Peut-il y avoir une crise majeure sur les marchés d’actions ?

Publié le 29 juin 2018 à 9h01

Patrick Artus

Certains investisseurs commençaient à craindre une crise majeure sur les marchés d’actions, aux Etats-Unis et en Europe. Une telle crise est-elle envisageable ? Nous nous interrogeons sur trois causes possibles d’un retournement important à la baisse des marchés d’actions : une forte hausse de l’aversion pour le risque ; une forte hausse des taux d’intérêt à long terme ; un fort recul de la croissance.

Il existe d’abord un facteur difficile à quantifier et à prévoir, qui est la montée de l’aversion pour le risque. Politiques protectionnistes, tensions géopolitiques (Moyen-Orient, Russie), sortie des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien, tensions politiques entre les pays européens… Nos instruments montrent, sur une échelle de 0 à 100, un niveau d’aversion pour le risque proche aujourd’hui de 80, alors qu’il était de 20 en 2017. Cette hausse de l’aversion pour le risque est bien sûr défavorable aux marchés d’actions, mais elle a déjà eu lieu : la marge de hausse supplémentaire de l’aversion pour le risque est faible, et ne pourrait pas conduire à l’effondrement des marchés d’actions.

Quand on regarde les autres causes possibles d’une crise sur les marchés d’actions, on voit apparaître une forte asymétrie entre les Etats-Unis et la zone euro. Outre-Atlantique, la profitabilité des entreprises va rester forte avec la réforme fiscale (baisse à 21 % du taux d’imposition des profits) et la progression rapide de la demande (des investissements des entreprises, de la consommation avec celle de l’emploi, de l’immobilier résidentiel, des exportations). Même si le retour au plein emploi freine la croissance de la production, celle-ci pourrait rester voisine de 2 % par an, ce qui correspond à la croissance potentielle. Le risque aux Etats-Unis ne vient donc pas de la croissance ou des profits, mais des taux d’intérêt. La Réserve fédérale veut normaliser les siens et évoque même la possibilité de les passer au-dessus du taux d’intérêt neutre (3 %) si le chômage devient inférieur au chômage structurel.

Si une hausse non anticipée des taux d’intérêt à court terme aux Etats-Unis conduisait à une hausse forte, elle-même non anticipée, des taux d’intérêt à long terme, l’effet sur les cours boursiers serait très défavorable, directement, et parce que la hausse des taux d’intérêt à long terme découragerait les émissions d’obligations des entreprises américaines qui financent les rachats d’actions. Or les rachats d’actions jouent un rôle très important pour soutenir les cours boursiers aux Etats-Unis, expliquant l’écart de valorisation des actions entre les titres américains et ceux de la zone euro.

Si le risque aux Etats-Unis est un risque de taux d’intérêt et non un risque de croissance, la situation est totalement inverse dans la zone euro. La BCE va arrêter le quantitative easing à la fin de 2018, mais l’effet de cet arrêt sera faible, en particulier parce que c’est le stock d’obligations détenu par la Banque centrale qui influence le taux d’intérêt à long terme, et non le flux d’achat d’obligations. La BCE va maintenir, au-delà de l’été 2019, des taux d’intérêt à court terme nuls, et ceci maintiendra des taux d’intérêt à long terme très faibles dans la zone euro. Il n’y a donc pas de risque que la hausse des taux d’intérêt conduise à une crise des marchés d’actions dans la zone euro.

En revanche, le risque peut venir de la croissance de la zone euro. Tous les indicateurs cycliques montrent un ralentissement de la croissance, qu’on peut expliquer par divers mécanismes : la hausse de l’inflation due à la hausse du prix du pétrole qui fait disparaître la hausse du salaire réel ; les difficultés d’embauche des entreprises qui freinent l’emploi ; la fin du cycle de hausse de l’investissement. Le ralentissement de la croissance au sein de l’Union monétaire peut être important, conduisant à une révision à la baisse des perspectives de bénéfices et au recul des marchés d’actions de la zone euro.

Que faut-il donc surveiller pour savoir s’il peut y avoir une crise des actions américaines ou européennes ? L’aversion pour le risque et ses déterminants, mais nous avons vu qu’elle était déjà élevée ; aux Etats-Unis les taux d’intérêt à long terme, dont la hausse arrêterait les rachats d’actions si elle était trop forte ; dans la zone euro la croissance, qui se retourne à la baisse à la fois par l’affaiblissement de la demande de biens et services et par celui de l’offre.

Mots clés Banque
Patrick Artus Chef économiste ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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