Mobilité

La délocalisation, une tendance qui concerne aussi les financiers

Publié le 19 septembre 2014 à 16h33

Morgane Remy

Si avoir une expérience à l’étranger a toujours été un atout pour faire carrière au sein de la filière finance, la délocalisation d’une partie de la direction financière pour une raison d’optimisation des coûts rend la démarche de plus en plus indispensable.

Les directions financières ne sont pas à l’abri d’un mouvement de délocalisation. Alors que ce mot est souvent associé au monde industriel, l’arrivée d’un Internet efficace et accessible permet d’organiser les fonctions supports au niveau mondial, notamment en fonction du coût du travail. Pour des raisons d’optimisation, beaucoup de grands groupes profitent alors de ce moyen pour délocaliser certaines fonctions financières dans des pays où charges et salaires sont beaucoup plus faibles. Ainsi, les centres de services partagés (CSP) ont été, et sont encore, délocalisés. Si cette tendance n’est pas nouvelle, elle a pris une telle ampleur qu’elle a désormais un impact sur la carrière de nombreux cadres financiers. Ces derniers doivent donc s’adapter à ce nouvel environnement.

Des CSP qui regroupent de plus en plus de métiers

De plus en plus de CSP sont en effet localisés à l’étranger pour optimiser rapidement et durablement les traitements de flux comptables et financiers.

«Ainsi un CSP en Europe de l’Est réduit les coûts en moyenne de 20 à 35 % par rapport à l’Europe de l’Ouest et ceux en Inde, la Chine et les Philippines de 50 %, affirme Paul Wood, associé EY. Quand l’objectif est d’optimiser la fonction finance, le choix des grands groupes s’oriente alors aisément vers ces pays.» En outre, ces CSP localisés à l’étranger concernent de plus en plus de métiers de la direction financière. «Nous observons que des grands groupes organisent désormais, en plus de la comptabilité, la consolidation centrale et même la fiscalité dans des CSP», ajoute Valérie Kolloffel, consultant en recrutement chez Nicholas Angell. Ce mouvement pourrait même bientôt toucher le contrôle de gestion central. «Dans les groupes anglo-saxons, on s’aperçoit que le reporting et le budget commencent à être intégrés au sein de CSP au même titre que la consolidation, note Johann Van Nieuwenhuyse, directeur senior chez Michael Page. Cela pourrait inspirer dans un futur proche les groupes français, qui s’interrogent déjà sur la question.» 

En outre, le développement de ces CSP a entraîné un mouvement corollaire : la création de hubs régionaux, c’est-à-dire d’une direction financière par continent sur lequel le groupe se développe. Il est en effet devenu logique de créer des directions financières régionales non seulement pour encadrer ces CSP, mais aussi pour accompagner les opérationnels sur de nouveaux marchés dynamiques. Dans un premier temps, seules les directions financières locales se sont développées par pays. Mais, lorsque la majorité du chiffre d’affaires est désormais réalisée à l’étranger – 70 %, pour les entreprises du CAC 40 –, un échelon intermédiaire entre la direction financière centrale et celles locales s’est développé. Cette organisation de la filière finance permet à la fois de limiter le nombre de financiers présents très localement, afin de réaliser des économies d’échelle, tout en évitant une direction financière en France trop conséquente au vu des enjeux européens du groupe. «Certaines grandes entreprises, comme Schneider Electric, ont même construit une direction générale bicéphale, ce qui a entraîné la division de la direction financière en deux, précise Johann Van Nieuwenhuyse. L’entreprise dispose donc aujourd’hui d’un hub en France et un en Asie, suite à des acquisitions importantes dans cette région du monde.» Si peu de groupes en sont arrivés à cet équilibre, la création de pôles financiers secondaires s’observe déjà dans certains groupes français multinationaux.

Des places souvent rares

La délocalisation de la direction financière prend donc de l’ampleur, au point de concerner plusieurs métiers du siège. Les cadres français doivent s’adapter et internationaliser au plus vite leur parcours, non seulement pour saisir des opportunités à l’étranger mais aussi pour obtenir des responsabilités au siège. Un cadre doit en effet démontrer qu’il est capable de travailler avec des financiers d’autres pays. «Les jeunes financiers ont intérêt à le faire très vite et à partir tout de suite après leur diplôme, à la suite d’un stage à l’étranger par exemple», explique Valérie Kolloffel. Ceux qui sont déjà en poste peuvent partir au sein de leur groupe, dans une filiale ou un hub régional. Mais si cette démarche permet de négocier une clause de retour en France qui limite les risques, les places demeurent rares. En effet, les entreprises internationales ont à la fois accès à de plus en plus de financiers compétents dans les pays émergents et ont intérêt à valoriser ces derniers afin de motiver les équipes locales. Le cadre français candidat à un poste à l’étranger doit donc apporter une véritable plus-value, sous la forme d’une expérience riche. «Les groupes privilégient les candidats qui ont déjà plus de dix ans de carrière, dont cinq ans en interne, souligne Johann Van Nieuwenhuyse. Les postes étant limités en nombre, ils choisissent également les financiers jugés comme à haut potentiel, susceptibles de prendre des responsabilités à l’avenir.»

Un moyen de faire ses preuves

En parallèle, la délocalisation de pans de la direction financière offre aussi de nombreuses opportunités aux financiers désireux de s’engager dans un projet international. «Créer un CSP à l’étranger est très apprécié et ouvre de nombreuses portes», précise Paul Wood. De la même manière, accompagner l’intégration d’une société nouvellement acquise depuis Paris, en étant l’interlocuteur du directeur financier de la cible, peut être un moyen de faire ses preuves. Enfin, s’il n’est pas possible d’internationaliser son parcours au sein de son groupe, les financiers français disposent également d’un atout pour trouver un poste à l’étranger : leur réputation. «Non seulement leur formation est reconnue comme l’une des meilleures au monde, mais leur passage en audit, considéré comme un troisième cycle de formation, leur permet de développer de fortes capacités de travail et d’adaptation, un sens critique et de l’initiative qui sont très appréciés», souligne Valérie Kolloffel. Affichant en outre des progrès quant à leur maniement de l’anglais, ils peuvent donc aisément prétendre à des postes dans des groupes étrangers.

Des filiales créées uniquement pour les contrats internationaux

Si des directeurs financiers de filiales étrangères se voient de moins en moins proposer un contrat français d’expatriation, ce n’est pas toujours pour signer un contrat local. «Les grands groupes français ont créé depuis quelques années des structures dédiées au Royaume-Uni, à Singapour et au Luxembourg pour y loger les contrats des binômes – directeur général et directeurs financiers – encadrant les filiales», témoigne un consultant d’un grand cabinet. Cela permet de simplifier la gestion de tous les contrats de cette population changeant tous les trois à six ans de pays, en la centralisant dans une seule société. «Cette filiale dénommée “global employement company” (GEC) est créée dans le seul dessein d’accueillir ces contrats», poursuit le consultant. Quant au choix de l’implantation de cette entité, les entreprises privilégient les pays offrant des avantages en termes de charges et d’imposition pour la société comme pour le salarié. 

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