Antitrust : l’heure chinoise ?

Publié le 27 avril 2018 à 16h30

Patrick Hubert

Par Patrick Hubert, avocat, associé du cabinet, Orrick Rambaud Martel

Le droit de la concurrence a vécu en duopole. Aux Etats-Unis, les idées nouvelles ; à l’Europe, les décisions spectaculaires. Cette époque survit. Les autorités américaines viennent d’annoncer un renforcement de la lutte contre les «non-poaching agreements», par lesquels des entreprises se promettent mutuellement de ne pas recruter leurs salariés ; aucun accord de ce type n’a encore été condamné en Europe. Mais c’est en Europe, pas aux Etats-Unis, que Google paie d’énormes amendes et doit changer ses pratiques.

La prolifération des régimes de contrôle des concentrations a constitué un premier accroc à ce duopole. Plus d’une centaine de pays exigent de les examiner.

Plus récemment, les idées nouvelles éclosent un peu partout. En Allemagne, où l’autorité locale de concurrence peut contrôler de très petites opérations high tech et où de grandes enquêtes, concernant Facebook par exemple, ont été lancées. Au Royaume-Uni aussi, où l’autorité locale se prépare en outre à échapper à la tutelle de la Commission européenne en recrutant massivement. L’autorité japonaise vient d’utiliser une arme nouvelle contre Amazon, accusée d’abuser de sa supériorité sur ses fournisseurs.

Et puis il y a la Chine.

On y examine plus de concentrations par an qu’à la Commission européenne ; les spécialistes du monde entier lisent la jurisprudence chinoise sur les «SEP» (Standard Essential Patents), sujet antitrust majeur du monde de la technologie (la licence des brevets essentiels au respect des normes techniques), ou du moins leurs résumés car les jugements (non traduits) sont longs et denses.

Si la Chine, il est vrai, n’a pas encore produit de concepts nouveaux, elle apprend vite. Déjà, ses décisions sont devenues moins «baroques» : par exemple, en cas de trop forte concentration, elle demande de revendre des actifs, comme les Etats-Unis ou l’Europe, alors qu’il y a peu elle se contentait de promesses comportementales. Mais la masse de manœuvres intellectuelles à l’œuvre, le fait que toutes les grandes fusions y sont examinées en parallèle aux examens de Bruxelles et de Washington, l’importance de son industrie high tech qui pose des problèmes antitrust complexes : tout porte à croire que, bientôt, les idées nouvelles et les décisions spectaculaires viendront aussi de Pékin.

Pour l’antitrust aussi, l’heure chinoise approche ; l’ignorer est déjà risqué.

Patrick Hubert

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