Technologies

Les directions financières se mettent aux réseaux sociaux d’entreprise

Publié le 3 mars 2017 à 14h39    Mis à jour le 3 mars 2017 à 16h58

Arnaud Lefebvre

Soucieux de renforcer les interactions entre leurs équipes dispersées à l’international, de plus en plus de directeurs financiers recourent à des outils technologiques, en particulier des réseaux sociaux d’entreprise. Une démarche qui se traduit notamment par une meilleure diffusion des bonnes pratiques au sein du groupe et par une productivité renforcée des collaborateurs.

Yammer, Jive, Chatter, SharePoint, Google+, Webex… Si ces noms ne vous disent encore rien, ils pourraient très bientôt faire partie de votre quotidien ! Et pour cause : correspondant soit à des communautés de partage sur le web, soit à des réseaux sociaux d’entreprise (voir encadré), ces instruments connaissent actuellement un développement important au sein des directions financières. «Après avoir longtemps délaissé ce type d’outils qui existent depuis plusieurs années, les sociétés, en particulier leur fonction finance, sont de plus en plus nombreuses à les utiliser», confirme Laure Barbier, manager chez Mazars Advese.

Il faut dire que ces instruments, qui permettent à la fois de stocker dans un espace unique des documents sur lesquels plusieurs collaborateurs peuvent travailler en même temps et aux équipes réparties dans le monde de discuter en temps réel sur des problématiques identifiées, offrent de nombreux avantages aux directions financières. C’est avant tout le cas pour les entreprises dans lesquelles les systèmes d’information n’existent pas ou restent rudimentaires.«Comme j’ai pu le constater lors de mes expériences professionnelles passées, les ETI présentes à l’international ont besoin de plus de transversalité au fur et à mesure de leur développement, souligne Philippe Guillaumie, membre du comité scientifique de l’Association nationale des directeurs financiers et de contrôle de gestion (DFCG) et directeur financier du Groupe Sisley. Dans ce contexte, la mise en place de plateformes ou d’outils de communication peut-être une solution efficace pour permettre aux équipes financières d’échanger malgré la distance et de disposer d’un espace où sont partagés des documents intéressant la communauté financière (référentiel, procédures, information financière...) et accessibles en fonction de filtres. Dès lors, le directeur financier a la certitude que l’ensemble de ses équipes au sein du groupe est bien associé à la validation des documents et peut accéder à des informations régulièrement mises à jour.»

Des retours d’expérience bénéfiques

Du côté des groupes disposant de ressources informatiques dont l’efficacité est déjà éprouvée, le recours à ces dispositifs numériques s’inscrit davantage dans une démarche d’optimisation de la fonction finance. «Dans la mesure où nos métiers sont les mêmes dans les 100 pays où nous sommes présents, mes collaborateurs sont susceptibles d’être confrontés aux mêmes problématiques, explique Grégory Sanson, directeur financier de Bonduelle. Pour cette raison, nous avons souhaité il y a trois ans créer des communautés sur Google+, dont une communauté finance baptisée «B! Finance in motion».Les salariés ayant adhéré peuvent notamment y évoquer la méthode qu’ils ont employée pour résoudre une difficulté et en débattre ensemble. Ces retours d’expérience contribuent ainsi à faire émerger les bonnes pratiques.» De quoi se traduire, de l’avis des directeurs financiers, par une plus grande efficacité de leur fonction.

Utiles au quotidien, les plateformes de communication et les réseaux sociaux d’entreprise apportent également une valeur ajoutée lors de certaines tâches conséquentes, comme par exemple la préparation du budget. Le projet pouvant être consulté et annoté simultanément par plusieurs personnes, le risque de perdre les données n’ayant pas été enregistrées sur le bon fichier est ainsi éliminé. Mais plus encore, l’apport des outils de télécommunication se trouve exacerbé dans le cas de chantiers très structurants.

«L’année dernière, nous avons déployé un nouvel outil de pilotage financier, témoigne Valérie Benvenuto, directrice générale opérations et finances du groupe Open. Avant de le finaliser, nous l’avons présenté sur notre plateforme de communication, à l’appui de laquelle nous avons ensuite conduit tout son déploiement. Ce faisant, nous avons recueilli les réactions des équipes pour l’améliorer, ce qui a contribué à la fois à faciliter son adoption par mes équipes et à en optimiser l’ergonomie.» Enfin, le fait de faire travailler l’ensemble des collaborateurs concernés sur un document unique, archivé dans un seul espace, tend, selon certains responsables, à perfectionner la gestion des risques.

Une muraille de Chine brisée avec les opérationnels

Afin de maximiser les apports des plateformes et des réseaux sociaux, certains directeurs financiers vont même plus loin, en ouvrant les communautés des financiers aux non-financiers. Avec des effets concluants. «Sur les 250 collaborateurs inscrits sur notre communauté finance, près d’un tiers n’appartiennent pas à mon département, signale Grégory Sanson. Alors que nous souhaitions instaurer un lien plus fort entre les financiers et les opérationnels, le bilan est très satisfaisant : de l’avis général, une muraille de Chine qui pouvait jusqu’alors exister entre ces deux univers s’est clairement brisée.» Un cas qui n’est pas isolé.

«Dans l’entreprise, la finance était perçue comme une fonction régalienne, opérant dans sa tour d’ivoire, déplorait Aude Rigaudière, directrice financière du cabinet de conseil en stratégie, management et transformation Julhiet Sterwen.En 2014, Julhiet Sterwen a déployé le réseau social Jive. La direction financière a été accompagnée pour animer des communautés ouvertes grâce auxquelles les différents métiers ont appris à mieux se connaître et à communiquer. Nous disposons aujourd’hui d’une direction financière davantage tournée vers le terrain, ce qui a contribué à doper la performance du groupe.»

Si les bénéfices retirés de l’utilisation des outils de partage sont nombreux, le succès de ces derniers n’est toutefois pas garanti. En effet, certains collaborateurs peuvent, au moins dans un premier temps, manifester de la réticence. «Le sponsorship de ce type de projet est primordial pour fédérer l’ensemble des collaborateurs dans un tel chantier, dans la mesure où cela implique un investissement en temps», atteste Valérie Benvenuto. En outre, deux prérequis sont nécessaires aux yeux des spécialistes.«D’abord, il faut que le contenu déposé sur de telles plateformes soit exclusif, insiste Laure Barbier. Si les documents ont en parallèle été envoyés par mail par exemple, il y a un risque que le collaborateur n’aille pas sur l’outil. Ensuite, et surtout, une ou plusieurs personnes doivent animer la communauté pour que celle-ci ne devienne pas un simple gadget sans utilité.»

Une logique de management différente

Dans certains cas, le directeur financier préfère déléguer tout ou partie de cette tâche à ses N – 1. «Je suis très attentif au fait que mes collaborateurs directs jouent un rôle actif dans l’animation de ce type de communautés au niveau de chaque pays et de chacune de nos business units», témoigne ainsi Grégory Sanson. Parfois, les responsables décident de s’en charger eux-mêmes. «Dans une branche d’activité d’Engie, le directeur financier s’occupe directement de l’animation de cette communauté de financiers, ce qui lui permet de s’assurer que les décisions prises au niveau central sont bien transmises en local», illustre Caroline Couesnon, directeur associé chez Mazars Advese. Cependant, cette mission n’est pas aisée à remplir. «Celle-ci implique une méthode de management différente dans la mesure où les barrières hiérarchiques tombent – par exemple, le collaborateur ne demande pas l’autorisation de son supérieur direct pour prendre une initiative, observe Caroline Couesnon. Ce faisant, le manager doit accepter de modifier sa façon de travailler et être prêt à déléguer davantage.» Certains directeurs financiers n’hésitent pas, par exemple, à se faire accompagner par des cabinets de conseil afin d’acquérir les «bons» réflexes.

Un investissement conséquent

Les principaux réseaux sociaux d’entreprise et plateformes de communication sont proposés soit par des éditeurs indépendants, soit par des géants de l’Internet, comme par exemple Microsoft et Google. Dans les deux cas, l’accès implique le paiement d’une licence par personne. «Pour utiliser Jive, nous dépensons 7 euros par mois et par collaborateur, illustre Aude Rigaudière, directrice financière du cabinet Julhiet Sterwen. Même si une telle somme n’est pas neutre, le retour sur investissement est clairement positif au regard des avantages que l’outil nous procure.» Quels que soient les outils mis en place, le tarif de base oscille entre 4 et 7 euros. En fonction du nombre d’utilisateurs, les groupes disposent de marges de négociation.

Les outils les plus en vogue

  • Google+, Chatter, Yammer : proposés respectivement par Google, Salesforce et Microsoft, ces réseaux sociaux d’entreprise (RSE) permettent de créer des groupes au sein desquels les collaborateurs inscrits peuvent discuter, s’échanger des fichiers et travailler sur un document unique en même temps.
  • Jive : comparable à Yammer, Chatter et Google+ dans les modalités offertes, l’outil de Jive (fournisseur de solutions de communication et de collaboration pour les entreprises) se démarque principalement par son interface personnalisable et par la possibilité d’intégrer dans l’interface l’accès à d’autres logiciels, comme par exemple Salesforce ou Office 365.
  • SharePoint : appartenant à la galaxie Microsoft, cet instrument est une plateforme de communication proposant des services similaires à Yammer notamment (stockage de documents, etc.), mais avec des fonctionnalités sociales moins avancées (blog, fils de conversation…).

Les interactions de visu restent une priorité

  • Parmi les directeurs financiers ayant déjà opté pour la création de communautés digitales comme ceux prévoyant de le faire dans les prochains mois, le maintien ou l’organisation d’entrevues physiques entre les membres de la fonction finance reste un objectif essentiel. Utilisant depuis plusieurs années la plateforme de communication Yammer, le groupe Econocom a souhaité l’année dernière aller plus loin. «Nous avons commencé à organiser des sessions au cours desquelles plusieurs membres d’un même département séparés géographiquement, par exemple des comptables ou des contrôleurs de gestion, se rencontrent afin de travailler sur un projet ou un sujet technique précis, témoigne Eric Bazile, directeur financier. Nous allons intensifier ces rendez-vous en 2017.»
  • Selon les responsables concernés, cette approche permet de creuser plus en profondeur certaines problématiques complexes. En outre, le fait de réunir dans le cadre d’ateliers un nombre restreint de collaborateurs est perçu comme un moyen de mettre en valeur leur travail, et ainsi de «contribuer à la rétention des talents», insiste un directeur financier.
  • Inconvénient de cette démarche, elle peut se révéler onéreuse lorsque les salariés conviés sont dispersés géographiquement. Afin de limiter les frais, mais aussi de simplifier l’organisation de ces entrevues, certaines entreprises privilégient le recours à la visioconférence. «Jusqu’alors, nous utilisions le système Webex, notamment pour la tenue des comités financiers groupe, qui permet en particulier le partage à distance de documents, explique Philippe Guillaumie, membre du comité scientifique de la DFCG et directeur financier du Groupe Sisley. Afin de renforcer l’interaction avec les équipes locales durant ces comités , nous allons cette année ajouter à l’outil un module vidéo, ce qui donnera à nos réunions une dimension plus humaine.»

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