Où est passée l’inflation?

Publié le 15 septembre 2017 à 10h11    Mis à jour le 18 septembre 2017 à 11h00

Isabelle Job Bazille

Depuis le début de l’année, la croissance mondiale connaît une embellie, avec une accélération graduelle des rythmes d’activité à la fois dans les économies avancées et dans les pays émergents. Pourtant, si le cycle a repris ses droits, l’inflation, elle, reste absente des écrans radar, de quoi mettre au défi des banques centrales qui utilisent cette jauge pour guider leurs actions, et ce au moment même où, l’urgence étant passée, il s’agit de débuter ou de poursuivre un processus de sortie des politiques ultra-accommodantes installées depuis la crise.

Traditionnellement, en phase de reprise, le raffermissement de la demande permet de résorber les ressources inemployées tant dans la sphère productive que sur le marché du travail, ce qui, chemin faisant, pousse à la hausse les salaires et les prix selon un schéma auto-entretenu. Aujourd’hui, force est de constater que, malgré l’éclaircie conjoncturelle et la baisse du chômage, les indices de prix restent étonnamment sages, avec des rythmes de hausse qui continuent de graviter, de part et d’autre de l’Atlantique, bien en deçà de la cible des 2 % inscrite dans le mandat des banques centrales.

Cette combinaison singulière entre une croissance raffermie et une inflation faiblarde tient en partie à des raisons purement conjoncturelles. Le léger frémissement des prix en début d’année, tiré par le quasi-doublement des prix du pétrole entre début 2016 et début 2017, a fait long feu, les cours du brut s’étant stabilisés depuis autour de 50 dollars le baril. Plus récemment en Europe, l’appréciation de l’euro contre le dollar importe de la désinflation. Cependant, ces facteurs temporaires ne peuvent expliquer à eux seuls l’atonie des prix à en juger par la faiblesse durable des indices sous-jacents d’inflation, de quoi invoquer des causes plus structurelles. La mondialisation et les nouvelles technologies font partie de la liste des suspects usuels.

La globalisation et le développement dans les pays low-cost de plateformes industrielles ultra-compétitives, qui attisent la concurrence internationale, restent des facteurs puissants de désinflation. Le système de chaînes de valeurs intégrées à l’échelle mondiale permet en outre un arbitrage salarial global avec une mise en concurrence des travailleurs les moins qualifiés. Sachant que la Chine, l’Inde, la Russie et ses anciens satellites comptent à eux seuls près de 3 milliards de travailleurs à bas coûts, ce choc d’offres majeur a de fortes implications sur le marché du travail et la formation des salaires chez nous. Ainsi, face à la concurrence dans un monde globalisé, la recherche de compétitivité à tout prix maintient sous pression les salaires, notamment dans le bas de l’échelle des qualifications. De plus, avec la réallocation de la production à l’échelle mondiale, la disparition des emplois industriels dans les économies avancées s’est faite au profit d’une bascule vers des emplois de services protégés mais moins productifs, plus flexibles et mal payés. Par ailleurs, dans un contexte de chômage élevé et de pouvoir de négociation des travailleurs affaibli, les mécanismes d’indexation salariale, censés protéger le pouvoir d’achat, ont progressivement disparu, et avec eux les effets de second tour lorsque prix et salaires évoluaient en parallèle. Enfin, les innovations technologiques, avec la déferlante du numérique, tirent également les prix vers le bas. Dans l’industrie, la robotisation des processus productifs permet de rehausser la productivité, laquelle absorbe largement les hausses de coûts liées aux besoins en main-d’œuvre hautement qualifiée tout en autorisant des baisses de prix. Dans les services, la numérisation de tâches cognitives et répétitives, grâce aux robots apprenants et à l’intelligence artificielle, ainsi que le développement de plateformes de mise en relation directe, lesquelles réduisent le nombre d’intermédiaires le long de la chaîne de valeurs, contribuent également à faire baisser les coûts, une tendance qui devrait se poursuivre, voire s’étendre. Témoin de ces mutations, la courbe de Philips qui met en évidence une relation inverse entre inflation et chômage a tendance à s’aplatir, avec une plus faible réactivité des salaires et des prix à la baisse du chômage, synonyme de mise sous tension du marché du travail.

À ce stade, les banques centrales restent convaincues que, même si les délais de transmission se sont allongés, le cycle va finir par imprimer son empreinte inflationniste, de quoi les inciter à la prudence sans pour autant les faire renoncer à normaliser leur politique. La Banque des règlements internationaux (BRI), la «banque des banques centrales», va un cran plus loin en suggérant d’abaisser la cible d’inflation à 0 % arguant du fait qu’une jauge inflationniste durablement déréglée pourrait conduire à maintenir des politiques monétaires trop accommodantes pendant trop longtemps au risque de mettre en péril la stabilité financière. Car si l’inflation déserte la sphère réelle, les enjeux se déplacent vers la sphère financière où risque de se développer une instabilité chronique avec une inflation galopante des prix d’actifs, une croissance excessive du crédit et des prises de risque immodérées par quête de rentabilité, dans un contexte de taux bas et de liquidité abondante et bon marché. Face à cette mutation du régime inflationniste, les banques centrales vont devoir trouver le compromis optimal entre stabilité monétaire et financière, afin de préserver la croissance sans risquer une nouvelle crise.

Isabelle Job Bazille Directrice des Etudes Economiques ,  Crédit Agricole S.A.

Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.

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