’intérêt général, un capitalisme rhénan peu financiarisé, avec un actionnariat encore très familial tourné vers le long terme, une cohésion territoriale et un Mittelstand intégré dans un écosystème régional performant avec un maillage fort entre tous les acteurs (instituts de recherche et de formation, banques, collectivités), pour se convaincre que la réussite allemande et le miracle de l’emploi ne peuvent être attribués aux seules réformes Hartz, mais restent aussi le fruit d’une histoire et d’une culture difficilement extrapolables.

[1]. Parmi ces réformes, on retrouve : assouplissement de la réglementation relative à l’embauche et au licenciement, renforcement des devoirs des demandeurs d’emplois, création d’emplois marginaux (Mini-Jobs, Midi-Jobs et ein-Euro Jobs), incitation à la création d’entreprises individuelles par les chômeurs : les «Ich-AG», durcissement des conditions d’indemnisation et limitation de la durée de versement de l’allocation chômage à un an, fusion des allocations chômage de longue durée avec l’aide sociale.

Isabelle Job Bazille Directrice des Etudes Economiques ,  Crédit Agricole S.A.

Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.

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