Motivation

Bouygues Construction renforce l’esprit de corps de ses contrôleurs financiers

Publié le 12 septembre 2014 à 15h13    Mis à jour le 16 septembre 2014 à 14h13

Morgane Rémy

Alors que les contrôleurs financiers sont dispersés dans les différents chantiers, Bouygues Construction a cherché à renforcer leur sentiment d’appartenance à la filière contrôle de gestion. Plusieurs initiatives ont été mises en place à cet effet, allant de la mise en place d’un système de parrainage à une offre de formation très développée.

Comment créer un sentiment d’appartenance à la filière finance chez 1 500 contrôleurs financiers isolés, placés sous le management de chefs de chantier et dont la carrière dépend de l’évaluation de ces derniers ? C’est l’enjeu auquel a dû répondre Pierre Skorochod, directeur du contrôle de gestion et de la comptabilité de Bouygues Construction (11,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2013), et son équipe, afin d’améliorer l’efficacité de sa filière. En effet, l’objectif final n’est rien de moins que d’améliorer, voire garantir, la rentabilité de chaque chantier et, in fine, celle de cette branche du groupe.«Les contrôleurs financiers ont un devoir d’alerte et de contrôle qui nécessite de prendre un peu de distance par rapport aux opérationnels, quand bien même ils dépendent d’eux hiérarchiquement, explique ce dernier. Même si ce sont des business partners, nous avons développé une série de mesures afin de leur rappeler qu’ils sont avant tout les gardiens du temple !» Car bien que ce soit leur supérieur hiérarchique qui mène les entretiens annuels, leur vie professionnelle dépend surtout de la filière contrôle de gestion. «Je consacre plus du tiers de mon temps de travail à animer la filière dans ce but», témoigne Pierre Skorochod.

Des référents financiers pour contrebalancer le pouvoir des chefs de chantier

La première étape de ce programme a d’abord consisté à mettre en place un système élaboré pour contrebalancer le pouvoir des chefs de chantier sur la carrière de leur contrôleur financier. Un réseau pyramidal de 150 référents financiers a ainsi été créé. Un contrôleur financier a pour parrain un responsable financier d’une unité de production, qui dépend d’un directeur du contrôle de gestion d’une sous-division ou d’une filiale. Celui-ci rapporte à son tour au directeur contrôle de gestion d’une des huit entités opérationnelles… placé quant à lui sous l’autorité de Pierre Skorochod.

A l’échelle des chantiers, les référents ont pour mission de répondre à des questions de manière informelle. Ils peuvent aussi intervenir auprès du responsable opérationnel, si le besoin se présente. L’avantage de cette organisation est que chaque mentor financier se trouve à un niveau hiérarchique supérieur à celui de l’opérationnel qui encadre le contrôleur financier. Ils ont également comme obligation d’animer la filiale, c’est-à-dire de remonter les informations qu’ils collectent sur les ressources humaines dont ils ont la charge. «Faire évoluer les contrôleurs financiers et leur offrir des perspectives de carrière font aussi partie de leur mission, précise Pierre Skorochod. Malgré l’absence de lien hiérarchique, ils sont eux-mêmes jugés sur leur capacité d’animation comme tout manager le serait traditionnellement.» Ainsi, ils sont présents lors de l’entretien annuel afin qu’un financier puisse être évalué également par un pair.

Des comités de carrière bi-annuels pour favoriser la mobilité

Deux fois par an, les huit responsables du contrôle de gestion de chaque entité opérationnelle se réunissent également en comité de carrière, pour parler des contrôleurs financiers de la branche Bouygues Construction. «Cela permet de faire le point avec eux, mais aussi de les inciter à le faire avec leurs équipes de référents, qui eux-mêmes doivent remonter les demandes des contrôleurs de gestion et le résultat de leur évaluation», précise Pierre Skorochod. A l’occasion de ces comités de carrières, les responsables du contrôle de gestion valident les promotions pour l’année et envisagent les possibilités d’évolution de chacun en fonction, bien sûr, des besoins de la direction financière.

L’avenir de 500 contrôleurs financiers, soit un tiers des effectifs, est ainsi évoqué dans le détail lors de chacune de ces réunions. Les chantiers durant dix-huit mois en moyenne, les possibilités de mobilité sont assez importantes pour favoriser le processus d’apprentissage. «Notre objectif est d’offrir à nos contrôleurs au moins tous les quatre à cinq ans de nouvelles missions afin de leur éviter de s’étioler et les faire progresser le plus rapidement possible», ajoute Pierre Skorochod. Forts de cette expérience, les contrôleurs financiers peuvent ensuite accéder à davantage de responsabilités, soit sur des chantiers plus conséquents, soit en accédant à un poste au siège. «Si nous détectons bien évidemment les financiers à potentiel, nous sommes exigeants pour chacun de nos contrôleurs, précise Pierre Skorochod. Par conséquent, nous accordons de l’importance à la progression de chacun.» Grâce à cela, ils ne doivent pas – uniquement – leurs perspectives de carrière au patron de chantier, mais surtout à des cadres seniors de leur propre fonction. «Cela permet d’offrir plus d’autonomie aux cadres financiers, ajoute Pierre Skorochod. De plus, changer de poste est un moyen de développer de nouvelles compétences et d’améliorer globalement l’efficacité de notre filière.» En découvrant plusieurs situations et plusieurs équipes, ils développent ainsi leur expérience de terrain. Les contrôleurs gagnent alors en esprit critique et sont capables d’alerter la direction financière si nécessaire.

Des formations pour accélérer la montée en compétence

Pour parvenir à améliorer le niveau de l’ensemble de la filière, la formation a été fortement favorisée. Une vingtaine de modules dédiés sont ainsi proposés aux contrôleurs financiers au fil de leur carrière, portant sur des questions techniques mais aussi de management ou sur des thèmes spécifiques. Par exemple, la filière a développé une formation en trois jours sur le contrôle budgétaire de projet. «Gérer un budget d’une construction est un sujet complexe et peu enseigné en école de commerce alors qu’il est indispensable chez nous», explique Pierre Skorochod. Des modules sont aussi proposés sur la gestion des assurances, des marchés publics, de la gestion des devises. De plus en plus de formations sont développées afin de permettre aux financiers de bien comprendre les enjeux des opérationnels, notamment grâce à un nouveau module sur la gestion du planning des travaux. «Il a été créé récemment car nous avons réalisé qu’en offrant aux financiers les moyens de bien comprendre le déroulement des travaux, nous leur permettions de développer leur sens critique», témoigne Pierre Skorochod. Un enjeu important puisqu’un chantier réunit plusieurs corps de métiers – du gros œuvre aux peintres et carreleurs – interdépendants et couvrant près de 1 000 tâches différentes. Le retard d’une seule des équipes peut alors désorganiser sensiblement le chantier, si des mesures ne sont pas prises auprès des autres prestataires. Pour éviter que les jours de retard ne s’accumulent, le contrôleur financier doit pouvoir encadrer ce dérapage.

Dans la même logique de compréhension du métier, un e-learning a été développé afin d’expliquer le vocabulaire et les principes de base de la construction. «30 % de la population des contrôleurs financiers ont moins de 30 ans et moins de cinq ans d’expérience professionnelle, note Pierre Skorochod. Il faut donc leur donner très rapidement les clés du métier afin qu’ils soient compétents et crédibles auprès des opérationnels.» De plus, avoir le bon vocabulaire est une base essentielle pour créer le lien informel permettant de poser les bonnes questions aux opérationnels et ne pas se contenter de tableaux Excel. Si cette formation était essentielle, elle ne pouvait néanmoins pas se faire traditionnellement à cause des coûts de transports des financiers, répartis à travers la France et le monde. «Après cet essai, nous avons réalisé que le e-learning, dans ce cas sous forme de quiz, convient très bien à cet apprentissage et coûte alors beaucoup moins cher», résume Pierre Skorochod. Suite au succès de ce module, le groupe a donc également développé un Serious Game, une formation en ligne plus évoluée, sur la prévision de trésorerie opérationnelle (voir encadré).

Des dossiers en équipes pour faire émerger des projets

Enfin, outre ces modules, une formation structurante existe depuis 2008 pour les contrôleurs de gestion amenés à devenir manager : le séminaire Cap Evolution. Le programme se réalise en deux fois une semaine, chacune à 6 mois d’intervalle. Le but est de monter un projet d’équipe. Trois groupes de 6 à 7 financiers, venant de différents pays et de différentes branches de l’entreprise, doivent travailler ensemble sur un dossier – fixé par le comité carrière lui-même, composé des directeurs de la filière contrôle de gestion dans chaque business ainsi que de Pierre Skorochod – qu’ils préparent sur leur temps libre et présentent pendant la seconde semaine. Cette année, par exemple, les projets visaient à rédiger des propositions concrètes sur «comment mettre en œuvre de nouveaux modules de e-learning», «comment remonter les bonnes pratiques concernant l’utilisation de l’ERP» et «comment améliorer les pages de l’intranet dédié à la filière du contrôle de gestion». Les jeunes contrôleurs financiers doivent monter un dossier de 30 à 40 pages, en plus de leur travail quotidien, et le présenter devant le comité carrière. «L’exercice est très complet car il leur apprend à gérer un projet dans un temps réduit et à travailler en équipe, note Pierre Skorochod. De plus, cela leur offre la possibilité de créer un réseau dans le groupe et une visibilité auprès des responsables du contrôle financier.» Certains des financiers de cette formation ont d’ailleurs tellement réussi l’exercice que ces responsables leur ont donné carte blanche pour mener à bout le projet présenté. «Cela permet à la fois de les valoriser mais aussi de trouver des solutions pour améliorer l’animation de notre filière que nous n’aurions pas forcément mises en œuvre, faute de personnel dédié», ajoute Pierre Skorochod. Et en cas de réussite, l’équipe dispose alors d’un tremplin de carrière sans équivalent !

Serious Game : comment élargir son offre de formation à moindre coût

Développer sa formation à destination de nombreux financiers avec un budget contraint : tel est le challenge qu’a dû affronter la filière contrôle de gestion de Bouygues Construction, à l’instar de nombreux autres groupes français. Pour y répondre, cette dernière a lancé un Serious Game en 2013 avec trois objectifs :

-        Limiter les coûts d’une large formation

«La formation que nous souhaitions mettre en place portait sur une base essentielle du contrôleur financier : la prévision de trésorerie opérationnelle, explique Pierre Skorochod, directeur du contrôle de gestion et de la comptabilité. Nous souhaitions enseigner ou rappeler au plus grand nombre comment optimiser le cash d’un chantier.» Les 1 500 contrôleurs financiers répartis sur l’ensemble des sites de construction devaient alors être formés, ce qui rendait une formation traditionnelle inenvisageable en termes de logistique et de coût ! L’idée de faire un e-learning accessible en ligne résolvait cette problématique.

-        Offrir l’étude de cas pratiques

Pour autant, l’objectif étant d’apprendre à réagir sur le terrain, la formation ne pouvait pas non plus se résumer à des vidéos ou des quiz. «Nous avons développé un jeu en ligne, avec un avatar pour permettre une personnification, mais surtout avec des études de cas, tirées d’expériences rencontrées par le passé», poursuit Pierre Skorochod. Ainsi, les financiers sont mis face à une situation réelle et doivent la résoudre, en sélectionnant une réponse dans une arborescence de choix très complète. A la fin, un quiz final permet d’évaluer son niveau. «Mais si la formation est obligatoire, nous avons décidé qu’il n’y aurait pas de score à atteindre, ajoute Pierre Skorochod. Pour autant, nous avons des statistiques générales qui nous permettent de réaliser quels sont les points qui nécessitent d’être travaillés.» De cette manière, le jeu évolue, ainsi que les modules de formation de la filière qui pourraient également améliorer le niveau général.

-        Conserver une certaine interactivité

Cependant, l’avantage de ce dispositif – le fait d’être accessible en ligne – est aussi sa limite : les financiers n’ont pas l’occasion d’avoir un formateur en chair et en os et de développer leur réseau professionnel en interne. «Dès la clôture de la cession d’e-learning, nous avons tout de même mis en œuvre des classes virtuelles de 20 financiers avec un collaborateur identifié comme formateur, qui peut répondre à des questions sur certains points techniques ou la façon de gérer une situation», précise Pierre Skorochod. Grâce à cette démarche, les financiers ne se sentent pas isolés et le taux de satisfaction pour cette formation est de 92 %. Suite à ce résultat jugé très satisfaisant, la filière contrôle de gestion du groupe souhaite désormais étendre ce type d’enseignement à d’autres modules dans les années à venir.

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