Détenir des actions de deux sociétés concurrentes, est-ce… anticoncurrentiel ?

Publié le 2 mars 2018 à 16h54

Patrick Hubert

Par Patrick Hubert, avocat, associé du cabinet, Orrick Rambaud Martel

Dans ma précédente chronique, je présentais le droit de la concurrence comme une puissance établie mais doutant de ses objectifs. En réalité, il doute aussi de son arsenal : quelques armes supplémentaires ne lui déplairaient pas.

Tout a commencé aux Etats-Unis. On s’y inquiète depuis peu de la présence minoritaire des mêmes investisseurs au capital d’entreprises concurrentes. S’ils pèsent assez pour influencer les stratégies de plusieurs concurrents, ils auraient, dit-on, intérêt à ce que ces derniers ne se livrent pas à une guerre des prix ou à ce qu’ils innovent peu : les marges, les dividendes et les cours de bourses ne s’en porteraient que mieux. Une règle simple permettrait d’empêcher cela : quiconque investit significativement dans une entreprise ne devrait pas le faire chez une de ses concurrentes.

Une fois publiées et discutées dans des conférences, ces idées ont traversé l’Atlantique : Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence, vient d’annoncer que la Commission allait étudier la question en Europe.

Se dirige-t-on vraiment vers une interdiction de ces common ownerships, ce qui compliquerait la tâche des gérants de fonds ? Les revues et les conférences offrent aussi des contre-arguments : les fonds qui «traquent» les indices boursiers ne se soucient pas d’influencer les sociétés dans lesquelles ils investissent.

Deux auteurs, Lewis Crofts et James Pressleya, ont immédiatement réagi en notant qu’en Europe, la présence des Etats au capital de nombreuses sociétés et l’éclatement des marchés nationaux rendaient le risque illusoire : les fonds ne pèseraient pas assez lourd pour influencer les stratégies.

Affaire à suivre, en tout cas, car un problème voisin, la présence d’un même administrateur au conseil de sociétés concurrentes, a déjà donné lieu à des interdictions, souvent méconnues en France : Etats-Unis, Corée du Sud, Chili et d’autres interdisent une telle pratique. L’interdiction des common ownerships n’aurait donc, en théorie, rien d’impossible.

Patrick Hubert

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