Métier

La mutation des profils comptables est lancée

Publié le 27 février 2015 à 10h44    Mis à jour le 27 février 2015 à 16h14

Pierre Havez

L’influence croissante des systèmes d’information, des normes et de l’externalisation de certaines activités est en train de modifier profondément le contenu des fonctions comptables. Une mutation plus favorable aux profils experts qu’aux comptables transactionnels.

Alors que les changements dictés par la réduction des coûts de fonctionnement et l’accélération des calendriers de publication des états financiers semblent déjà bien intégrés par les services comptables, ceux-ci s’apprêtent à faire face à de nouveaux enjeux dans les années qui viennent. En effet, selon une étude récente de KPMG et de l’APDC (Association des professionnels et des directeurs comptabilité et gestion) menée auprès de 250 directeurs financiers et responsables comptables français, les métiers comptables sont actuellement confrontés à des changements liés à l’intégration continue des systèmes d’information (51 %), à la dématérialisation croissante des processus (35 %), ou encore à l’externalisation de certaines activités au sein de centre de services partagés (CSP, 11 %).

Parmi ces évolutions, ce sont surtout la généralisation des CSP et l’évolution des outils informatiques qui vont impacter les fonctions comptables, à commencer par les métiers transactionnels. Ces derniers composent encore plus de 90 % des effectifs de la profession.

«Selon le degré de maturité des entreprises en matière d’externalisation et d’automatisation des activités transactionnelles, les besoins de comptables de niveau intermédiaire devraient se réduire dans les dix ou vingt prochaines années, prévoit Christophe Eouzan, directeur comptable groupe d’Orange. La réduction des effectifs transactionnels pourrait en particulier se ressentir dans les grands groupes, où les tâches sont plus spécialisées et automatisables que dans les petites entreprises.» Une évolution préoccupante pour les professionnels, qui s’inquiètent en particulier de l’inadéquation entre la formation actuelle et les besoins futurs des recruteurs. «Les entreprises seront moins intéressées à l’avenir par les profils techniques de niveau bac + 2, actuellement les plus courants, que par des candidats disposant de bonnes qualités de relationnel et d’adaptation», prévient Christophe Eouzan.

Une nécessaire montée en compétence

Face à la diminution d’une partie des tâches à moindre valeur ajoutée, les comptables en charge du traitement et du rapprochement des factures vont donc devoir élargir leur champ d’intervention. «Ils devront s’adapter en développant de nouvelles compétences techniques, en particulier en matière de systèmes d’informations, afin de pouvoir remplacer leurs opérations de saisie et d’enregistrement de factures par des activités de supervision des flux d’échange de données informatiques», précise Christophe Eouzan. Certes, ce mouvement semble déjà initié aujourd’hui, puisque la majorité des offres d’emploi de comptables requièrent des compétences techniques relatives aux systèmes de gestion de type SAP ou Oracle. Mais il devrait encore s’accélérer dans le futur. «Les systèmes d’information vont prendre une place de plus en plus centrale, au fur et à mesure que se déploie la vague du «data analytics» au sein des directions financières, anticipe Frédéric Collet, associé KPMG. Pour autant, les comptables resteront le point d’entrée et le garant de la fiabilité de ces informations.» Pour certains, cette montée en compétence pourra éventuellement déboucher sur des promotions hiérarchiques, notamment vers des postes de comptables de synthèse, chargés de superviser les tâches de saisie.

L’influence croissante des responsables des normes

Outre les fonctions transactionnelles, d’autres métiers comptables vont également devoir s’adapter à leur nouvel environnement. Certaines règles de comptabilisation vont ainsi évoluer sous l’influence de diverses normes, comme celle sur les crédits-baux, attendue pour 2015, ou encore IFRS 15 (chiffre d’affaires), prévue pour 2017. Cette complexité croissante des règles va donc renforcer le rôle de certaines fonctions expertes, comme celle de responsable des normes comptables. «Le responsable comptable s’impose comme le bras statutaire et technique de la direction financière», observe Mikaël Deiller, manager exécutif senior chez Michael Page. Ce rôle va se renforcer.» Contrairement aux normes IFRS actuellement en vigueur, qui ont replacé le comptable au centre des opérations de haut de bilan (fusions, acquisition, financements), ces nouveaux textes devraient plutôt accroître leur influence vis-à-vis de l’activité quotidienne de l’entreprise.

«La nouvelle norme IFRS 15 sur la comptabilisation du revenu va renforcer le besoin de dialogue entre les opérationnels et les comptables, car ces derniers auront besoin de mieux comprendre l’activité pour traduire la nouvelle reconnaissance du chiffre d’affaires dans les comptes», illustre Christophe Eouzan. Ce nouveau positionnement devra donc impliquer davantage de pédagogie et de communication, afin d’expliquer en interne les enjeux et les impacts de ces normes sur les états financiers de l’entreprise.

Cette tendance ne devrait pas augmenter significativement les besoins de recrutement de responsables des normes comptables, la mise en place progressive des normes IFRS ayant en effet déjà accru la part de profils d’experts techniques au sein des services comptables.

Un rapprochement possible avec le contrôle de gestion

En revanche, les postes de direction comptable et de comptables de synthèse devraient être moins fortement touchés par cette mutation. «Si la mise en place de CSP vise souvent à réduire les effectifs comptables, elle nécessite d’encadrer les équipes transactionnelles et d’organiser les process, témoigne Mikaël Deiller. En raison de la multiplication de leurs interlocuteurs – fiscalistes, experts-comptables, équipes comptables délocalisées, etc. –, ces managers vont simplement devoir apprendre à coordonner ces ressources, à communiquer dans un environnement international, et à conduire des changements au sein de l’organisation».

Des perspectives d’évolution s’ouvriront néanmoins aux managers qui sauront faire preuve de polyvalence, et profiter de possibles opportunités de rapprochement avec d’autres fonctions. Parmi elles, la proximité avec le métier de contrôleur de gestion au siège semble la plus naturelle. «Les nouvelles générations d’ERP intégrant un module collaboratif permettront aux comptables et aux contrôleurs de gestion de travailler ensemble sur la clôture en temps réel ou bien de dialoguer avec les opérationnels sur des objets transactionnels en temps réel», illustre Christophe Eouzan. Dans ce contexte, certains managers comptables pourraient accroître leurs prérogatives. «Compte tenu de cet éventuel élargissement de périmètre, les directeurs de comptabilité pourront prétendre ultérieurement à des postes de contrôleur financier ou de directeur financier de filiale ou de business unit, décrit Frédéric Collet. Ces expériences leur permettront de se confronter à des problématiques plus opérationnelles, avant de revenir au siège et d’exercer des fonctions de directeur financier adjoint ou de directeur financier par exemple.» Des promotions susceptibles de satisfaire l’envie, partagée par près de 9 comptables sur 10 selon l’étude de KPMG et de l’APDC, de voir leur fonction acquérir davantage d’influence en touchant un nombre croissant de services différents au sein de l’entreprise.

Les nouvelles compétences attendues

Selon les directeurs des comptabilités interrogés dans l’étude de KPMG et de l’Association des professionnels et des directeurs comptabilité et gestion (APDC), les fonctions comptables vont devoir développer de nouvelles compétences d’ici à 2045.

  • Sur le plan technique, elles devront renforcer la vision de leur mission (24 %), leur expertise technique dans les normes comptables (24 %), leur capacité à évoluer vers d’autres fonctions (19 %) et leur expertise dans les systèmes d’information (17 %).
  • Sur le plan personnel, elles devront développer des aptitudes de communication et de liaison (36 %), de proposition (33 %), de management (16 %) et de travail en équipe (15 %).

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