La réforme fiscale américaine, un risque pour le commerce international

Publié le 10 février 2017 à 18h01

Anton Brender

Il n’aura pas fallu longtemps pour réaliser à quel point le Président Trump était capable de remettre brutalement en cause des dispositions ou des situations en place. Les remous provoqués par le décret présidentiel visant à prévenir l’entrée de terroristes sur le territoire américain viennent de l’illustrer. Dans les prochaines semaines, la discussion de la réforme de l’impôt sur les sociétés qui va s’engager au Congrès a toutes chances de conduire à la formation de vagues d’une ampleur plus grande encore : l’évolution du dollar comme celle des relations commerciales internationales pourraient en être affectées. Le projet de réforme du Parti républicain rejoint sur beaucoup de points celui esquissé par Donald Trump. Les deux envisagent une baisse sensible du taux d’imposition et la déductibilité totale du revenu imposable des investissements effectués plutôt que des intérêts payés (comme c’est le cas aujourd’hui). Une mesure – «l’ajustement à la frontière» – risque toutefois de provoquer de sérieuses controverses, entre le Président et le Congrès sans doute, mais plus sûrement encore entre les Etats-Unis et le reste du monde.

Le projet du Parti républicain propose en effet de ne plus prendre en compte, pour le calcul du revenu imposable des sociétés, les paiements transfrontaliers : les recettes d’exportations ne rentreraient donc plus dans le calcul de cet impôt et il en irait de même des dépenses liées au règlement de produits importés. Au premier abord, une telle mesure semble clairement protectionniste : en réduisant le profit imposable des entreprises exportatrices et en l’augmentant au contraire pour celles qui s’approvisionnent à l’étranger, cet ajustement ne peut qu’inciter les entreprises à relocaliser leurs productions aux Etats-Unis. La proposition a donc tout pour séduire le nouveau Président même si, pour l’instant au moins, il la trouve… «trop compliquée». Mettre en place des droits de douane semble plus simple ! Le problème est que le Parti républicain est traditionnellement favorable au libre échange et, pour ceux qui le proposent, l’ajustement à la frontière ne relève pas de la politique commerciale : la mesure est d’ordre purement fiscal. Non seulement elle ne vise pas à modifier l’équilibre des échanges commerciaux américains mais elle n’a aucune raison de le faire, expliquent-ils volontiers.

Le raisonnement qui mène à cette conclusion rassurante mérite toutefois le détour. Imaginons en effet l’«ajustement à la frontière» en place. Que se passerait-il ? La réponse des tenants de la mesure est simple : les entreprises américaines, face au coût fiscal de leurs importations et à l’absence d’imposition de leurs exportations, seraient poussées à importer moins et à exporter plus. Le solde courant américain se réduirait et le dollar s’apprécierait jusqu’à neutraliser complètement l’incitation à exporter plus et à importer moins liée à cette mesure. Le dollar montera donc jusqu’à ce que, finalement, le profit après impôts des entreprises américaines retrouve son niveau antérieur. Et les tenants de la mesure d’affirmer tranquillement qu’avec un taux d’impôt sur les profits des sociétés abaissé à 20 %, une hausse du dollar de… 25 % assurera la «neutralité commerciale» de l’ajustement frontalier !

Cette appréciation annoncée du dollar postule toutefois le jeu de mécanismes d’un autre âge. La globalisation financière a en effet profondément changé la nature des forces qui influencent les cours des monnaies. Dans le cas du marché des changes du dollar en particulier, l’influence du solde commercial américain s’est considérablement atténuée, tandis que celle des forces financières – écarts de taux d’intérêt et anticipations des investisseurs – s’est accrue. Et l’on voit mal comment ces dernières pourraient aujourd’hui conduire rapidement à une hausse aussi extrême de la devise américaine. D’ailleurs, si elle devait s’amorcer, des tweets présidentiels ne manqueraient pas de venir l’entraver.

La conclusion est claire et inquiétante : la réforme de la fiscalité des sociétés qui va être décidée aux Etats-Unis a toutes les chances d’avoir des conséquences importantes sur le commerce international, et il appartiendra au reste du monde de voir comment il réagira. Une chose est sûre : en discuter avec le nouveau Président américain ne sera pas chose facile !

Anton Brender

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