Stratégie

La mobilité, un outil de fidélisation pour les cadres financiers

Publié le 4 juillet 2014 à 10h03    Mis à jour le 24 juillet 2014 à 15h29

Morgane Remy

Alors que les cadres financiers ont vu la progression de leur salaire marquer le pas, les groupes ont tout de même tenté de conserver les meilleurs profils en leur offrant des opportunités de carrière. Un moyen de les fidéliser, mais aussi, incidemment, d’améliorer les performances de la direction financière.

Les directeurs financiers accordent de plus en plus d’importance à l’animation de la direction financière et à la capacité de progression de leurs collaborateurs au sein de l’entreprise. «En leur proposant des perspectives, nous pouvons attirer et retenir les talents nécessaires à l’efficacité de la direction financière», explique Grégory Sanson, directeur financier de Bonduelle (1,9 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2013). Si cette méthode pour fidéliser les meilleurs n’est pas nouvelle, elle s’est accentuée avec le gel des salaires de ces dernières années. En effet, mis à part des postes d’experts, la plupart des financiers ont vu leur rémunération progresser très lentement dans un contexte d’optimisation des coûts. Par exemple, selon le baromètre des fonctions financières, réalisé par l’Association nationale des directeurs financiers et de contrôle de gestion (DFCG), Michael Page et Option Finance et publié en septembre dernier, une grande majorité des responsables de la fonction finance a perçu une augmentation inférieure à 3 % au titre de 2012.

Or, si la crise a limité les opportunités salariales, elle a également donné plus de responsabilités aux financiers. «Ces derniers sont désormais plus sollicités que jamais pour maintenir la trajectoire de leur société, en veillant à sa rentabilité», explique Marina Baillon, directrice associée en charge de la division finance chez Robert Walters. En parallèle, alors que la tendance était à la modération des coûts, ils doivent donner l’exemple en matière salariale.» Les entreprises courent toutefois le risque de perdre les talents nécessaires au bon pilotage de l’entreprise.«Les grands groupes comme les ETI ont donc accentué l’accompagnement des financiers dans leur parcours professionnel pour leur offrir plus d’opportunités et leur permettre de progresser tant en termes de hiérarchie que de rémunération», poursuit Marina Baillon.

Une équipe dédiée, dans les grands groupes

Dans cette démarche de fidélisation, les grands groupes ont d’ores et déjà une longueur d’avance, dans la mesure où ils possèdent des équipes de ressources humaines dédiées à la finance. Chez Orange, par exemple, une équipe de cinq anciens financiers formés aux ressources humaines a pour charge, d’une part, de s’assurer qu’il n’y ait pas de vacance de postes, et, d’autre part, que les cadres qui souhaitent progresser puissent le faire facilement. «L’avantage d’Orange, comme de tout grand groupe, est de disposer de suffisamment de postes pour proposer des opportunités, explique Odile de Gabrielli, directeur du développement de la filière finance chez Orange (41 milliards de chiffre d’affaires en 2013). Ensuite, nous accompagnons les cadres dans leur projet de carrière, en les orientant en fonction de leurs compétences, de leur capacité à progresser et des besoins de l’entreprise.» Pour y parvenir, les entretiens annuels permettent de définir les souhaits des cadres tandis que les plans de succession anticipent les postes qui peuvent se libérer à l’avenir. En attendant que les deux éléments – offre et demande – coïncident, le parcours de chaque financier est alors construit selon une logique d’étapes à franchir. L’objectif est souvent de permettre aux salariés concernés de travailler dans les différentes entités du groupe et de découvrir plusieurs métiers de la direction financière, afin de leur offrir une vision d’ensemble. A cette logique s’ajoute celle des prérequis, selon laquelle des compétences doivent être acquises en amont pour atteindre certaines responsabilités. «Par exemple, celui qui veut prétendre à l’avenir à un poste de directeur financier de filiale doit avoir déjà acquis d’autres expériences à l’international», explique Pierre Baujard, directeur des ressources humaines de la filière finance de L’Oréal (23 milliards de chiffre d’affaires en 2013). Cependant les places demeurent rares puisque, sur une direction financière de 2 200 salariés, 100 seulement sont expatriés. Les cadres doivent donc se distinguer pour profiter pleinement des opportunités au sein du groupe. «Si nous encourageons la mobilité en interne, la carrière reste avant tout construite par le salarié lui-même, poursuit Pierre Baujard. Nous ne sommes que des facilitateurs.»

Un directeur financier impliqué, dans les ETI

Les ETI sont aussi de plus en plus sensibilisées à cette problématique. «Ces dernières années, ces entreprises ont profité de leur croissance pour proposer des parcours susceptibles d’attirer des talents», précise Jean-Paul Brette, directeur banque, finance et assurance chez Hudson. Elles ont en effet souvent acquis la taille nécessaire pour proposer des perspectives de carrière. «Nous réalisons désormais près de 2 milliards de chiffre d’affaires, avec une présence industrielle dans une quinzaine de pays et commerciale dans une centaine, témoigne Grégory Sanson. Nous pouvons donc facilement nous engager à proposer un autre poste, notamment à l’étranger, au bout de trois à cinq ans, même si nous ignorons encore lequel.» Mais, surtout, ces entreprises arrivent même à devenir plus attractives que les grands groupes grâce à une direction financière plus réduite. «Les candidats préfèrent souvent une ETI qui offre autant d’opportunités et moins de concurrence entre les financiers», témoigne Jean-Paul Brette. La réelle différence entre les grands groupes et les ETI est que, pour ces dernières, le directeur financier reste avant tout le moteur principal de la mobilité.«C’est une de mes principales tâches en tant que directeur financier», confirme Grégory Sanson. Ce dernier ne passe pas moins d’un cinquième de son temps à gérer la mobilité au sein de sa direction financière, de manière à faire converger les besoins de celle-ci et les aspirations de ses collaborateurs.

La plupart des directeurs financiers ont alors à l’esprit cette volonté d’animer leur direction financière dès le recrutement de leurs collaborateurs. «Je cherche à recruter des profils capables d’apprendre et de s’investir, explique Jean-Bernard Alberola, directeur administratif et financier de l’institut d’études de marché BVA (65 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012). Cela me permet ensuite de les faire progresser et de leur donner le temps de comprendre les spécificités de notre métier.»

Une montée en gamme de la direction financière

Si accompagner la carrière de financiers est un moyen efficace pour fidéliser les cadres, les entreprises ont réalisé que cela permet aussi d’accélérer la montée en compétences de la direction financière. Un atout, alors que cette dernière doit apporter toujours plus de valeur ajoutée aux opérationnels. «Offrir des perspectives de progression à long terme donne le temps nécessaire aux financiers pour comprendre les spécificités du métier et des traitements financiers afférents», témoigne Jean-Bernard Alberola. Mais surtout, dans une conjoncture incertaine, créer du mouvement au sein de la fonction finance est un moyen de s’assurer que celle-ci reste capable d’innover. «Notre objectif est de permettre aux salariés, dans un monde où tout va toujours plus vite, d’apprendre à s’adapter, note Odile de Gabrielli. En changeant de poste, ils se mettent en position de risque, ce qui les pousse à se renouveler.»Une nouvelle arrivée est non seulement favorable pour le cadre concerné mais aussi pour sa nouvelle équipe, qui dispose ainsi d’un œil neuf. Cette motivation est très présente chez l’entreprise de télécommunications TDF (1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires sur l’exercice 2012-2013), pour qui l’innovation est essentielle dans ce secteur du numérique qui évolue de plus en plus vite. Ainsi, une financière – Marie-Claude Charles – de la direction fusions-acquisitions est passée en controlling. «Même si les missions ne sont pas les mêmes, son expérience apporte beaucoup et est enrichissante pour ce nouveau rôle de partenaire business des opérationnels», note Benoit Mérel, directeur général délégué et directeur financier du groupe. Elle met désormais en place le pilotage du management par «initiative», qui a été renforcé cette année à TDF. L’objectif de cette démarche est de sélectionner les propositions de salariés qui seraient source de réduction de coûts ou de gain de croissance, puis de les mettre en œuvre. «Marie-Claude Charles apporte alors une grande capacité d’analyse et de rigueur pour challenger et garantir le succès de ces opérations, tout comme elle l’aurait auparavant fait en M&A pour une société cible», poursuit Benoit Mérel. Enfin, la mobilité permet à chaque financier de créer son propre réseau au sein de l’entreprise, au gré des étapes de sa carrière. «Leur réseau professionnel sert de base à une communication informelle, confirme Grégory Sanson. Grâce à cela, un financier peut décrocher son téléphone, joindre un ancien collègue et obtenir rapidement une information.» Ainsi, loin d’être anecdotiques, ces liens informels sont aussi les garants d’une direction financière cohérente et capable de communiquer, malgré le fait que cette fonction soit éparpillée dans les différentes entités du groupe.

Les financiers d’entreprise évoluent de plus en plus vers des postes opérationnels

Les liens entre direction financière et opérationnels sont de plus en plus étroits au quotidien. Les financiers sont ainsi de plus en plus nombreux à acquérir une expérience dans d’autres directions.

. Les grands groupes commencent à s’intéresser à la question de manière systématique, comme chez Orange. «Même si des liens entre la direction financière et les fonctions opérationnelles existaient déjà auparavant, nous favorisons désormais ouvertement des passerelles de carrières entre les deux, témoigne Odile de Gabrielli, directeur du développement de la filière finance chez Orange. Cela permet aux financiers d’avoir encore plus de perspectives de progression.»

. Dans un premier temps, les entreprises testent les financiers avec de grands projets, afin qu’ils s’impliquent dans un dossier opérationnel pendant plusieurs années sans quitter leur poste. «Cela permet au cadre de faire ses preuves sur des problématiques plus larges que la seule finance et, in fine, d’accéder à des postes opérationnels», explique Christian Laure, associé d’Eurogroup Consulting. Par la suite, diriger une direction financière de filiale est souvent une étape stratégique, car cela permet non seulement de mieux connaître un des marchés de l’entreprise mais aussi de gagner en autonomie.

. Grâce à ce genre de mouvement, de plus en plus de financiers devraient prendre la tête d’une entreprise. «Déjà, beaucoup de directeurs financiers d’une filiale deviennent directeurs généraux de cette dernière, précise Christian Laure. Mais grâce à l’élargissement de leur champ d’action, les financiers commencent à accéder au plus haut niveau de responsabilité dans les entreprises.» Des carrières servent déjà d’exemple, à l’instar de celle de Benoit Mérel, cadre financier qui avait rejoint le groupe TDF à un poste opérationnel pour accompagner le directeur général d’une nouvelle filiale dans la gestion de l’intégration, avant qu’il n’obtienne son poste actuel de directeur général délégué et directeur financier du groupe!

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