Y a-t-il un risque de crise grave sur les marchés financiers ?

Publié le 11 mai 2018 à 11h02    Mis à jour le 11 mai 2018 à 12h29

Patrick Artus

Les marchés financiers, à savoir les investisseurs, acceptent aujourd’hui l’idée que la croissance va ralentir, en particulier aux Etats-Unis et dans la zone euro. Les difficultés d’embauche des entreprises deviennent très sévères, ce qui finira par freiner l’emploi ; les effets stimulants des politiques monétaires expansionnistes s’affaiblissent, ces dernières ayant été menées pendant une très longue période de temps ; le prix du pétrole a beaucoup remonté (plus de 70 dollars le baril contre 45 dollars il y a un an), ce qui réduit le pouvoir d’achat ; le plein emploi étant atteint dans beaucoup de pays, le freinage de la croissance, et du commerce mondial qui commence, est global.

Mais le scénario central reste celui d’un freinage modéré et lent de la croissance. Celle-ci, avec le retour au plein emploi, reviendrait progressivement vers le niveau de la croissance de long terme (potentielle), autour de 2 % par an aux Etats-Unis et de 1,5 % par an dans la zone euro. Dans ce dernier scénario «rose», aucune catastrophe ne se produirait sur les marchés financiers : s’il y a croissance régulière au plein emploi, les résultats des entreprises continuent à croître rapidement, leur taux de défauts n’augmente pas.

L’enjeu pour les investisseurs est donc de savoir si c’est ce scénario de ralentissement progressif qui va se produire ou bien s’il faut craindre un scénario beaucoup plus désagréable de recul important de la croissance, qui impliquerait bien sûr un fort recul des marchés d’actions et une forte ouverture des spreads de crédit. Remarquons d’abord que le scénario «rose» décrit plus haut ne s’est jamais réalisé dans le passé. Chaque fois, dans les cycles du passé, que le taux de chômage est devenu faible, il y a eu très rapidement – après deux trimestres en moyenne – le déclenchement d’une récession. Une autre cause d’inquiétude, aussi analysée sur les marchés financiers, est l’aplatissement des courbes des taux d’intérêt – surtout aux Etats-Unis, où il n’y a plus que 40 points de base d’écart entre le taux d’intérêt à 10 ans et le taux d’intérêt à 20 ans –, qui annonce aussi traditionnellement une récession.

Une des causes systématiques des retournements des cycles dans le passé était le retour de l’inflation en fin de période d’expansion, conduisant à un durcissement des politiques monétaires et à des taux d’intérêt beaucoup plus élevés. Ceci s’est produit en 1974, 1979, 1989, 1999 et 2007. Mais on ne voit aujourd’hui aucun signe d’inflation salariale, que ce soit aux Etats-Unis ou dans la zone euro. Le second facteur qui contribuait à déclencher des récessions dans le passé était la correction de bulles sur les prix des actifs et d’excès d’endettement, ce qui va en général ensemble. Aujourd’hui, la valorisation des actions est raisonnable : elle est de 17 fois les profits de 2019 aux Etats-Unis et 14 fois dans la zone euro. Quant aux prix de l’immobilier résidentiel, ils n’ont pas dépassé leur niveau de 2007. La seule inquiétude pourrait venir des prix très élevés de l’immobilier commercial outre-Atlantique, les investisseurs faisant monter, en raison de leur attrait, les rendements encore élevés de cette classe d’actifs (5 % à 6 %).

Il est toutefois difficile de croire qu’une correction, de 10-20 %, des prix de l’immobilier commercial aux Etats-Unis pourrait déclencher une crise grave, d’autant que les crédits associés ne sont presque pas titrisés, à la grande différence de 2007. Les taux d’endettement des ménages et des entreprises sont également nettement plus bas aux Etats-Unis et dans la zone euro qu’en 2007, et on ne voit de hausse des taux de défaut que sur des segments spécifiques du marché du crédit (en particulier les crédits auto aux Etats-Unis), avec ici aussi des prêts de taille limitée, l’absence de titrisation et la bonne santé financière des banques américaines.

S’il n’y a pas de risque d’inflation salariale, de désendettement brutal ou de correction de bulles sur les prix des actifs, le scénario de freinage lent de la croissance devient le plus probable, sauf s’il est menacé par des mécanismes qui ne sont pas économiques. Par exemple, une poussée forte de protectionnisme. Mais il semble que la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine n’ira pas très loin, la Chine ayant choisi au contraire d’ouvrir un certain nombre de secteurs d’activité et de baisser un certain nombre de droits de douane. Ou bien une guerre au Moyen-Orient. Un tel conflit ferait fortement monter le prix du pétrole et ramènerait l’inflation. Pour autant, on a du mal à croire que la tension géopolitique dans cette région, aussi forte soit-elle, puisse conduire à cela.

Patrick Artus Chef économiste ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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