Le marché européen des fonds est-il intégré ?

Publié le 14 septembre 2018 à 10h43

Jean-François Boulier

La première directive européenne UCIT datant de 1985 a inauguré une longue série d’efforts pour harmoniser et tirer vers le haut l’industrie des fonds communs de notre continent. Ces efforts substantiels et constants depuis plus de 30 ans ont-ils été couronnés de succès ? Si l’on peut en effet accéder à de nombreux promoteurs étrangers dans chaque pays européen, y a-t-il un lien entre l’utilité apportée par le fonds, en termes de performance notamment, et sa part de marché dans les pays européens ?

Dans un article intitulé «Foreign-promoted mutual funds in the continental European market», une chercheuse de l’Université de Lyon analyse les performances, frais et parts de marché des fonds commercialisés en Europe, à partir de la base de données européenne (Lipper). Les biais entre les fonds locaux et les fonds gérés par des promoteurs étrangers sont analysés sur une période de 13 années et dans 14 des principaux pays d’Europe continentale. Plusieurs variables explicatives des résultats sont également introduites pour mesurer les effets de la taille et de la notoriété des fonds ou du promoteur.

Les résultats sont sans appel : les fonds étrangers ont en moyenne de meilleures performances que la moyenne des performances des fonds locaux. Ce résultat semble très robuste car il ne dépend pas de la méthode de mesure des performances et s’applique aux différents sous-échantillons considérés. La différence est de l’ordre de 50 points de base par an… Pas négligeable pour un investisseur ! La taille de la famille de fonds – et non celle du fonds – l’allocation et l’âge du véhicule tendent à accroître la différence. La provenance de Luxembourg ou de Dublin, le caractère ISR et la distribution dans la banque-assurance tendent au contraire à la diminuer.

Mais les parts de marché ne sont pas en cohérence avec ces résultats. Les fonds étrangers souffrent d’un déficit de détention en comparaison avec les fonds locaux. Il en coûte en moyenne un point de part de marché d’être un fonds étranger ! Ni les frais, ni les évolutions de la réglementation n’apportent d’explications suffisantes, du moins dans le cadre de cette étude empirique. Les parts progressent toutefois lorsque la famille de fonds est plus innovante et propose des fonds «stars», particulièrement performants dans leurs catégories.

Il n’est pas surprenant au demeurant qu’un promoteur étranger sélectionne ses meilleurs fonds pour les vendre à l’étranger, où sa marque est moins connue et les efforts de marketing seront plus coûteux. Ce qui reste plus surprenant est l’ampleur du handicap, ou, dit autrement, la puissance de la préférence domestique. Comme on le dit souvent, les fonds sont vendus aux épargnants qui sont souvent passifs dans leur sélection. Or ils ont tort ! Sur dix ans, avec la capitalisation, c’est entre 5 et 10 % de performance en moins. Mais nous butons là sur d’autres facteurs, comme la faiblesse de la culture financière, la confiance dans des marques et réseaux connus, la facilité aussi peut-être…

Cette étude, la première de cette ampleur et de cette richesse, se focalise enfin sur des données européennes alors que de telles analyses ont pu être conduites aux Etats-Unis grâce à la base de données de l’Université de Chicago. L’analyse concrète des comportements permettra de mieux gérer la distribution des fonds, de mieux anticiper le comportement des épargnants, sans doute assez différents d’un pays à l’autre, et de réguler plus justement ces importants marchés. Mais la leçon principale à tirer, me semble-t-il, est qu’en dépit des efforts des régulateurs et des professionnels, il faut davantage que des règles, aussi bonnes soient-elles, pour harmoniser un marché au bénéfice de ses consommateurs.

Jean-François Boulier Président d'honneur ,  Af2i

Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.

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