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Private equity : de la difficulté d’apprécier la performance

Publié le 10 novembre 2017 à 16h44    Mis à jour le 16 novembre 2017 à 16h44

Jean-François Boulier

Le très bas niveau des taux d’intérêt pousse les investisseurs à se tourner vers les actifs alternatifs, en particulier vers les titres émis par les entreprises non cotées en bourse. Dans leur récente synthèse*, Thijs Markwat et Roderick Molenaar montrent une certaine supériorité des performances des fonds qui en gèrent (comparées aux actions cotées), au prix toutefois de plusieurs difficultés, notamment une grande hétérogénéité des performances des gérants.

Les professionnels du private equity séparent habituellement deux segments, d’une part celui du capital innovation (venture capital) correspondant à l’émergence et au lancement des entreprises, et d’autre part celui du capital développement (buy-out), dont les motivations peuvent être les phases de transmission ou de croissance des entreprises. Les fonds investissent progressivement les montants auxquels leurs clients investisseurs se sont engagés, si bien que le profil de liquidité du fonds s’étale sur des durées de l’ordre de sept à huit ans avec des décaissements les trois à quatre premières années et des remboursements les quatre dernières. Entre les deux, la liquidité n’est pas assurée et si le client investisseur en a besoin, il devra consentir à vendre ses parts de fonds avec une décote allant de 8 % à 15 %, et encore, s’il trouve un acheteur.

Une grande dispersion des résultats

On comprendra donc que la comparaison entre le private equity et le placement boursier ne peut pas vraiment être faite sur une base complètement équitable. Les travaux empiriques portant sur les multiples, c’est-à-dire l’accroissement de valeur entre les euros investis et les euros reçus, montrent que le capital innovation aurait rapporté ces dernières décennies de l’ordre de 2 % (net de frais)par an de plus que les indices boursiers aux Etats-Unis, et le capital développement 3 % à 4 % de plus.

Mais la dispersion des résultats entre fonds et par millésimes est considérable, pas moins forte que la volatilité boursière ! Par exemple, le quart supérieur des gérants bat la bourse de 2 % annuels pour le capital développement et de 4 % pour le capital innovation ; le dernier quart quant à lui sous-performe de 1 % pour le capital développement et de 3 % pour le capital innovation. Le fonds et l’équipe qui le gère comptent donc autant que la classe d’actifs !

En outre, la reproductibilité des performances dans le futur n’est guère plus assurée que pour la gestion des fonds d’actifs classiques. Au XXe siècle, les meilleurs fonds avaient une capacité de surperformance vis-à-vis de leurs concurrents qui était relativement forte, puisque 40 % environ du premier quartile y restait année après année. Depuis l’an 2000, c’est le quart perdant qui présente une certaine persistance, avec une probabilité d’environ un tiers, sans que les gérants du meilleur quart aient réussi à assurer leur domination.

Bien choisir son gérant est donc capital ! Et ce d’autant plus que l’on va dépendre de lui pendant quelque sept ans. Des travaux théoriques ont pu estimer la prime d’illiquidité à environ 0,7 % par an. Les bases de données actuelles restent malheureusement encore imparfaites pour tous les biais déjà repérés chez une autre catégorie d’acteurs, les hedge funds : propensions à déclarer plus vite les bons résultats, lenteurs à déclarer les pertes… Autant de travers humains qu’il faut garder en tête. En outre, la rémunération des gérants a souvent été critiquée comme excessive. La performance des fonds ne permet pas d’apprécier ce qui est dû à la classe d’actifs et dû au gérant. Des travaux en cours sur les transactions des fonds pourraient bientôt apporter un éclairage utile.

Malgré ces réserves, investir en actions non cotées paraît attractif, même si David Swensen, le responsable réputé des investissements de l’Université de Yale, rappelle que si l’on n’a pas de compétence en la matière, il vaut mieux s’abstenir. Le conseil vaut, à vrai dire, pour bien des investissements ! 

* «The Value of Private Equity for Institutional Investors», Thijs Markwat et Roderick Molenaar, Bankers Market and Investors 148, Special Issue on Illiquid Assets. Article présenté lors des Agoras de la gestion à Lyon le 27 septembre 2017.

Jean-François Boulier Président d'honneur ,  Af2i

Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.

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