Un budget de la zone euro : comment, pourquoi, quand ?

Publié le 6 octobre 2017 à 11h23    Mis à jour le 6 octobre 2017 à 17h23

Patrick Artus

Emmanuel Macron propose de créer un budget de la zone euro, qui aurait des ressources fiscales propres et financerait des investissements faits en commun. On sait que cette proposition ne soulève pas d’enthousiasme en Allemagne. Cela nous incite à nous demander quelle forme peut prendre un budget de la zone euro, à quoi il pourrait servir, et si sa création peut être acceptée par tous les pays.

La première question est celle de la forme que prendrait un tel budget. On peut partir d’une forme minimaliste, qui serait simplement de transférer un certain nombre de dépenses publiques et un certain nombre de recettes fiscales depuis les budgets existants des pays de la zone euro. Il y aurait alors un intérêt politique à sa création, mais très peu d’intérêt économique puisqu’il s’agirait surtout d’une création comptable à partir de l’existant. Nous reviendrons plus loin sur les quelques économies d’échelle qui seraient réalisables.

Une version plus ambitieuse du budget de la zone euro est de lui donner des ressources fiscales propres (Emmanuel Macron mentionne la taxation du CO2, la taxation des GAFA) et de lui faire financer des investissements nouveaux (énergies renouvelables, entreprises innovantes, équipements militaires, formation et éducation…) en assurant l’équilibre budgétaire. La zone euro aurait alors un instrument d’intervention supplémentaire dans le domaine des investissements.

La version la plus ambitieuse du budget de la zone euro est enfin de lui permettre d’émettre des obligations pour financer ses dépenses. Il y aurait alors apparition d’Eurobonds, d’une dette fédérale de la zone euro. Ce serait une évolution très favorable, puisqu’il y aurait enfin une dette sans risque unifiée et non segmentée (la zone euro prise globalement est très largement solvable budgétairement), mais il faut remarquer qu’il y a déjà aujourd’hui des institutions voisines de ce type de budget de la zone euro : la Banque européenne d’investissement, le plan Juncker.

La seconde question est donc celle de l’utilité, du rôle d’un budget de la zone euro. Celui-ci a potentiellement cinq rôles.

Le premier, qui vient d’être évoqué, est, dans la version la plus ambitieuse du budget de la zone euro, de créer un marché des Eurobonds.

Le deuxième, qui correspond à la version intermédiaire du budget de la zone euro, est de financer des investissements nouveaux nécessaires, comme il a déjà été dit plus haut, dans les énergies renouvelables, l’innovation, l’équipement militaire, l’éducation.

Le troisième, qui correspond à la version la plus restrictive du budget de la zone euro, est de réaliser au niveau de la zone euro des investissements publics qui étaient auparavant faits au niveau de chaque pays, donc de générer des économies d’échelle, ou effet de taille.

Les deux rôles suivants du budget de la zone euro sont des rôles macroéconomiques. Il s’agit d’abord d’un rôle contracyclique entre les pays de la zone euro. Si le budget de la zone euro finance des investissements stables, de long terme (dans l’énergie, l’innovation, les équipements militaires…) et est financé par des impôts liés au cycle économique (impôts indirects, impôts sur les profits des entreprises), un pays en récession paie moins d’impôts et donc, en termes nets, reçoit de l’argent du budget, alors qu’un pays en expansion est contributeur net au budget de l’euro. Il y a donc bien stabilisation cyclique entre les pays de la zone euro (on parle de «rainy days fund») dont les positions cycliques peuvent différer.

Il peut ensuite s’agir de l’introduction d’une dose de fédéralisme dans la zone euro. Si les ressources du budget de la zone euro sont liées au niveau de la vie de chaque pays, et si ses dépenses sont homogènes ou même concentrées sur les pays plus pauvres, il apparaît des transferts nets permanents des pays plus riches de la zone euro vers les plus pauvres, c’est-à-dire du fédéralisme. On sait que le fédéralisme est indispensable dans la zone euro pour corriger l’hétérogénéité croissante de revenus entre les pays qui vient des différences croissantes entre les spécialisations productives.

On peut enfin se demander quel type de budget de la zone euro peut être accepté par l’ensemble des pays de la zone euro. La version de base, qui est un simple transfert de recettes et de dépenses, n’a comme effet bénéfique que l’effet de taille, de rendement d’échelle, si certains investissements publics sont faits en commun. Cette version est très certainement acceptable.

La version intermédiaire incorpore des investissements nouveaux et des recettes fiscales affectées. Elle a l’avantage de financer des investissements nécessaires et de réaliser une action contracyclique, et d’introduire une dose de fédéralisme. Elle a l’inconvénient de correspondre à une hausse de la pression fiscale de la zone euro. Elle est probablement acceptable si la gouvernance du choix des investissements est bonne, si l’efficacité, de ce fait, des investissements qui sont faits est suffisante. Elle serait certainement rejetée s’il s’agissait de financer des dépenses publiques supplémentaires banales dans certains pays.

La version la plus complète introduit des émissions d’Eurobonds pour financer un déficit du budget de la zone euro. Il y aurait donc mutualisation des dettes publiques nouvelles, ce qui provoque une réaction de rejet dans certains pays, mais bien moindre que s’il s’agissait de mutualiser les dettes publiques existantes.

Patrick Artus Chef économiste ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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