L’activisme de la BCE ne peut pas tout

Publié le 23 septembre 2016 à 17h49

Anton Brender

Comment comprendre que des taux d’intérêt puissent être négatifs ? Certains diront simplement que cette situation est le pur produit des politiques menées par quelques grandes banques centrales. En achetant massivement des titres de dette sur le marché obligataire et en faisant payer les banques qui déposent auprès d’elle leurs réserves, une banque centrale peut en effet aplatir la courbe des taux d’intérêt en même temps qu’elle la tire vers le bas. Dire pour autant que les niveaux de taux que l’on observe sont purement artificiels serait toutefois une erreur. En tirant vers le bas l’ensemble des taux d’intérêt, les banques centrales tentent de stimuler autant qu’elles le peuvent la demande de crédit : elles espèrent, par ce biais, faire progresser le niveau de la demande de biens et de services pour lui faire rejoindre – voire dépasser un peu – celui de l’offre potentielle. Si, dans la zone euro par exemple, la courbe des taux était effectivement artificiellement maintenue à un niveau excessivement bas, on devrait assister à une montée des tensions inflationnistes. Force est de constater que ce n’est aujourd’hui toujours pas le cas. Les taux d’intérêt exceptionnellement bas que nous connaissons depuis plusieurs années sont le reflet, certes amplifié par la politique menée par la BCE, d’un sous-emploi toujours important de nos capacités de production.

Que l’on en arrive à des taux négatifs n’en peut pas moins surprendre. Pourtant, si aussi bien ceux qui empruntent que ceux qui placent sont, pour des raisons diverses, peu sensibles au niveau des taux d’intérêt, il peut falloir des taux très bas pour parvenir, par le seul biais de la politique monétaire, à stimuler suffisamment la dépense privée : la conjoncture actuelle de la zone euro montre que les taux négatifs que nous connaissons y suffisent à peine. La rigidité des comportements d’épargne en particulier force à baisser les taux très bas pour trouver des emprunteurs. Loin d’être une aberration, ces taux traduisent une réalité profonde : le glissement d’une économie où l’habituelle préférence pour le présent s’estompe et cède la place à une préférence pour le futur. Ce glissement est lourd de conséquences. Comment en effet s’assurer que l’on pourra dépenser demain une partie de son revenu d’aujourd’hui, sinon en le prêtant à quelqu’un qui vous le rendra ? Si effectivement ceux qui cherchent à transférer ainsi du pouvoir d’achat d’aujourd’hui vers demain sont nombreux et si ceux prêts à l’emprunter le sont relativement moins, l’apparition de taux négatifs n’aura rien d’étonnant : elle signifiera simplement que les prêteurs sont prêts à payer les emprunteurs qu’ils jugent les plus sûrs pour être certains de récupérer, demain, l’argent mis de côté !

Que les niveaux de taux observés actuellement puissent se comprendre ne veut bien sûr pas dire qu’ils sont sans dangers. Une courbe des taux qui resterait durablement basse et plate aurait pour effet de remettre en cause le business model des banques et des assureurs et l’équilibre de nombre de fonds de pension. En même temps, la recherche de rendement dans un monde de taux sans risque négatifs ne peut que conduire à des prises de risque excessives… Le reprocher aux seules banques centrales serait toutefois injuste : à défaut de pouvoir par leur politique faire tout ce qu’il faudrait pour ramener nos économies au plein emploi, elles font tout ce qu’elles peuvent… même si ce n’est pas dénué de dangers. Le contraste entre l’activisme de la banque centrale européenne et la passivité de nos gouvernements n’en est rendu que plus flagrant. Une manière plus puissante et au total moins dangereuse de ranimer notre conjoncture existe pourtant. En s’interdisant d’emprunter plus, nos Etats se privent d’investissements qui pourraient améliorer la compétitivité de leurs économies et rendre le développement de nos sociétés plus soutenable. Les taux de marchés disent aux Etats européens qu’ils peuvent emprunter à long terme à des taux quasi nuls pour financer des projets à long terme qui iraient dans ce sens. L’opportunité est unique. L’étroitesse de vue et le manque d’audace de nos gouvernements sont en train de nous la faire manquer…

Anton Brender

Chargement en cours...