Comment définirait-on aujourd’hui les institutions européennes ?

Publié le 24 mars 2017 à 17h33

Patrick Artus

Si au lieu de réfléchir à des modifications à la marge des institutions européennes on les réécrivait complètement aujourd’hui au vu de l’expérience du passé, que ferait-on ? Il faudrait d’abord définir ce qui constitue le socle commun de l’appartenance à l’Union européenne (UE).

Il s’agit d’abord de valeurs (respect des droits de l’homme, indépendance de la presse et de la justice) ; il s’agit aussi de règles communes (dans le domaine de la concurrence, du commerce, des réglementations et des normes), qui permettent à l’UE de peser face au reste du monde. Il s’agit enfin de la libre circulation des personnes, des biens et services, du capital. L’UE est indissociable de l’existence de ce marché unique, qui a permis par exemple le rattrapage du niveau de vie des pays d’Europe centrale et orientale par rapport à celui de l’Europe de l’Ouest, le développement de leur industrie et leur intégration commerciale dans l’ensemble européen.

On ne réfléchit en effet pas assez aux différences importantes entre les pays de l’UE non membres de la zone euro et les pays de la zone euro. Les pays de la zone euro, ne pouvant plus utiliser le taux de change comme instrument de politique économique, doivent en effet accepter des règles et des principes de coordination des politiques économiques qui n’ont pas de sens pour les pays de l’UE non membres de la zone euro. Cela est mal compris, et conduit à une différenciation insuffisante des contraintes, des règles entre les pays européens de la zone euro et non membres de la zone euro.

Ce n’est qu’entre les pays de la zone euro qu’il est nécessaire de coordonner les politiques fiscales, pour les impôts qui influencent la compétitivité (cotisations sociales des entreprises, taxation des profits des sociétés), ou les politiques salariales ; pour les autres pays, un écart entre ces impôts ou entre les progressions des salaires peut être corrigé par le taux de change.

De même, ce sont seulement les pays de la zone euro qui doivent respecter des règles de bonne conduite budgétaire : ils doivent donc accepter ces règles et ces principes de coordination des politiques fiscales, salariales…

Il faut ensuite que les institutions permettent la stabilité de la zone euro, évitent les dynamiques qui conduiraient à l’explosion de la monnaie unique. Cela n’est à nouveau pas du tout le cas aujourd’hui. Prenons trois exemples importants.

Le premier est celui de la mobilité des capitaux. Depuis la crise de 2011-2012, elle a disparu entre les pays de la zone euro, les pays ayant des excédents extérieurs (Allemagne, Pays-Bas) ne les prêtant plus aux autres pays qui ont dû faire disparaître leurs déficits extérieurs. Il faut comprendre qu’une Union monétaire sans mobilité des capitaux ne sert à rien, puisqu’on fait disparaître le risque de change précisément pour permettre l’allocation optimale de l’épargne.

Le deuxième est celui de l’ajustement des politiques économiques : il devrait être symétrique, c’est-à-dire impliquer à la fois des politiques restrictives dans les pays en difficulté et des politiques expansionnistes dans les pays en situation favorable. Mais aujourd’hui, il est asymétrique et récessif, puisqu’il est à la charge des seuls pays en difficulté.

Le troisième est celui de la correction de l’hétérogénéité de niveau de vie entre les pays de la zone euro. Il faut alors disposer de mécanismes correctifs, par exemple d’un budget fédéral de taille suffisante, ce qui n’est pas le cas dans la zone euro.

Il faut enfin une vision flexible et non monolithique de l’UE. A 27 pays, il est impossible d’obtenir l’unanimité dans tous les domaines, la participation des pays à tous les projets. L’idée naturelle qui d’ailleurs progresse est alors que des groupes de pays puissent avancer ensemble plus vite dans certains domaines (ce qui existe déjà, sous le nom de coopérations renforcées) : sécurité, défense, climat, énergies renouvelables…

Patrick Artus Chef économiste ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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