ATT Time Warner : qu’aurait fait l’Europe ?

Publié le 22 juin 2018 à 15h38

Patrick Hubert

Par Patrick Hubert, avocat, associé du cabinet, Orrick Rambaud Martel

La fusion ATT/Time Warner est une défaite majeure pour l’autorité de concurrence américaine (le Department of Justice, DoJ). Elle aurait voulu qu’ATT revende certaines chaînes de télévisions, une forme de «remède» que l’on n’observe pourtant que dans les fusions entre concurrents. Face au refus d’ATT, le DoJ a demandé à la justice d’interdire le projet.

Les fusions «verticales» posant problème sont celles où l’on soupçonne que la nouvelle entité puissante, comme ici, sur un marché amont (Time Warner possède des chaînes de télévisions très attractives) pourrait tuer ses concurrentes sur le marché aval (ici les autres distributeurs de bouquets TV) en les privant de ce qu’elle vend en amont.

Aux Etats-Unis, les fusions verticales ont toujours été autorisées, parfois au prix d’engagements de ne pas mettre en œuvre certaines pratiques dangereuses pour les concurrents (par exemple quand Time Warner et AOL ont fusionné). Or cette fois, avec une grande audace, le DoJ a cherché à interdire sans soutenir qu’ATT aurait pu éliminer ses concurrents en les privant des meilleures chaînes de TW, personne ne fabriquant des images pour… en restreindre la diffusion.

A la place, le DoJ invoquait principalement une théorie des enchères du célèbre double prix Nobel Nash : une menace de ne pas vendre, dont on est pourtant certain qu’elle ne sera pas mise à exécution, pourrait faire monter les prix. Les rivaux d’ATT auraient ensuite répercuté ce surcoût sur leurs abonnés.

Le juge n’a pas été convaincu. Chaque affaire est un cas d’espèce mais ce n’est probablement pas demain la veille que les autorités américaines essaieront de nouveau d’interdire une fusion verticale.

Et en Europe ? Les choses sont plus faciles pour la Commission. Elle n’a pas besoin d’aller devant un juge, elle peut interdire d’elle-même ; et en matière verticale, elle ne s’en est pas privée : GE/Honeywell ; Tetra Laval/Sidel. Mais à chaque fois, ses «victimes» sont allées trouver un juge après l’interdiction et l’ont fait annuler. Depuis lors, la Commission se borne à demander des remèdes comportementaux, et l’on n’a pas connu d’autres interdictions.

Le droit de la concurrence ne semble donc pas constituer un obstacle à la construction de géants par intégration verticale, ce qui réjouira ou inquiétera, selon le point de vue de chacun.

Patrick Hubert

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