FED : les raisons possibles d’une hausse des taux

Publié le 27 mai 2016 à 17h46

Anton Brender

Les minutes du dernier Comité de politique monétaire de la Réserve fédérale ont surpris les marchés et les ont conduits à relever la probabilité d’une hausse des taux directeurs américains dès juin. Pourtant, si l’on se fie aux données conjoncturelles des derniers mois, la croissance est plutôt décevante et l’expansion engagée depuis plusieurs années entre maintenant dans une phase particulièrement délicate. Si l’on revient sur les modalités du ralentissement récemment observé, une chose est claire en effet : l’investissement des entreprises, qui jusqu’ici avait apporté un soutien non négligeable à la reprise, est aujourd’hui au point mort. La chute du prix du pétrole l’explique pour une part : la contraction de l’investissement du secteur pétrolier a été massive. Mais même dans les autres secteurs, les entreprises ont peu de raisons d’investir plus : la demande qui leur est adressée n’appelle pas une croissance rapide de leurs capacités de production. La poursuite de la reprise repose donc, plus encore qu’hier, sur la consommation des ménages et donc aussi sur une progression soutenue de leurs revenus réels. Cette progression est loin d’être assurée.

A l’horizon des prochains mois, à la différence de ce qui s’était passé jusqu’ici, l’inflation va accélérer et éroder quelque peu le pouvoir d’achat des ménages. A cette érosion va s’ajouter un autre facteur, lié au ralentissement prévisible des créations d’emplois. Leur rythme a été, pendant une grande partie de l’an passé, anormalement élevé, traduisant une stagnation, voire une diminution de la productivité du travail. De ce point de vue, un ralentissement des créations d’emplois serait plutôt rassurant. Il n’empêche : ce ralentissement va, lui aussi, freiner la progression du revenu réel des ménages. Pour que leurs dépenses continuent de soutenir l’activité, une hausse plus rapide des salaires devient donc indispensable. Or dans les années qui ont suivi la grande récession, les hausses de salaires sont restées désespérément faibles et la tendance plus positive qui se dessine depuis quelques mois est loin, pour l’instant, d’être bien établie. Si la Réserve fédérale montait ses taux dès l’été, elle parierait clairement sur la confirmation de cette tendance qui laisse attendre des salaires progressant bientôt à 3 % et non plus à 2 %, comme cela a été le cas jusqu’à l’an dernier.

Ce pari est raisonnable. L’évolution du marché du travail américain, d’abord, a été telle qu’il serait maintenant normal de voir les salaires augmenter plus vite. Ensuite, même si cela ne se produisait pas, les effets sur la demande intérieure d’une nouvelle hausse de 25 points de base des taux directeurs ont peu de chances d’être désastreux. Ce qui compte ici n’est en effet pas le niveau des taux directeurs mais celui des taux auxquels empruntent les agents domestiques, ceux pratiqués pour des prêts à des termes nettement plus longs donc. Or la partie longue de la courbe des taux américains est aujourd’hui maintenue basse par les achats massifs d’obligations des banques centrales européenne et japonaise : ces achats poussent les résidents, en particulier ceux de la zone euro, à acheter des obligations étrangères, américaines notamment. Ces interventions «protègent» ainsi la Réserve fédérale et lui ouvrent la possibilité, après avoir mis fin il y a déjà quelque temps à son programme d’achats de titres, de normaliser maintenant aussi le niveau de ses taux directeurs, sans risquer de voir les conditions de crédit aux résidents américains se durcir brutalement.

Reste le possible effet sur le change d’une hausse des taux de la Réserve fédérale plus rapide que celle attendue aujourd’hui par les marchés. Là encore, toutefois, ce risque ne doit pas être exagéré. Certes, on constate depuis longtemps le rôle central des écarts de politiques monétaires attendues sur l’évolution des taux de change. Mais on constate aussi que les interventions des banques centrales sur les marchés obligataires, en rompant le lien habituel entre taux directeurs et taux à long terme, ont rendu ce rôle moins net. Depuis de longs moins maintenant, on ne peut comprendre les mouvements de l’euro face au dollar, par exemple, si l’on ne prend pas aussi en compte l’évolution des écarts de taux à long terme. Tant que l’action de la BCE tirera vers le bas les taux obligataires américains, le dollar ne devrait pas s’apprécier trop violemment… La Fed prendra ses prochaines décisions en fonction de ce qu’elle sait et de ce qu’elle anticipe de la conjoncture américaine. Rarement la politique des grandes banques centrales étrangères lui aura autant facilité la tâche.

Anton Brender

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