Droit de la concurrence : Une histoire de saucisses et de navets, ou faut-il acheter des entreprises sans les connaître ?

Publié le 16 mars 2018 à 12h00    Mis à jour le 16 mars 2018 à 16h36

Patrick Hubert

Par Patrick Hubert, avocat, associé du cabinet, Orrick Rambaud Martel

Dans le roman picaresque espagnol éponyme, Lazarillo de Tormes remplace la saucisse grillée du hot-dog (avant la lettre) tendue à son maître non-voyant par un navet, et avale la saucisse. C’était au XVIe siècle. De nos jours, ceux qui achètent des entreprises cherchent à les connaître par eux-mêmes avant de les absorber.

Les autorités de la concurrence aimeraient plutôt qu’ils achètent les yeux fermés.

Leur raisonnement est contourné : avant de conclure une transaction, il faut obtenir l’accord des autorités ; si vous accédez aux données sensibles de la cible plus tôt, prétendent-elles, c’est comme si vous en preniez le contrôle alors que vous n’y êtes pas encore autorisé. Il s’agit d’une faute majeure qui doit être sanctionnée.

Les pénalités récentes atteignent des chiffres énormes. Ce risque est particulièrement élevé quand une entreprise achète l’un de ses concurrents. Faut-il donc acheter des entreprises sans les avoir examinées ou du moins ne se reposer que sur l’avis de tiers (banquiers, auditeurs, avocats) ? Faire confiance à Lazarillo plutôt qu’à ses propres sens ?

Depuis longtemps, des solutions sont sur la table. Réserver l’accès aux données sensibles à des «clean teams» composées de personnes s’engageant à ne restituer que des conclusions synthétiques ; distinguer les données ultra-sensibles (clean teams ne comprenant que des experts extérieurs) des données «simplement sensibles» (clean teams composées de certains dirigeants, non opérationnels, de l’acheteur ayant signé des engagements de confidentialité). Mais les autorités ne valident pas clairement ces solutions et l’on reste dans le flou : quelles sont les données «sensibles» ? Qui peut faire partie de telle ou telle clean team ? Qu’est-ce qu’une restitution synthétique ?

Au fond, c’est toujours la même histoire : une fois la règle de droit créée, elle étend peu à peu son empire, sans être claire pour autant. La réponse consiste à mettre en place des procédures, en partie à tâtons, pour au moins prouver sa bonne foi. Cela, bien sûr, a un coût : il faut souhaiter qu’il soit inférieur au bénéfice que la collectivité en retire et que quelqu’un se soucie de le vérifier...

Patrick Hubert

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