Cadres financiers

Comment s'adapter à la démission d’un proche collaborateur

Publié le 10 juillet 2015 à 16h30    Mis à jour le 10 juillet 2015 à 20h11

Morgane Remy

La démission d’un proche collaborateur pouvant affecter sensiblement le fonctionnement de la fonction finance, les directeurs financiers s’évertuent le plus souvent à rendre la vacance du poste la plus courte possible. Afin que le successeur soit opérationnel rapidement, plusieurs stratégies sont notamment mises en oeuvre.

«Contre toute attente, mon responsable comptable m’a annoncé qu’il décidait de saisir une opportunité et démissionnait. A la seconde où je l’ai su, je me suis demandé comment trouver son successeur.» Qu’il s’agisse de Pierre-Yves Hentzen, directeur administratif et financier, directeur général délégué chez Stormshield (filiale d’Airbus Defence & Space spécialisée dans la sécurité informatique haut de gamme), ou de n’importe quel directeur financier, le départ d’un proche collaborateur peut vite devenir une source de préoccupation majeure. «Le directeur financier s’occupant le plus souvent des relations avec le comité exécutif, les actionnaires et les investisseurs, ainsi que de l’animation de sa filière, il doit alors constituer une première ligne forte composée de directeurs de processus – comptabilité, trésorerie, contrôle de gestion, trésorerie… –, qui assure le quotidien parfaitement et sur laquelle il peut se reposer», souligne Nicolas Richard, associé chez KPMG.

Lorsque cette ligne est bouleversée par une démission, le fonctionnement de la direction financière peut donc se trouver fragilisé, une situation d’autant plus problématique que cette dernière est garante de la santé financière de l’entreprise. «Dans ce contexte, la question préoccupante est la suivante : la qualité de service de la direction financière arrivera-t-elle à se maintenir ?», reconnaît Fabien Dawidowicz, directeur financier de la conciergerie de luxe John Paul. Si ce dernier a eu la chance de ne pas avoir à gérer ce cas de figure récemment, il se souvient du moment où son adjointe a démissionné : «Il y a trois ans, elle est partie rejoindre son mari au Brésil. C’était un beau projet et je l’ai encouragée. Mais je n’avais qu’un mois de préavis pour recruter et former quelqu’un. Ce fut vraiment une période difficile.»

Alors que les recrutements commencent à s’intensifier dans les métiers financiers, il est probable qu’un nombre croissant de directeurs financiers sera amené à rencontrer ce genre de situations. En effet, les meilleurs éléments sont actuellement très sollicités par les chasseurs de têtes. «Après avoir gelé les embauches dans un contexte de crise, les directions financières ont actuellement besoin de renforts tandis qu’elles réinvestissent de nouveau», constate Bruno Fadda, directeur chez Robert Half. Les profils activement «chassés» sont nombreux, dans le domaine du contrôle de gestion et de la comptabilité, mais aussi de la consolidation ou de la trésorerie.

Recrutement interne et externe mis en concurrence

Dans un cas de démission, la solution la plus simple pour un directeur financier consiste à privilégier la mobilité interne. «Cela permet d’avoir des candidats qui connaissent l’entreprise et de démontrer à l’ensemble des membres de la direction financière qu’ils ont une marge de progression», analyse Florent Labey, associé du cabinet de conseil Althéa. Face au dynamisme actuel du marché de l’emploi pour les profils les plus attractifs dans la finance, un directeur financier qui ouvre des perspectives à ses collaborateurs pourra ainsi plus facilement les fidéliser. «A ce titre, favoriser un recrutement interne au moment d’une démission est une option vertueuse», conclut Florent Labey. C’est par exemple le choix qu’a pu opérer Solvay. «Par exemple, au sein de notre centre de services partagés, nous avions besoin d’un responsable crédit groupe suite à un départ, témoigne Xavier Lancksweirt, directeur général de Solvay Business Services, dont les activités comprennent de nombreuses tâches financières comme la gestion du cash. Nous avons proposé à un ancien acheteur, qui avait précédemment fait du consulting en finance avant de prendre le poste.»

Pour autant, tous les groupes n’ont pas la possibilité d’opter pour une promotion interne en raison d’un manque de candidats adaptés, soit parce que les effectifs de direction financière sont trop réduits, soit parce que la technicité du poste à pourvoir est trop importante. Une configuration à laquelle a également été confronté Solvay, quand un des plus proches collaborateurs du responsable crédit groupe a dû être remplacé : «Son N-2, responsable crédit de l’Europe, était le plus technique de l’équipe et s’occupait d’une région où les lois, les délais de paiement, les comportements des clients sont tellement différents d’un pays à l’autre qu’il faut une véritable expertise, poursuit Xavier Lancksweirt. Or nous ne l’avions pas en interne dans la région.» Le choix a alors été fait de recruter en externe. «Nous avons eu la chance de trouver la candidate idéale en termes de compétences… qui en plus était déjà passée chez Solvay.» Cet atout est souvent essentiel car les financiers doivent, afin d’être efficaces dans leur rôle de business partner, de mieux en mieux connaître l’activité de leur entreprise.

En matière de mode d’embauche, une nouvelle tendance apparaît également : la mise en concurrence entre mobilité interne et recrutement externe. «Les grands groupes me demandent de plus en plus de lancer une chasse en externe pour “benchmarker” leur candidat sélectionné en interne, confirme Frédéric Aymonier, associé chez Fitch Bennett Partners. Cela leur permet d’élargir leur choix et de choisir simplement la meilleure des deux options.» Le candidat interne a, par sa connaissance des processus du groupe, une longueur d’avance. C’est d’ailleurs majoritairement ce dernier qui l’emporte. Ce fut notamment le cas dans un groupe opérant dans le domaine des médias pour le poste de contrôleur de gestion groupe. Mais si le financier chassé est plus approprié, les entreprises n’hésitent pas à le recruter. Ainsi, un groupe du CAC 40 vient de privilégier la solution externe pour remplacer le directeur financier d’une de ses plus grosses filiales.

Se préparer en amont au risque de départ

Si les groupes parviennent généralement à trouver une alternative satisfaisante, le meilleur moyen de s’adapter au départ d’un collaborateur consiste toutefois à… l’anticiper le plus possible pour s’assurer de l’intégration rapide du remplaçant. En la matière, les méthodes sont assez simples. La première d’entre elles peut être mise en œuvre dans toutes les entreprises : il s’agit de rédiger des documents communiqués au collaborateur dès son arrivée dans le poste. Ces guides pratiques décrivent des processus récurrents, tels que le reporting, la clôture des comptes, la gestion du cash… «Je veille à ce que ces documents soient mis à jour et compréhensibles car ils sont les garants de la continuité de service, indépendamment des personnes qui occupent les postes clés», explique Pierre-Yves Hentzen.

Dans les sociétés de petite taille, la pluridisciplinarité est privilégiée. «Je fais du partage de compétences, témoigne Fabien Dawidowicz. Par exemple, ma comptable peut remplacer son assistante de facturation et inversement. La responsable des ressources humaines peut également remplacer la comptable, tandis que l’assistante peut pallier en partie l’absence de la comptable. Le responsable des ressources humaines peut également remplacer l’assistance facturation… Cette polyvalence permet de faire face à une absence ou à un départ de collaborateurs.» Pour chaque poste, deux autres membres de la direction financière ont ainsi été formés pour prendre le relais en cas d’urgence.

Enfin, dans les grands groupes et les entreprises de taille intermédiaire, les ressources humaines peuvent permettre de constituer un vivier de talents, capables de remplacer à tous moments un des cadres dirigeants de la finance. Chez Solvay, par exemple, une revue annuelle des talents permet d’identifier quels collaborateurs seraient susceptibles d’être sollicités en cas de départ. «Ce travail est mené avec les ressources humaines et permet de préparer les cadres à potentiel en les accompagnant – soit en les formant, soit en leur offrant un parcours professionnel progressif –, jusqu’à être capable de prendre les responsabilités correspondantes», témoigne Xavier Lanckweirt. Dans d’autres grandes entreprises, des programmes d’une durée allant d’un à trois ans permettent par exemple de cumuler des formations au management et des affectations dans différents postes au sein de la direction financière, à l’étranger et auprès d’opérationnels.

L’ensemble de ces techniques reposant sur un partage des connaissances et des compétences permet ainsi de s’assurer que les acteurs clés d’un département ne deviennent pas irremplaçables… et d’accroître la sérénité du directeur financier en cas de démission d’un de ses cadres.

La période de préavis souvent écourtée

«Une fois que quelqu’un démissionne, rien ne sert de vouloir le retenir», prévient Pierre-Yves Hentzen, directeur administratif et financier, directeur général délégué chez Stormshield. Face à cette situation, reste à savoir quelle position adopter pour la période de préavis, dont la durée est comprise entre un et trois mois. D’un côté, une telle marge permet à l’entreprise de se retourner plus facilement pour trouver une solution. Mais d’un autre côté, elle peut aussi apparaître comme un inconvénient aux yeux du directeur financier.

  • Dans le meilleur des cas, le collaborateur sur le départ assure le relais avec son successeur. Dans certaines entreprises, surtout celles anglo-saxonnes, ce dernier recommande même souvent un candidat compétent pour prendre sa place. Cette démarche reste souvent rare dans les groupes français.
  • En France, la tendance consiste plutôt à écourter la période de préavis. «C’est vraiment du cas par cas mais si la confiance est rompue, le directeur financier renonce à l’utiliser, témoigne Pierre-Antoine Bouillet, associé chez Paul Walkers International. Or il nous faut au minimum 5 semaines pour finaliser la présentation de notre sélection de candidats de qualité, sans tenir compte du processus de recrutement propre à l’entreprise.» Le risque est alors de se retrouver à gérer une vacance de poste. Les autres membres de la direction financière seront alors sollicités ou un manager de transition sera recruté pour l’occasion.

Bien recruter pour limiter les départs

Les démissions étant complexes à gérer, beaucoup de directeurs financiers tentent d’éviter de se trouver confrontés à cette situation en accordant une vigilance renforcée dès le recrutement :

  • Pour ne pas se tromper, certains d’entre eux font confiance à leur intuition forgée au fil de leur expérience professionnelle. «Quand je recrute un proche collaborateur, je renonce au moindre doute, témoigne Pierre-Yves Hentzen, directeur administratif et financier, directeur général délégué chez Stormshield (Arkoon). S’il y a une incohérence dans un CV, un doute sur notre capacité à nous entendre, je passe mon chemin, même si le candidat convient parfaitement au poste. C’est encore la meilleure façon d’éviter trop de turnover.»
  • La plupart des directeurs financiers préfèrent également bien s’entourer pour éviter une erreur de recrutement. Naturellement, le directeur des ressources humaines, ou le responsable des ressources humaines dédié à la direction financière dans les plus grands groupes, est associé. Parfois, le directeur général est même mobilisé pour le recrutement d’un directeur financier adjoint, d’un responsable de filiale importante ou d’un directeur en charge d’un des départements importants de la direction financière, comme la trésorerie pour un groupe sous LBO.
  • Désormais, une nouvelle tendance émerge aussi : «Un recrutement par les pairs, les autres directeurs au sein de la direction financière, est de plus en plus privilégié», explique Bruno Fadda, directeur chez Robert Half. Cela permet de s’assurer que le candidat sera bien capable de travailler avec tous les collaborateurs du directeur financier et que la greffe prenne bien. Cependant, ces pratiques allongent aussi d’autant le temps de recrutement, ce qui risque de dissuader un candidat prometteur et de provoquer une vacance de poste plus longue au sein de la direction financière.

Transformer la démission en opportunité

  • Si un départ est le plus souvent vécu comme une mauvaise nouvelle, le poste qu’il libère peut également se transformer en une véritable opportunité. «En tant que manager, il faut dédramatiser une démission, prévient Pierre-Yves Hentzen, directeur administratif et financier, directeur général délégué chez Stormshield. Quand j’étais jeune manager, cela m’empêchait de dormir deux ou trois nuits. Désormais, je sais que c’est un mauvais moment à passer mais, surtout, que cela peut être l’occasion d’apporter du sang neuf et de nouvelles idées au sein de l’équipe.»
  • Lorsque son responsable comptable a démissionné, ce directeur financier en a profité pour redéfinir la fonction et recruter quelqu’un venant d’un cabinet d’audit. «Alors que notre société ne cesse de croître et que notre direction financière doit répondre à des problématiques plus complexes, sa technicité pouvait faire monter en compétence le département», ajoute Pierre-Yves Hentzen. Un pari réussi puisque la greffe a pris avec le reste de l’équipe et que la direction de la comptabilité a su accompagner la société dans ses développements.
  • En parallèle, utiliser la promotion interne permet aussi d’envoyer un message fort aux équipes : des perspectives d’évolution sont possibles au sein de la direction financière, permettant ainsi une plus grande fidélisation.

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