L'analyse d'Isabelle Job-Bazille

Un cycle politique au-delà du cycle électoral

Publié le 20 avril 2018 à 16h25

Isabelle Job Bazille

Les résultats des élections italiennes sont venus rappeler que si le cycle électoral a pris fin en Europe, le cycle politique est, lui, loin d’être terminé. En Italie, les partis traditionnels sont devenus minoritaires avec l’effondrement du Parti démocrate de Matteo Renzi et le net recul de Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi, devancé par son partenaire de coalition, le parti nationaliste de la Ligue du Nord. Le Mouvement anti-système 5 étoiles, qui a recueilli la majorité des suffrages au Sud, s’est imposé à cette occasion comme la première force politique du pays. Cette fragmentation du paysage politique et cette polarisation aux extrêmes plongent l’Italie dans une impasse, avec une crise de gouvernabilité qui risque de s’installer dans la durée. L’Italie est sans doute le cas le plus emblématique des tendances à l’œuvre ailleurs en Europe, avec la montée en puissance des «populismes». 

La première fracture est d’ordre économique et fonction du degré d’intensité de la crise qui a diversement affecté les pays d’Europe du nord au sud. Vient s’y ajouter, voire s’y superposer, une fracture politique avec une poussée inquiétante des nationalismes, notamment au nord et à l’est de l’Europe. L’émergence de partis extrêmes aux antipodes du spectre politique se nourrit du malaise des classes moyennes sur fond de crise multidimensionnelle – économique, politique et sociétale – qui ancre les peurs et la défiance, avec des urnes qui deviennent un exutoire émotionnel.

Il suffit, en effet, pour ces partis de tenir un discours politique qui entre en résonance avec les inquiétudes des citoyens sur l’ouverture, qu’elle soit économique avec la mondialisation, ou sociétale avec le développement des flux migratoires, pour gagner des suffrages. Ces partis exploitent également les angoisses des populations face à la rapidité du progrès technique avec une révolution numérique qui dessine un futur anxiogène où les machines remplacent l’homme et détruisent les emplois intermédiaires.

Au sud de l’Europe, les mouvements d’extrême gauche, incarnés en Grèce par Syriza, en Espagne par Podemos, et par le Mouvement 5 étoiles en Italie, sont pour la plupart des produits de la crise. Ils sont apparus là où les dégâts causés ont été les plus profonds avec un chômage de masse, l’augmentation de la pauvreté et des inégalités. Ces nouvelles formations attirent en priorité les jeunes et sont également parvenues à fédérer la colère des exclus et des laissés-pour-compte qui s’étaient réfugiés dans l’abstention. Le profond discrédit des partis traditionnels, souvent gangrenés par des affaires de corruption, a également été un terreau favorable à l’émergence de ces partis alternatifs. Leur credo est de redonner la parole au «peuple», avec des citoyens actifs, parties prenantes d’une vraie démocratie participative. Sans renier leur appartenance à l’Union monétaire, ces partis appellent à une autre politique centrée sur des mesures à caractère social, en proposant notamment la création d’un revenu de base universel.

Au nord et à l’est, c’est une autre forme de populisme, identitaire ou nationaliste, qui se développe. L’Allemagne a vu le parti d’extrême droite AfD entrer au Parlement, une première depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ; le Parti pour la liberté (PVV), la formation d’extrême droite dirigée par Geert Wilders, est arrivé en deuxième position lors des élections législatives aux Pays-Bas ; en Autriche, le chancelier Sebastian Kurz a dû s’allier avec la droite nationaliste du FPÖ pour gouverner… Mais c’est à l’est que la poussée nationaliste est la plus forte. Les électeurs hongrois ont à nouveau plébiscité Viktor Orban, l’icône des droites européennes ultra-conservatrices, qui a fait de la crise des réfugiés son fonds de commerce. Tous ces partis souverainistes, à l’extrême droite de l’échiquier politique, mettent en avant la défense des valeurs, de l’identité, des frontières et des intérêts nationaux. Ce populisme exalte les sentiments de haine et de rejet avec un discours xénophobe «anti-immigration» qui dénonce la perméabilité des frontières de l’Union et les accords de Schengen, tout en pointant du doigt l’échec des politiques d’intégration des populations immigrées, en particulier musulmanes. Nombre de ces leaders populistes assument un tournant autoritaire et partagent l’idéologie, baptisée «démocratie illibérale», de Viktor Orban, laquelle met en danger les valeurs fondamentales de l’Union européenne avec des atteintes répétées à l’Etat de droit visant à limiter au maximum les contre-pouvoirs.

Ces formes polaires de populisme n’ont pas le même degré de dangerosité, la menace venant surtout des partis d’extrême droite qui encouragent l’intolérance et la xénophobie, avec des discours clivants qui polarisent l’opinion et créent un climat propice au développement de la violence.

Isabelle Job Bazille Directrice des Etudes Economiques ,  Crédit Agricole S.A.

Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.

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