Une marge de manoeuvre limitée pour Jerome Powell

Publié le 9 février 2018 à 17h55

Anton Brender

Janet Yellen vient de quitter la présidence de la Réserve fédérale. Pourtant, le Président Trump l’a dit à plusieurs reprises avant de décider de ne pas renouveler son mandat, il «l’aimait bien». En nommant à la place de cette économiste démocrate, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’a pas démérité, Jérôme Powell, un avocat républicain, le Président a clairement fait un choix politique. Certes, ce dernier était depuis plusieurs années déjà membre du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale et les responsabilités qu’il a assumées au Trésor puis chez Carlyle lui ont rendu le comportement des marchés financiers familier, chose précieuse lorsqu’on mène la politique monétaire. Mais comment ne pas croire qu’en le préférant à Janet Yellen, Donald Trump a voulu mettre à la Réserve fédérale quelqu’un susceptible de l’aider à mener à bien sa politique ? Si tel est le cas, il pourrait, sur un point au moins, être déçu.

La politique menée par la Réserve fédérale est loin, d’abord, d’être décidée par son seul président. Les autres membres du Comité de politique monétaire ont un rôle non négligeable, comme aussi les équipes qui, toutes les six semaines, préparent méthodiquement chacune de ses décisions. Cette mécanique, à laquelle participent quelques centaines d’économistes, a été rodée au fil des ans et des crises. On peut penser qu’il sera difficile pour le nouveau Chairman de s’en libérer totalement sans provoquer de sérieux remous.

A cette contrainte interne, s’en ajoute une autre, externe celle-là, qui limite plus encore les marges de manœuvre du président de la Réserve fédérale. Elle tient tout simplement au rôle des marchés obligataires dans la transmission de la politique monétaire. Si la Réserve fédérale fixe le niveau des taux directeurs, c’est le marché obligataire qui détermine celui des taux à long terme. Et ce sont les fluctuations de ces derniers qui règlent, pour l’essentiel, le rythme de l’activité économique. Aux Etats-Unis, en particulier, les taux des prêts auxquels ménages et entreprises ont recours pour financer leurs dépenses sont fortement corrélés à ceux des obligations de même maturité. Bien sûr les taux directeurs interviennent dans la détermination de leur niveau. Mais plus le terme est long et moins leur influence est grande, comme aussi celle des indications que peut donner la Banque centrale sur ce que ces taux directeurs seront demain. Le niveau des taux à dix ou trente ans, ceux qui déterminent par exemple le coût des emprunts hypothécaires des ménages, est aussi sensible à l’idée que se font les marchés sur ce que sera, à plus long terme, l’inflation.

En quoi Jerome Powell pourrait-il dès lors aider le Président Trump ? En convainquant les membres du FOMC de garder bas les taux directeurs à un moment où l’économie, stimulée à l’excès par un surcroît de dépenses budgétaires, serait menacée de surchauffe ? Ce serait rendre à celui auquel il doit sa nomination un piètre service : très vite les taux à long terme – la réaction des marchés à la progression du salaire horaire moyen en janvier dernier vient d’en donner un bon exemple – seraient violemment poussés à la hausse et la demande de crédit s’en trouverait brutalement freinée, en même temps que les cours de Bourse chuteraient. Loin de permettre à l’économie d’aller plus vite, la passivité de la Réserve fédérale face à un risque de surchauffe de l’économie a toutes chances, au contraire, de provoquer un arrêt de la croissance, voire une récession.

Bien sûr, dira-t-on, si la Fed veut à tout prix permettre à l’économie de dépasser sa vitesse limite, elle a les moyens d’y parvenir. Il lui suffit pour cela de lancer un nouveau «QE» : en achetant sur le marché obligataire autant de titres obligataires que nécessaire, elle pourrait purement et simplement étouffer la réaction des marchés au risque d’une surchauffe de l’économie. On a du mal toutefois à penser que Jerome Powell arrive à convaincre une majorité de membres du FOMC de recourir à des mesures «non conventionnelles» pour aller à l’encontre de la mission qui leur est confiée ! A bien y regarder, le meilleur service que le nouveau Chairman puisse rendre au Président Trump est de faire progresser l’activité à un rythme tel que le chômage reste le plus bas possible sans pour autant prendre le risque d’un dérapage de l’inflation. En un mot : mener une politique semblable à celle menée par Janet Yellen… !

Anton Brender

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