Métier

Analystes-gérants ISR : des parcours atypiques

Publié le 27 novembre 2015 à 17h11

Astrid Gruyelle

Face à la montée en puissance de l’ISR, les sociétés de gestion ont dû se doter d’analystes compétents en la matière. Cette spécialisation attire des profils diversifiés, qui ne sont pas tous issus de l’analyse financière.

Né il y a seulement une dizaine d’années, le métier d’analyste-gérant dans le domaine de l’investissement socialement responsable (ISR) attire de plus en plus les jeunes diplômés. Cette fonction, occupée par une centaine de professionnels en France selon le centre de recherche Novethic, requiert néanmoins une double compétence car elle demande à la fois de maîtriser les aspects financiers et les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Un profil assez rare sur le marché du travail, ce qui explique que les professionnels en poste aient actuellement des parcours très divers d’une société de gestion à une autre. «Après un début de carrière dans l’analyse extra-financière et l’investissement responsable à Paris, je me suis spécialisée dans le dialogue actionnarial à Londres, puis dans la gestion ISR de retour en France», relate Bertille Presta, responsable de la recherche ESG et gérante chez Sycomore Asset Management. A l’inverse, d’autres professionnels ont suivi une voie plus classique. «Economiste de formation, je suis devenue gérante de portefeuille obligataire et responsable de la gestion institutionnelle dédiée, avant de rejoindre l’analyse ISR en 2010, explique Isabelle Cabie, responsable de l’ISR chez Candriam. Je suis donc passée de l’analyse financière traditionnelle à l’analyse extra-financière.»

Cette diversité se retrouve ainsi parmi les professionnels composant les divisions ISR des maisons de gestion.«Le département se constitue pour partie de personnes issues de l’analyse financière et de l’analyse des risques, explique Antoine Sorange, responsable de l’analyse ESG chez Amundi, qui a lui-même travaillé pendant quatre ans pour la recherche quantitative avant de se tourner vers la gestion ISR. Mais elle comprend également des économistes, des juristes ou des ingénieurs. J’ai aussi recruté un ancien salarié d’une ONG qui a apporté à l’équipe sa connaissance du terrain sur les enjeux sociaux.»

Des exigences diverses

Pour certains recruteurs, la connaissance de l’analyse financière par les candidats constitue néanmoins un prérequis. Une formation financière permet ainsi d’identifier les critères extra-financiers pertinents dans le cadre d’une analyse globale d’une entreprise ou d’un secteur. «Elle est aussi nécessaire pour répondre aux attentes des grandes sociétés de gestion qui, au-delà de l’aspect ISR, recherchent un vecteur de performance», indique Romain Boisnard, associé au sein du cabinet de recrutement Tillerman. Ce choix de profils est également dicté par le manque de formations spécialisées. Encore peu de parcours académiques en finance comportent en effet des modules dédiés au développement durable ou à l’ISR. Seuls quelques masters ou MBA consacrés à cette problématique ont récemment émergé. «Les premières formations spécialisées ont été créées il y a moins de dix ans, relève Léa Dunand Chatellet, directrice de la gestion actions chez Mirova, filiale de Natixis Asset Management dédiée à l’investissement responsable. Or, nous recherchons généralement des profils ayant au moins 15 ans d’expérience en gestion ou 12 ans d’expérience en recherche, nous ne pouvons donc pas retenir de candidats issus de ces nouveaux parcours.»

Faute de pouvoir recruter des jeunes diplômés spécialisés, les sociétés de gestion n’hésitent pas à étudier des profils en dehors de la sphère financière. «Quand nous recherchons des candidats pour travailler sur des problématiques environnementales, nous recrutons principalement des ingénieurs, note ainsi Léa Dunand Chatellet. Spécialisés notamment dans l’agroalimentaire ou la chimie, ils ont l’habitude de travailler sur ces enjeux.»

Mais la plupart des sociétés de gestion ont également d’autres critères de sélection.«Influencée par mon expérience anglo-saxonne, je ne recherche pas des candidats nécessairement issus de l’analyse financière classique, explique Bertille Presta. Je privilégie avant tout l’intérêt pour le développement durable.» Cette affinité est d’ailleurs un critère clé de l’avis de plusieurs recruteurs. «Pour identifier l’intérêt réel des candidats, je me fie notamment aux projets de fin d’étude qu’ils auraient réalisés sur les thématiques ESG, indique Isabelle Cabie. Cette démarche fonctionne pour les profils juniors qui, même s’ils ne disposent pas exactement de la formation recherchée, peuvent être formés par la suite à la finance responsable dès lors qu’ils sont motivés à travailler sur les enjeux extra-financiers.»

Néanmoins, le recrutement est plus difficile pour les profils seniors. Les sociétés de gestion font alors parfois appel à des chasseurs de têtes pour les postes requérant plus d’expérience. «Lorsque nous cherchons pour un client un candidat dans le domaine extra-financier, nous nous gardons de retenir des gérants financiers qui choisiraient cette voie par défaut, indique Romain Boisnard. L’attrait pour l’ISR des profils seniors se mesure à travers des expériences autres qu’académiques, comme des projets humanitaires ou des missions publiques.»

Des formations complémentaires

Parmi les candidats qui rejoignent ainsi l’analyse extra-financière, nombreux sont ceux qui doivent se former une fois en poste. Il manque en effet souvent à ces profils atypiques soit la maîtrise de l’aspect financier, soit la compréhension des enjeux ESG. «Lors de mon arrivée chez Amundi, je disposais déjà de compétences, en particulier sur les enjeux sociétaux, mais je devais mieux connaître la dimension quantitative du métier, témoigne Julien Grouillet, analyste ESG et ancien salarié de l’ONG CARE International. J’ai donc suivi les formations proposées par Amundi et je continue aujourd’hui, via des plateformes de cours en ligne ou MOOC (massive open online courses), à approfondir mes connaissances sur la comptabilité, l’analyse de données et la programmation.»

En outre, les analystes-gérants ISR doivent développer des compétences en matière de communication. En effet, si les modèles d’analyse extra-financière sont proches de ceux de l’analyse financière, leur métier se distingue par la nécessité de dialoguer avec les entreprises. «Ces professionnels sont de plus en plus amenés à communiquer auprès des dirigeants de sociétés afin de faire évoluer leurs pratiques ESG, estime Bertille Presta. A l’avenir, les analystes-gérants ISR devront également suivre plus systématiquement les progrès des entreprises d’une année sur l’autre car les investisseurs souhaitent désormais connaître l’impact de leurs investissements.» Cette particularité qui n’a pas fini de se développer est, selon les professionnels, de nature à faire grandir l’importance de ce métier.

Des rémunérations similaires à celles de l’analyse financière

  • «Il y a environ huit ans, lorsque les équipes d’analyse extra-financière se constituaient et que les candidats étaient peu nombreux, les salaires des analystes ISR étaient parfois plus élevés que ceux des analystes financiers», note Isabelle Cabie, responsable de l’ISR chez Candriam.
  • Depuis, ils se sont rapprochés de ceux de l’analyse classique. «Les rémunérations des métiers de l’analyse extra-financière sont similaires à celles de l’analyse financière, observe ainsi Romain Boisnard, associé au sein du cabinet de recrutement Tillerman. La rémunération fixe brute d’un gérant ayant 8 à 10 ans d’expérience est comprise entre 80 000 et 120 000 euros par an. La part variable peut évoluer entre 20 % et 50 %.»

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