USA : un protectionnisme peut en cacher un autre

Publié le 3 mars 2017 à 17h38

Isabelle Job Bazille

Le camp des Républicains, traditionnellement proche des milieux d’affaires, ne semble pas s’émouvoir de l’offensive protectionniste du président Donald Trump. Pourtant, la menace d’un rétablissement de taxes aux frontières de façon unilatérale fait courir le risque de représailles économiques et de guerre commerciale. La doxa d’un Parti républicain adepte de l’orthodoxie budgétaire s’accorde en outre mal avec les propositions de D. Trump de baisse massive de l’impôt sur les sociétés (de 35 % à 15 %) couplée à une politique de grands travaux. En fait, les Républicains tentent en coulisse d’imposer une réforme ambitieuse de la fiscalité des entreprises qui permettrait d’introduire une dose de protectionnisme tout en permettant de résoudre l’équation budgétaire.

L’objectif serait de faire évoluer le régime de taxation actuel fondé sur l’origine géographique de la production vers un système fondé sur la destination, les produits étant taxés là où ils sont consommés. L’impôt sur les sociétés (IS) serait remplacé par une taxe sur les flux de trésorerie (cash-flow), à un taux allégé et uniforme de 20 %, avec un ajustement fiscal aux frontières.

Selon ce principe, les importations ne seraient plus déductibles de la base imposable, tandis que les recettes d’exportations en seraient exemptées. À titre d’exemple, si un industriel se fournit localement en biens intermédiaires pour un montant déductible de 1 000 $ alors le coût net d’impôt de ses intrants devrait finalement s’élever à 800 $, soit 25 % de moins qu’une entreprise qui importe le même montant et ne pourra bénéficier d’une telle déductibilité. De la même manière, les ventes sur le territoire américain seront taxées au taux de 20 %, soit pour un chiffre d’affaires de 1 000 $, un revenu net d’impôt de 800 $, là où l’exportateur recevra la totalité du produit de ses ventes à l’étranger, soit 25 % de plus, de quoi lui laisser des marges de manœuvre pour baisser ses prix.

Les Républicains arguent du fait que cet impôt s’apparente à une forme de TVA soumise au principe d’ajustement aux frontières puisque toutes les importations y sont assujetties alors que les exportations ne le sont pas, de quoi affaiblir l’argument protectionniste. Cependant, le fait qu’il y ait un traitement différencié entre les produits importés (non déductibles de la base imposable) et ceux produits localement (qui eux sont déductibles) diffère du principe de la TVA qui grève de la même manière les produits importés ou locaux. En outre, l’assiette fiscale, très différente dans les deux cas, rend la comparaison caduque. La TVA est assise sur l’ensemble de la valeur et intègre les coûts du travail et du capital. Dans la réforme proposée par les Républicains, l’exonération de taxes sur les salaires et sur les dépenses d’investissement domestiques revient implicitement à subventionner le contenu en travail et capital des biens produits localement et inversement à taxer le travail étranger, ce qui n’est pas compatible avec les règles de l’OMC. Mais pour ses promoteurs, une telle réforme serait difficilement contestable car sans effet sur les termes de l’échange en raison de l’appréciation mécanique du dollar. En théorie, la baisse de la demande pour des produits importés devenus plus onéreux devrait réduire l’offre de dollars aux étrangers alors que la hausse des exportations devrait en accroître la demande avec à la clé un renforcement de la devise dans des proportions équivalentes aux avantages compétitifs procurés ex ante. En pratique, les ajustements de taux de change s’avèrent longs et souvent partiels sachant qu’ils ne répondent pas exclusivement à une logique commerciale étant donné l’importance des flux financiers, surtout pour une devise au statut de monnaie de réserve internationale.

L’autre grand avantage de cette réforme serait d’alléger la pression fiscale sur les entreprises sans trop grever les recettes budgétaires. L’ajustement fiscal devrait rapporter 100 milliards de dollars par an environ (le déficit commercial de 500 milliards de dollars par an et donc le surplus d’importations étant taxé au taux de 20 %) alors que la baisse de l’IS occasionnerait un coût annuel autour de 180 milliards de dollars, soit un manque à gagner annuel de seulement 80 milliards de dollars, une facture qui pourrait en outre être sensiblement réduite si les effets induits sur la croissance s’avèrent suffisamment positifs.

Les Républicains semblent avoir trouvé la bonne idée, pour à la fois imposer des mesures protectionnistes et baisser massivement la fiscalité sans faire déraper les déficits, mais finalement une fausse bonne idée si le renchérissement des importations se répercute en aval et vient grignoter le pouvoir d’achat des consommateurs, si les partenaires commerciaux se rebellent et imposent des mesures de rétorsion immédiates, si le dollar monte trop haut et déstabilise la planète financière…

Isabelle Job Bazille Directrice des Etudes Economiques ,  Crédit Agricole S.A.

Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.

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