Vers une sérieuse crise dans la zone euro en 2017 ?

Publié le 27 mars 2015 à 10h18    Mis à jour le 27 mars 2015 à 15h05

Patrick Artus

Il est assez facile de construire un scénario conduisant à une crise très sérieuse dans la zone euro en 2017. Les ingrédients du scénario noir sont l’absence de redressement de l’investissement, et de la croissance potentielle en 2015-2016 ; la remontée du prix du pétrole et donc l’inflation, d’où l’arrêt de la politique monétaire très expansionniste de la BCE ; la remontée des taux d’intérêt et des primes de risque, d’où les difficultés pour les emprunteurs, en particulier pour les Etats dont les taux d’endettement ont encore augmenté, et pour les intermédiaires financiers qui ont acheté des actifs à des taux d’intérêt très faibles et sans les primes de risque nécessaires ; d’où aussi la réappréciation de l’euro qui aggrave le recul de l’activité.

Aujourd’hui, la croissance de la zone euro se redresse, avec l’apparition d’un ensemble d’évolutions favorables à la demande : baisse du prix du pétrole, dépréciation de l’euro, taux d’intérêt très faibles avec la politique monétaire très expansionniste de la BCE, report dans le temps de l’ajustement budgétaire dans plusieurs pays (France, Italie)… Les années 2015-2016 devraient donc être assez bonnes en termes de croissance avec cette forte stimulation de la demande, mais on peut au contraire envisager une situation très difficile en 2017 pour la zone euro.

On peut d’abord craindre que l’amélioration de l’économie européenne en 2015-2016 ne soit pas utilisée pour accroître l’investissement des entreprises, les gains de productivité et la croissance potentielle de la zone euro. Les entreprises de la zone euro peuvent anticiper que le supplément de demande n’est que transitoire. Surtout, il subsiste dans de nombreux pays (France et Italie en particulier) de nombreux problèmes d’offre : protection excessive de l’emploi, pression fiscale élevée sur les entreprises, déficit de compétitivité et de profitabilité, compétences faibles de la population active. Ces déficiences de l’offre peuvent empêcher que les entreprises réagissent à la stimulation de la demande.

On peut ensuite penser qu’en 2017 le prix du pétrole va remonter. Le bas niveau présent du prix du pétrole d’une part stimule la demande mondiale de pétrole, et d’autre part va réduire la production des pétroles non conventionnels chers, en particulier aux Etats-Unis. La chute de l’investissement pétrolier aux Etats-Unis (plus de 40 %) est impressionnante, et elle devrait apporter en 2016 un rééquilibrage du marché du pétrole qui devrait faire remonter le prix du pétrole à partir de la fin de 2016. La remontée du prix du pétrole a un effet néfaste direct sur la demande et l’activité, mais a aussi des effets très importants sur la politique monétaire de la zone euro.

Si le prix du pétrole remonte en 2017, compte tenu de la tendance des coûts salariaux unitaires dans la zone euro (1,2 % par an), l’inflation de la zone euro approchera 2 %, ce qui forcera la BCE à arrêter le quantitative easing. Cet arrêt aurait les effets opposés de ceux qu’on a vu apparaître avec la mise en place du quantitative easing ; on doit donc en attendre une réappréciation de l’euro, défavorable aux exportations et à la croissance ; une remontée des taux d’intérêt à long terme sur les dettes publiques et sur les crédits bancaires, une remontée forte des primes de risque sur les dettes bancaires et sur les dettes des entreprises, un recul des cours boursiers.

Le coût de financement de l’économie augmentera donc, mais on doit surtout craindre les effets sur les Etats et sur les investisseurs. La plupart des pays de la zone euro auront continué d’accroître, de 2014 à 2016, leurs taux d’endettement publics avec des conditions de financement très favorables et avec le report dans le temps de la réduction des déficits publics. S’il y a freinage de la croissance et hausse des taux d’intérêt en 2017, la situation des finances publiques se dégradera fortement.

Les investisseurs institutionnels auront accumulé, de 2014 à 2016, des actifs financiers ayant des taux d’intérêt très bas et apportant des primes de risques extrêmement faibles. L’arrêt du quantitative easing d’une part, le retour d’une évaluation normale du risque d’autre part vont conduire à la chute de la valeur de ces actifs financiers et à des pertes considérables pour les investisseurs (assureurs…). On peut donc envisager une crise financière du type de la crise des subprimes en 2008, avec les pertes induites par le retour des primes de risque à un niveau normal, correspondant à la réalité du risque, alors qu’elles ont été auparavant écrasées par l’excès de liquidité.

2017 peut donc bien être l’année de tous les dangers dans la zone euro : absence de redressement de la croissance potentielle, qui reste très faible ; remontée du prix du pétrole, arrêt du quantitative easing, donc appréciation de l’euro, remontée des taux d’intérêt à long terme, réouverture très importante des primes de risque, recul des cours boursiers ; en conséquence crise des finances publiques, crise d’insolvabilité des investisseurs institutionnels, et tout ceci allant dans le même sens, récession.

Patrick Artus Chef économiste ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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