La malédiction des mauvais emplois dans les pays de l’OCDE

Publié le 20 janvier 2017 à 17h07

Patrick Artus

L’industrie continue à se déplacer vers les pays émergents, et stagne dans les pays de l’OCDE. Cela diminue le nombre d’emplois dans l’industrie et dans les services liés à l’industrie dans les pays de l’OCDE, où la structure des emplois se déforme vers les emplois de services peu sophistiqués. La bipolarisation des marchés du travail et le sentiment (correct) dans les opinions des pays de l’OCDE que les emplois créés sont de «mauvais emplois» vont donc continuer à être présents.

Nous partons du constat que l’industrie va continuer à stagner dans les pays de l’OCDE. La demande mondiale pour les produits industriels augmente faiblement, l’économie mondiale se déforme vers une économie de services. Depuis 2008, la production industrielle du monde a progressé de 5 %, son PIB de 28 %. Les coûts de production, même s’ils ont augmenté, sont toujours nettement plus faibles (de 50 %) dans les pays émergents que dans les pays de l’OCDE, ce qui explique que la production manufacturière continue à se déplacer vers les pays émergents et stagne dans les pays de l’OCDE, qui deviennent rapidement des économies de services. Depuis 2007, la production industrielle des pays de l’OCDE a reculé de 7 %, leur PIB a progressé de 8 %.

Cela explique la déformation de la structure des emplois dans les pays de l’OCDE. La stagnation de la production industrielle dans les pays de l’OCDE explique le recul des emplois dans l’industrie manufacturière et donc les services à l’industrie. Les emplois se créent donc dans les autres services aux entreprises et dans les services domestiques (ce que nous constituons à partir des hôtels-restaurants-loisirs, des services à la personne, des transports, de la distribution et des services immobiliers. De 2002 à 2016, l’emploi industriel des pays de l’OCDE a reculé de 18 %, l’emploi dans les services domestiques a augmenté de 12 %.

Cette déformation de l’économie vers les services crée des emplois de productivité et de revenu faibles. Les services domestiques ont, en 2016, une productivité inférieure de 40 % à celle de l’industrie, un salaire moyen inférieur de 38 % à celui de l’industrie.

Il reste aussi dans les pays de l’OCDE des emplois sophistiqués qui correspondent aux secteurs qui continuent à se mondialiser : nouvelles technologies, services financiers. Mais le poids de ces emplois sophistiqués n’augmente pas : ils représentaient 6,7 % de l’emploi total en 2002, 6,3 % en 2007 et en 2016. La déformation centrale de la structure des emplois dans les pays de l’OCDE est donc la transformation d’emplois dans l’industrie et les services liés à l’industrie en emplois dans les services domestiques.

La dégradation de la structure des emplois va donc se poursuivre. La demande mondiale de produits industriels augmentant peu, et la compétitivité-coût des pays de l’OCDE restant faible par rapport à celle des pays émergents, dans les pays de l’OCDE. Ils sont remplacés par des emplois de services peu sophistiqués, de productivité et de salaire plus faibles ; tandis que le poids des emplois haut de gamme est relativement constant.

Cela va perpétuer dans les pays de l’OCDE le mouvement vers la bipolarisation des marchés du travail (les emplois se concentrent aux deux extrêmes de l’échelle de la sophistication et des revenus) ; la désindustrialisation ; la réduction de la mobilité sociale (puisque les nouveaux emplois sont peu sophistiqués et de salaire faible) ; le sentiment de l’opinion que les emplois créés sont de «mauvais emplois».

Cette évolution est très dangereuse socialement et politiquement : la réduction de la mobilité sociale crée un fort sentiment de frustration et d’injustice, qui nourrit les idéologies populistes. Mais les pays de l’OCDE pensent-ils sortir de la bipolarisation du marché du travail ? Collectivement, non. Nous avons vu plus haut que la demande pour les produits industriels dans l’ensemble des pays de l’OCDE était complètement stagnante.

Individuellement, un pays de l’OCDE peut se réindustrialiser, recréer des emplois intermédiaires, en gagnant de la compétitivité-coût par rapport aux autres pays. C’est la stratégie de l’Espagne à l’intérieur de la zone euro, avec la forte baisse des coûts salariaux depuis la crise ; c’est la stratégie du Royaume-Uni, avec la dépréciation du change et la baisse programmée de la pression fiscale des entreprises.

Mais il ne s’agit que de stratégies individuelles de pays et non coopératives, qui ne feront qu’aggraver la situation des autres pays de l’OCDE. La bipolarisation des marchés du travail semble donc être inexorable, avec tous les risques induits.

Patrick Artus Chef économiste ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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