Trump ou la dynamique du chaos

Publié le 25 mai 2018 à 11h25    Mis à jour le 25 mai 2018 à 16h31

Anton Brender

Selon ses propres dires, Donald Trump est depuis longtemps adepte d’une technique de management particulière : la dynamique du chaos. Loin de traduire une quelconque incapacité à gouverner du Président, le renouvellement rapide de ses collaborateurs les plus proches comme l’ambiance tendue qui semble régner à la Maison blanche ne seraient que le résultat de sa façon de gérer les hommes et les situations. Un an et demi après l’élection du nouveau Président, certains finissent d’ailleurs par se demander si sa méthode n’est pas plus efficace que ne le disent ses détracteurs. Après tout, n’est-il pas déjà presque parvenu, par le seul pouvoir de tweets incendiaires et de déclarations bien senties, à amener la Corée du Nord à la table des négociations ? Sur ce point, il faudra attendre encore quelque temps pour juger. Sur d’autres, toutefois, l’incohérence de son action pourrait apparaître beaucoup plus vite. Les germes de chaos qu’il sème depuis quelques mois dans les relations internationales pourraient menacer rapidement le principal objectif affiché de sa politique économique, à savoir redonner à l’économie américaine son dynamisme perdu.

La réforme fiscale votée en décembre dernier visait explicitement à stimuler la croissance. En baissant les impôts, en donnant aux entreprises la possibilité d’amortir dans l’année la totalité de leurs investissements, en les incitant à rapatrier leurs profits, cette réforme cherchait, aux dires mêmes de ses instigateurs, à pousser les sociétés américaines à investir plus. Pour faire bon poids, le budget voté quelques semaines plus tard a ouvert à l’Etat fédéral la possibilité d’augmenter de plusieurs centaines de milliards ses dépenses cette année et l’an prochain. Cette hausse des dépenses publiques va venir pousser encore les feux d’une économie déjà proche de son potentiel. Desserrer les contraintes qui pèsent sur leurs capacités de production va dès lors donner aux entreprises une raison supplémentaire d’investir. Et, pour permettre à l’économie de croître, comme l’a promis le Président Trump, à un rythme nettement plus élevé que les maigres 2 % auxquels on s’était jusque-là résigné, cet effort accru d’investissement est absolument nécessaire.

Le chaos que la politique internationale du Président est en train d’établir dans les relations internationales pourrait pourtant assez vite dissuader les entreprises de le fournir. La difficile renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain, l’amorce d’une guerre commerciale avec l’Europe, les menaces de sanctions économiques et financières agitées presque quotidiennement, le bras de fer engagé avec les autorités chinoises, l’huile aussi jetée sur le brasier du Moyen-Orient pourraient en effet vite déstabiliser une économie mondiale qui vient à peine, après dix ans de politiques de détresse, de retrouver le chemin de la croissance. L’incertitude sur les conditions dans lesquelles on pourra demain exporter et importer, la volatilité accrue des bourses et des changes, la hausse du prix du pétrole et les tensions géopolitiques pourraient, si elles persistent, freiner, aux Etats-Unis comme dans le reste du monde d’ailleurs, les décisions d’embauche et d’investissement et, avec elles, la croissance de l’activité.

Un tel freinage, en évitant à la Réserve fédérale d’avoir à monter beaucoup plus ses taux d’intérêt, ne serait pas forcément mal venu diront certains : il permettrait une détente des taux obligataires. Sans doute. Mais il tuerait surtout dans l’œuf tout espoir de voir enfin l’investissement des entreprises américaines devenir suffisant pour générer les gains de productivité qui seuls peuvent élever son potentiel et lui permettre de croître durablement plus vite. En outre, freiner par ce biais l’économie américaine – et avec elle l’économie mondiale – est dangereux. Si la Réserve fédérale peut assez facilement régler l’intensité du freinage provoqué par une remontée progressive – et à tout moment réversible – de ses taux directeurs, il en irait différemment si ce freinage devait résulter d’une montée, vite incontrôlable, de l’incertitude sur l’avenir des relations économiques internationales. Donner un coup de frein brutal en même temps qu’un coup d’accélérateur reste une technique assez sûre pour faire un tête-à-queue !

Anton Brender

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